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Prétan zann

16 mai 2018, 08:54

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«Kikenn pass mwa sa pins-la enn kou.» La personne qui venait de parler était Ané Kistna. Il était perché sur un escabeau en train de fixer le prélart pour la réception du mariage de sa nièce. Il vit une main lui tendre la paire de tenailles, la prit et répondit «merci mamé». La personne qui venait de l’aider, c’était Lorven. Longtemps après, les membres de la famille devaient se souvenir que c’était à ce moment précis qu’ils avaient aperçu Lorven pour la première fois.

La veille d’un mariage, il y avait toujours beaucoup de travail à faire. En ce temps-là, il fallait monter la tente avec des poteaux en bois plantés dans des trous dans la terre et fixés les uns aux autres à l’aide de clous. Ensuite, il fallait poser et attacher le prélart dessus pour protéger les invités du vent, de la pluie et du soleil. 

Il fallait placer deux bananiers devant l’entrée et placer des coeurs de palmiste un peu partout sous la tente. Il fallait aussi décorer la tente avec des ballons, des guirlandes et des lumières clignotantes posées de manière à former le prénom du marié et de la mariée. Il fallait également sortir des chaises entassées dans des piles, les essuyer et ensuite les installer autour des tables et en rangées pour que les invités puissent s’asseoir. 

Les mecs, la plupart arborant fièrement une grosse moustache, étaient perpétuellement en mouvement et chacun se referait à l’autre comme Mamé, surtout lorsqu’il avait un service à lui demander. Lorven fut très actif et apporta son aide dans toutes ces activités, à chaque fois qu’il voyait que quelqu’un avait besoin d’aide. 

Dans la cuisine les femmes avaient également beaucoup à faire. Elles étaient à 7 ou 8, toutes des cousines, tantes et belles-sœurs de la famille de la mariée, et elles s’organisaient pour laver, éplucher et découper de grandes quantités de légumes achetées et apportées en balles, et elles les faisaient ensuite cuire dans de grands carailles. 

À un moment, une des femmes alla sous la tente et dit, «bizin enn zom for dan lakwizinn-la. Pou bouz sa bann foyer-la, met li enn plas kot péna trop courant d’air».

Lorven se proposa pour le faire. Il suivit la dame jusqu’à la cuisine de fortune préparée pour l’occasion dans un coin derrière la maison et vit qu’effectivement il y avait une forte brise qui soufflait et incommodait les dames qui préparaient à manger. Il souleva une à une les 4 grosses pierres qu’on avait utilisées comme support pour le foyer et les posa dans un coin contre le mur, puis il emmena les morceaux de bois partiellement brûlés et finalement gratta la cendre qu’il récupéra sur une planche pour venir la déposer dans le nouveau foyer qu’il venait de monter. Pour terminer il souleva et transporta les différents carailles, deksis et autres ustensiles de cuisine pour que les femmes n’aient pas à le faire. Ces dernières, flattées par tant d’attention, lui dirent: «Ou ti kapav les li, sa nou ti pou fer li nou mem.»

Une des femmes lui demanda, «pou ki garson ou été ou?» Lorven répondit, «mwa, mo Kadress so garson». Une autre dame lui dit, «bé ress lamem ou donn nou enn koudmé. Bien bizin enn zom isi, éna boukou travay-la».

La première dame renchérit, «vrémem sa, bizin kikenn pou lav sa bann fey banana-la. Laba éna enn ta zom nek pé dibouté. Get zot enn kout».

Lorven fut très content d’apporter son aide. Il vit une petite pile de feuilles de bananes qu’on avait posées sur une chaise, les prit et les apporta jusqu’au robinet et se mit à les rincer, les frotter et les rincer à nouveau. Ce travail lui prit une bonne demi-heure et lorsqu’il eut terminé, il s’apprêta à les emmener jusqu’à la table sous la tente lorsqu’une autre dame s’approcha de lui.

«Ou mem ki pé lav bann fey banane? Lav sa bann la ousi, éna ankor bann dimounn pé koumans vini pou manzé-la. Donn mwa séki ou fini lavé la touzour.»

Lorven vit que la dame avait apporté une deuxième pile de feuilles. Sans broncher, il se mit à les laver comme on venait de lui demander. Une quinzaine de minutes plus tard, il vit arriver la dame qui lui avait auparavant demandé qui il était. Elle lui dit, «inn asé lave-la. Si bizin ankor fey ava lavé plitar. Vinn bwar impé délo panakon, fek fer-la».

Lorven accompagna la dame jusqu’à la cuisine et se vit servir un jus de limon dans un grand verre en aluminium qu’on appelait guillasse. Dans la salle, les invités avaient pris place et écoutaient les chansons du film Roja que le DJ de service jouait comme dans tous les mariages. Le photographe était arrivé, avait installé ses lumières et prenait des photos des invités. 

Dans la cuisine, les femmes étaient chacune occupées à une tâche pour servir aux invités les sept currys comprenant haricots, «daal bringelle», giraumon, carri banane, carri jacque, pomme de terre et pachadi concombre qu’elles avaient passé toute la matinée à préparer. Une dame entra et dit, «kisann-la pé okip daal, bizin met inpé délo dan sa daal-la, li inpé sek».

Tout de suite après, une autre dame arriva et dit, «pé mank zariko lor lata-la. Kikenn pran sa zariko-la al servi.» Aussitôt une femme prit le «deksi» contenant le curry d’haricot et partit pour aller servir.

