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Manière de voir: le nouveau cipaye de l’océan Indien

17 mars 2018, 09:08

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Une bien étrange coïncidence a voulu qu’au moment même où le président indien, Ram Nath Kovind, visitait Maurice, le Premier ministre indien, Narendra Modi, lui, donnait l’accolade au président français, Emmanuel Macron, qu’il recevait à New Delhi. Quelle surprenante coïncidence encore que le ministre mentor, sir Anerood Jugnauth, choisissait l’heure exacte de midi, le 12 mars 2018, pour signer un accord de coopération en sécurité maritime avec la France. 50 ans auparavant, à midi exactement, on abaissait l’Union Jack au Champ de Mars pour le remplacer par le quadricolore du tout nouvel État indépendant de Maurice.

Sir Anerood Jugnauth ne pouvait choisir un message plus perfide pour faire un pied de nez aux Britanniques avec qui il est engagé dans une guerre psychologique à propos des Chagos. Les Français, pas vraiment amoureux des Britanniques depuis l’initiative Brexit, n’auraient pas manqué d’apprécier ce geste. D’autant plus que quand le territoire de Tromelin est évoqué, nos responsables parlent d’une voix définitivement plus faible que celle de nos centenaires qui passent régulièrement à la télévision et les médias sociaux.

Avant ce midi 12 mars symbolique, quand sir Anerood Jugnauth rencontrait Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministère français des Affaires étrangères, pour signer un accord de coopération à vrai dire militaire, le Premier ministre mauricien, Pravind Jugnauth, avait choisi d’adresser son message d’Indépendance non pas aux étudiants d’un collège d’État nommé après quelque notable mais à l’élite fréquentant le Lycée La Bourdonnais, une institution associée à la France.

L’accolade Modi-Macron (après la froideur dans l’accueil réservé par les Indiens au Premier ministre canadien, Justin Trudeau) scellait un événement d’une portée historique et géopolitique de très grande importance : la France ouvrait toutes grandes les portes de ses bases militaires dans l’océan Indien et du Pacifique Sud aux forces armées de l’Inde. Ce qui concerne Maurice de plus près, les Indiens auront dorénavant accès aux bases françaises de La Réunion et de Mayotte.

Avant que les Français ne partent se mettre dans les bons papiers de l’Inde, non seulement en termes de pêche, de colossaux contrats de nature économique mais aussi sur le plan militaire, les États-Unis et Israël avaient tous deux déjà profité de l’accès au pouvoir du mouvement nationaliste hindou Bharatiya Janata Party pour améliorer radicalement leurs relations avec New Delhi. Avec Donald Trump à la Maison-Blanche et Narendra Modi comme principal protagoniste en Inde, les relations ont pris une telle tournure que cette deuxième puissance de l’Asie se retrouve maintenant résolument dans le camp occidental, marginalisant de ce fait le Pakistan et mettant fin à des décennies de non-alignement mais avec un léger penchant pour l’Union soviétique. Mais la dichotomie idéologique gauche-droite l’Est-Ouest, l’Union soviétique et les Nehru sont bel et bien morts et enterrés ou incinérés et dans la nouvelle configuration, l’Inde partage les mêmes intérêts politiques et sociétaux que les pays occidentaux. À savoir comment contenir l’irrésistible expansionnisme économique chinois et combattre la menace terroriste.

«Nourrir les nouvelles ambition de l’Inde.»

Puisque les Occidentaux sont de moins en moins hyperpuissants après trois siècles de colonisation de peuples entiers et de pillage systématique des ressources en Amérique latine, en Afrique et en Asie, pourquoi ne pas nourrir les nouvelles ambitions de l’Inde et utiliser leurs ressources pour défendre des intérêts communs ? Pourquoi ne pas offrir des facilités dans l’océan Indien et le Pacifique, deux régions où la «menace» chinoise est plus prononcée ? Avant la France, Donald Trump a lui aussi vu la coopération militaire avec l’Inde dans le contexte territorial plus large de l’Indo-Pacifique. Des rapports indiquent que les Américains, bien avant les Français, avaient offert leurs facilités militaires dans l’océan Indien (principalement à Diego Garcia) aux Indiens. En raison du contentieux mauricien sur les Chagos, les Indiens, connus pour leur finesse diplomatique, ne sont nullement pressés de faire une démonstration médiatique et bollywoodienne à Diego Garcia, mais ils participent volontiers à des manoeuvres avec les Américains.

L’ennemi de mon ennemi étant mon ami, c’est tout naturellement que les Occidentaux s’accommodent du nouveau rôle de l’Inde comme une superpuissance C’est dans ce contexte, d’ailleurs, que les Seychellois ont signé un traité de coopération militaire avec les Indiens qui s’apprêtent à construire une base sur l’île de l’Assomption. En raison de l’emplacement stratégique de l’Assomption sur la carte de l’océan Indien, une fois la base construite, New Delhi disposera de ressources de surveillance considérables sur cette partie du monde. Parallèlement au déploiement des Indiens aux Seychelles, une grande controverse est née autour de l’engagement de New Delhi pour la construction de nouvelles infrastructures tant portuaires qu’aéroportuaires sur le territoire mauricien d’Agalega.

Du point de vue logistique, ces constructions ne peuvent être entreprises que par le secteur public indien, donc des militaires. Logiquement, ce serait un overkill de la part des Indiens s’ils construisent pas une mais deux bases dans l’océan Indien. À moins que les Indiens soient subitement devenus hyper-ambitieux, il faudrait bien croire dans l’affirmation de Paul Bérenger – potentiellement un futur allié des Jugnauth – que l’Inde n’entretient pas de hidden agenda autour d’Agalega.

Les Occidentaux, par contre, ne cachent pas leur agenda par rapport à l’Inde. Ils accueillent volontiers le nouveau cipaye de l’océan Indien.