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Manière de voir: Notre Macron est venu 48 ans trop tôt

13 mai 2017, 07:50

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Oui, on s’interroge,  suivant les élections présidentielles en France,  sur une réédition mauricienne du phénomène Macron. De  grands débats sont lancés impliquant surtout ceux qui croient que la France et Maurice partagent un héritage commun. Donc, se dit-on, si la formule a  réussi en France, pourquoi pas dans l’ancienne Isle de France ?

Depuis la proclamation, on passe sous le microscope différentes têtes - Roshi Bhadain, Ashok Subron, Ram Seegobin, Aicha Soogree - pour voir qui offre l’image de miroir de Macron. On élimine d’office Seegobin et Subron car trop vieux. Par contre, le mouvement Rezistans ek Alternativ regorge d’éléments qui pourraient revendiquer le poste du Macron mauricien.

Pour songer à des éléments plus classiques et traditionnels, Xavier-Luc Duval ou Arvin Boolell peuvent-ils se transformer en Macron ? Dans leur cas aussi, un passé marqué par maints événements et incidents leur prive de l’élément fraîcheur pour en faire un Macron mauricien.

Qui sera le Macron mauricien après celui de France ? Faut-il vraiment un Macron chez nous ?

Pourtant, Maurice a déjà eu son Macron mais il est venu 48 ans trop tôt. Il s’agit de Paul Bérenger qui lança le Mouvement militant mauricien en 1969 à partir des structures existantes du Club des étudiants militants. Le MMM et Paul Bérenger connurent un succès politique foudroyant, malgré toutes les campagnes carrément communales lancées contre le leader du mouvement qui ne portait pas encore ce titre. Un an après, le 21 septembre 1970 plus précisément,  lors d’une élection partielle dans la circonscription symbolique de Triolet-Pamplemousses, le candidat du MMM, un certain Narendraj Virahsawmy, plus connu comme Dev Virahsawmy, battit le candidat travailliste Boodram Nundlall de 5000 voix, 8464 contre 3103.

Cette victoire enflamma le pays, Dans des confidences faites à des proches, feu Kher Jagatsingh avait révélé que le gouvernement PTr-PMSD  s’attendait à une marche du MMM, ce 21 septembre 1970 sur l’Hôtel du gouvernement pour prendre le pouvoir. Dans les années 60 et 70, le renversement des gouvernements par des militaires ou des protestataires était largement accepté. Donc, le MMM et son Macron d’antan avaient le pouvoir en main mais ils ont hésité à franchir le dernier pas. Paul Bérenger cachait-il alors une fibre éminemment démocratique malgré ses extérieurs de révolutionnaire ? Craignit-il un énorme backlash communal suivant tout coup d’Etat ?

 De 1970 à 1976, notre Macron progressa bien dans l’estime des Mauriciens qui le voyaient bien au-dessus des considérations de race ou de communauté. Il devint un mythe malgré son jeune âge au point d’impressionner un cynique comme V.S. Naipaul qui l’interviewa pour le compte du Sunday Times britannique. C’est ainsi que Naipaul devait décrire une réunion du MMM : The hall was packed with several hundred students. A racially mixed audience, a mixed platform. Ideas being treated as news: it was the brightest gathering I had seen in Mauritius.’*

Emprisonné, agressé, presque victime d’un attentat meurtrier, Paul Bérenger devint l’objet d’adoration des dockers et des employés du transport public et d’autres secteurs de l’économie mais surtout des jeunes, alors en écrasante majorité dans la société mauricienne.  

La progression continua et ce fut le 60-0 de 1982.

Encore une fois, tout comme lors de la victoire de septembre 1970 à Triolet, des débats sont engagés sur les occasions ratées de l’histoire. C’est ainsi qu’on se demande  toujours si le MMM l’aurait emporté en 1982 en présentant Paul Bérenger comme candidat au poste de Premier ministre. Le principal concerné n’y avait pas pensé. Car il avait cherché à doublement rassurer un certain électorat en alignant et Anerood Jugnauth et Harish Boodhoo comme les n° 1 et 2 du futur gouvernement.  Notre Macron rata son premier grand rendez-vous avec l’histoire.

En 1983, les données avaient changé et Paul Bérenger tenta le coup cette fois-ci. Mais un événement totalement déformé de son vrai objectif s’était produit après le 60-0 de 1982. Dans le cadre d’une vaste stratégie de relance économique  après des années de marasme et de dévaluations, le gouvernement de 60-0 avec Paul Bérenger comme ministre des Finances avait accordé des incitations de Rs 57 millions à l’industrie sucrière alors exsangue bien que pilier de l’économie du pays. Cette incitation fut transformée en «cadeau»  que le révolutionnaire et syndicaliste avait accordé à ses «cousins et cousines» de l’industrie sucrière. Pourtant, dans son reportage, Naipaul avait pris la peine de préciser que le père du leader du MMM était «a civil servant. Not a planter, not a landed man…» Mais, notez chers macronistes,  à Maurice, les débats prennent toujours une autre tournure…

Cette histoire de  ‘cadeau’ contribua à démythifier notre Macron et mit fin à toute prétention du MMM de pouvoir remporter seul le pouvoir car on pouvait potentiellement mobiliser les ‘anti’ et obtenir une majorité de sièges.

Un Macron pour sauver Maurice, pour mettre fin au règne des dynasties Ramgoolam et Jugnauth ? Pourquoi pas?  Mais pour que Maurice se donne un Macron, il faut impérativement dénicher un génie qui puisse se placer bien au-dessus des considérations de race, de communauté, de caste (et même de sous-caste !)  et se mettre à l’abri de tout soupçon de vouloir aider sous tapis des proches et des cousins et des cousines hypothétiques.

Who’s first? Présentez-vous, monsieur ou mademoiselle Macron Made in Mauritius.

 

*The Overcrowded Barracoon, page 308, Penguin Books, edition 1976