Lorven les regarda faire et but son jus au plus vite, il avait hâte de repartir sous la tente voir s’il pouvait apporter son aide. Lorsqu’il termina, une dame lui prit le verre des mains et lui dit : «Alors Kadress éna enn gran garson koumsa! Zamé ti pou dir.» 

Une autre dame arriva et s’adressant à la première, lui dit : «Ala to inn gagn enn prétan zann. To ti pé rod enn garson pou to nièce, non?»

Les autres dames renchérirent: «En tou ka, enn bon zann to inn gagné. Enn bon garson, dépi gramatin li’nn bien fatigé fer louvraz.»

Lorven devint ainsi le chouchou de ces dames. Il passa le reste du temps à les aider à servir le sagoo et les apalams dans les feuilles bananes posées pour les invités, à laver les ustensiles, à réparer une ampoule qui sauta au cours de la soirée, aida le caméraman à transporter ses appareils. Tout le monde était sous son charme. Les dames lui dirent, «démin ou vinn boner, hein. Éna ankor boukou travay gramatin avan tifi al lasal maryaz. Apré maryaz ousi pou éna vindou, ou vini.»

Une autre dame ajouta: «Ou met kostim ou vinn maryaz, pou éna bann zoli akka, ou kapav al trouv ou boner.»

La première dame intervint: «Pa koz koumsa ar mo prétan zann. Pa ékout zot ou, mo nièce pou vinn maryaz. Mo pou prézant ou mo nièce.»

Le lendemain, jour du mariage, fut particulièrement stressant pour toute la famille. Il fallait d’abord être debout avant le lever du soleil pour la cérémonie du safran où les amies et proches de la mariée lui appliquèrent une pâte faite de safran, de lait et d’eau de rose sur le visage, les pieds, le cou et les mains pour éloigner le mauvais œil. Une fois terminée, la mariée devait aller se baigner puis se prêter à une longue séance de maquillage. 

Les autres membres de la famille devaient à leur tour trouver une salle de bain libre pour aller se baigner puis s’habiller pour se rendre au mariage. Il fallait ramener tous les attirails, accessoires, fruits et autres pour les embarquer dans des voitures, et ensuite organiser le transport pour emmener les parents jusqu’à la salle, surtout les oncles et tantes qui étaient venus de loin pour assister au mariage. 

Certains invités devaient plus tard se plaindre d’avoir eu à transporter 8 personnes d’un coup dans leur voiture sur le chemin du retour. Certains invités se trompèrent de salle et se rendirent à un autre mariage avant de se rendre compte de leur erreur en ne voyant aucun visage familier dans la salle et durent rebroussr chemin. 

Au temple, il fallut attendre le prêtre qui arriva en retard quoiqu’il ait, des mois auparavant, lui-même insisté sur l’heure propice pour célébrer le mariage, après avoir consulté les livres sacrés. Au moment de la cérémonie, la famille de la mariée se rendit compte qu’on avait laissé derrière certains accessoires essentiels pour la cérémonie et un proche dut revenir les chercher à la hâte, mettant tout le monde sous tension. 

Pendant la cérémonie, le prêtre réalisa avec effroi que le marié ne connaissait rien aux coutumes et dut lui tenir la main comme un enfant de 8 ans pour l’aider à accomplir les rituels religieux. Heureusement au-delà de ces inconvénients, tout se passa très bien. 

Après le mariage, le nouveau couple arriva pour la cérémonie du gâteau. On fit sauter les bouchons de champagne et servit des snacks à tous les invités. Dans la cuisine, les dames eurent fort à faire pour faire frire les gadjaks puis pour servir le «kari disan ek kari andan» que la famille avait fait faire par un «bandari». Quant aux hommes, ils s’occupaient à servir les boissons. De temps à autre, on entendait une voix dire, «labwason pé fini dan latant-la. Ouver sa bann whisky-la fer servi».

La journée touchait à sa fin, le papa et la maman de la mariée vinrent dans la cuisine remercier toutes ces dames pour leur aide. Ils semblaient à la fois tristes de voir partir leur fille et heureux d’avoir pu accomplir leur devoir de recevoir tous les invités sans anicroche. «Merci, zamé mo pou kapav rémersié zot pou séki zot inn fer. Zot inn pran tou responsabilité zot mem.»

À ce moment précis, on entendit un brouhaha sous la tente. Quelques personnes se précipitèrent pour aller voir ce qui se passait. Le papa de la mariée demanda d’une voix inquiète: «Ki pé arivé? Éna kik problem?»

Son grand frère, que tout le monde appelait Ané Kistna, lui répondit: «Enn boug inn sou, li pé vomi, pé fer so insinifian.»

Quelqu’un d’autre précisa: «Enn zeness sa, dépi boner li ti pé bwar ar so bann kamouad. Pa’nn manzé, nek bwar lor lestoma vid.»

Une dame qui avait pu se faufiler dans la foule pour aller voir, revint dans la cuisine et dit: «Hé garson hier la, séki ti pé donn nou koudmé-la.»

Une dame dit: «Li ti dir li Kadress so garson. Otan mo koné Kadress éna dé tifi, li péna garson li.»

D’autres se joignirent à la conversation: «Bé pou ki fami li été sa garson-la?» Cette question, d’autres membres de la famille allaient se la poser à chaque fois qu’ils visionneront la vidéo du mariage.

Entre-temps, dans la cuisine, une des dames donna un coup de coude discret à son amie debout à côté d’elle et lui dit: «Akka, ou ti pou gagn enn bon zann.»

La dame lui répondit: «Ki to gagné, pa mo zann sa.»