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Manière de voir : Maurice et la rivalité Inde-Chine
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Manière de voir : Maurice et la rivalité Inde-Chine
Notre pays est de plus en plus pris dans l’engrenage de l’intense rivalité qui s’active entre les deux superpuissances émergentes, l’Inde et la Chine. Sous ses différents gouvernements, Maurice a joué avec son cynisme habituel sa carte de bonnes relations avec tout le monde, mais avec une attention particulière par rapport à l’Inde, la France, la Chine et le continent africain, pays de peuplement de cet État-archipel de l’océan Indien.
Les données ont radicalement changé depuis l’indépendance et Maurice n’a plus besoin de quémander un don de voitures de la France en vue de véhiculer des chefs d’État étrangers invités à un sommet chez nous. En 2017, c’est vers l’Inde et la Chine que nous nous tournons pour le financement des projets grandioses comme un nouvel aéroport, un complexe sportif aux normes internationales, le métro léger ou un vaste projet comme Tianli. Depuis la semaine dernière, le mendiant mauricien, toujours cynique à vouloir exploiter la générosité des amis traditionnels, s’est armé d’un bol tout fait d’une autre résonance.
Nous demandons maintenant à l’Inde de financer le remboursement des souscripteurs du plan Super Cash Back Gold, victimes de la décision du gouvernement de tuer l’un des conglomérats économiques du pays, à savoir le groupe British American Investment. Ne serait-ce pas trop demander à l’Inde ? La réponse, on ne va pas tarder à l’obtenir. Car le Premier ministre mauricien effectue actuellement une visite dans la Grande péninsule.
Cette visite a été programmée à la dernière heure, mais il semble que tout est mis en œuvre pour lui donner une dimension spectaculaire. Côté symbole dans l’esprit des Mauriciens, l’Inde reste incontestable. Quand Paul Bérenger devint Premier ministre en 2003, le premier pays qu’il visita officiellement, accompagné de son épouse, Arline, fut l’Inde. L’image du couple parti à la découverte du Taj Mahal restera gravée dans la mémoire de ceux qui suivent de tels événements. Pravind Jugnauth et son épouse, Kobita, sont aussi à leur première sortie internationale.
Contrairement aux autres visites qui jouaient surtout sur le côté protocolaire et les grands discours de raffermissement des liens, celle de 2017 va au-delà du bla-bla habituel. On parle maintenant business à coups de milliards et d’Agalega sur fond de rivalité à l’échelle de l’océan Indien. Maurice ne pourrait éternellement se contenter de se faire charmant et gentil envers tous nos amis étrangers. L’Inde exige des engagements. Et l’Inde sait frapper fort quand ses intérêts fondamentaux sont en jeu.
Maurice s’est ainsi exposé au courroux de New Delhi quand une grande personnalité, croyant bien faire, offrit les bons offices de l’île pour réunir l’Inde et le Pakistan sur le sujet du Cachemire. Le déculottage exigé par l’Inde fut humiliant. Récemment encore, une Pakistan Week organisée au Château du Réduit connut un dénouement non prévu par le concepteur. On n’entend plus Showkutally Soodhun parler des grands projets de développement portuaire – sur des kilomètres – partant d’Albion vers le Nord et financés par ses mystérieux «Arabes». Cela avait offusqué l’Inde, qui a initié ses propres projets.
La Chine, c’est une autre paire de manches. De par son bilan d’aide réelle et soutenue à Maurice depuis 1972, sa puissance économique massive et son sens d’accueil et d’hospitalité envers ministres, maires, conseillers municipaux et officiels invités à la visiter, ce pays est bien aimé. On ne bouscule pas la Chine. Au contraire. Ainsi, le mercredi 24 mai, à la veille même du départ du Premier ministre pour l’Inde, la télévision nationale a consacré les premières dix minutes de son bulletin d’informations à chanter les louanges des relations privilégiées avec la Chine. Dix minutes, en termes de traitement à la télévision, c’est énorme. Mais pour parodier celui qui avait dit «Government is Government», quelle meilleure manière pour les dirigeants politiques qui contrôlent la MBC de dire «China is China».
Quand il s’agit précisément de la Chine, Maurice y va allègrement, sans se soucier de blesser les susceptibilités de l’Inde. Ainsi, lors des dix minutes consacrées par la MBC aux relations Maurice-Chine, on a vu le ministre des Affaires étrangères mauricien, Vishnu Lutchmeenaraidoo, se pavaner et monter sur ses grands chevaux. Pilier du gouvernement MSM issu des élections de 1983, Vishnu Lutchmeenaraidoo a bien tissé des relations avec Hong Kong, Singapour, Taïwan, la Malaisie et la Chine.
Récemment, ce même Lutchmeenaraidoo a dirigé une délégation officielle à un sommet à Beijing, sommet qui a été boycotté par l’Inde. Cette rencontre sur le thème de la nouvelle Route de la soie, ou la One Belt and One Road (OBOR) Initiative, réunissait 28 pays. L’Inde a boycotté le sommet car ce sont la Chine et le Pakistan qui en profiteront. Et cela, à ses dépens. New Delhi revendique comme siens des territoires contrôlés par le Pakistan et la Chine et qui seront utilisés dans le cadre de cette nouvelle Route de la soie.
Lors de la participation du ministre Lutchmeenaraidoo à ce sommet d’OBOR, un Memoradum of Understanding (MoU) a été signé pour ouvrir la voie à de vastes possibilités d’échanges dans divers segments de l’économie entre Maurice et la Chine. Le Board of Investment (BoI), représenté par Gérard Sanspeur, et le China Council for the Promotion of International Trade ont signé ce MoU le 16 mai.
Principal conseiller du Premier ministre Jugnauth, Gérard Sanspeur a été tout simplement extatique par rapport à l’initiative de la Chine. Commentant l’OBOR sur le site web du BoI, l’inimitable et l’omniprésent Gérard Sanspeur devait ainsi qualifier l’initiative boycottée par l’Inde : «The term Belt & Road refers to more than just trade or investment between China and the ‘belt’ countries. It really stands for the exchanges of things and ideas through trade, tourism, regular interactions between economic operators and project-based diplomacy.»
On va voir maintenant de quels «things and ideas» va parler Gérard Sanspeur à l’issue de la visite de son patron en Inde. Quant à Vishnu Lutchmeenaraidoo, contrairement à la pratique qui veut que le ministre des Affaires étrangères fasse partie de la délégation du Premier ministre parti en visite officielle, il reste, lui, à quai. Bien que la diplomatie relève d’un art particulier, qui se joue sur le fil du rasoir, le cynisme a quand même ses limites.
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