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Gouvernance et indépendance

8 août 2018, 07:57

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Ce qui se passe actuellement au sommet de la BoM Tower avec des relations tendues et les divergences publiques entre le gouverneur, Yandraduth Googoolye, et ses deux adjoints, Renganaden Padayachy et Vikram Punchoo, avec comme point d’orgue la publication récente dans la presse des procès-verbaux de réunions houleuses, peut à première vue laisser insensibles les milieux financiers et accessoirement la population. Sans doute en raison d’un sentiment de déjà-vu. Car avant cette «confrontation», il y en a eu d’autres… et beaucoup plus violentes verbalement. Même si on concède volontiers que les opinions indépendantes qui se contredisent ne sont pas en soi mauvaises si elles se déroulent «in camera».

Qui ne se rappelle encore des décisions contestées de la politique monétaire conduite par l’ex-locataire de la Banque centrale, Rundheersing Bheenick, ancien ministre travailliste, par son second adjoint, Jameel Khadaroo, et d’autres membres du Monetary Policy Committee, dont un certain Jacques Li Wan Po à qui l’accès de la banque avait été refusé pour une réunion ? Et plus récemment, les vives critiques de certains membres du MPC contre l’exgouverneur Ramesh Basant Roi, un nominé du régime de l’alliance Lepep, pour sa politique de dépréciation accélérée de la roupie et des baisses successives du taux directeur de la banque.

Par-delà la crise de crédibilité qu’une telle institution est appelée à souffrir en raison des relations conflictuelles de son équipe de direction et de son indépendance vis-àvis du Trésor public, il est peut-être grand temps d’engager une réflexion sur la nomination des directeurs à la BoM et dans des institutions-clés relevant de la sphère publique.

À Maurice, et ce depuis l’Indépendance, la Banque centrale a été contrainte par exemple à reconnaître, à des degrés divers, l’indépendance de ses nominés, qu’ils s’appellent Aunauth Beejadhur, sir Indur Ramphul, Dan Maraye, Ramesh Basant Roi, Rundheershing Bheenick et aujourd’hui Yandraduth Googoolye, en poste depuis plus de sept mois.

Sans doute, la réalité n’est pas si différente ailleurs, me diriez-vous. Certes, oui. Mais faut-il insister que la nomination dans des pays dits développés et émergents ne relève certainement pas d’un choix personnel ou d’un parti mais de plusieurs instances dites indépendantes. Et qu’une fois en poste, le statut indépendant du gouverneur n’est pas, dans la majorité des cas, remis en cause. Sans compter la liberté de prendre des décisions, même si au final elles peuvent ne pas plaire politiquement au pouvoir en place.

Quelques exemples :

  • En France, le gouverneur de la Banque de France est nommé par décret du président de la République après avis des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat qui peuvent apposer leur droit de veto à la majorité des trois cinquièmes ;
  • Le successeur de Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, sera désigné en octobre 2019 après un mandat de huit ans non renouvelable. Sa nomination sera avalisée à la majorité qualifiée par un collège comprenant des ministres des Finances européens de la zone euro, qui proposent chacun un nom. Même si les manoeuvres ont déjà commencé autour de la succession de Draghi, ex-banquier de Morgan Stanley, avec des pays comme l’Allemagne, l’Espagne ou encore la France qui veulent chacun soutenir la candidature de son poulain, l’exercice demeure transparent.
  • À la Banque d’Angleterre, délaissant les meilleures compétences de la City, c’est un ancien banquier de Morgan Stanley l’ex-gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, qu’est allé chercher en 2013 l’ex-ministre des Finances George Osborne pour la diriger. Il y restera jusqu’à 2019.
  • Aux États-Unis, Jerome Powell a l’année dernière remplacé Janet Yellen à la présidence de la Réserve fédérale. Un choix confirmé par le Sénat qui a voulu privilégier une certaine continuité dans la politique monétaire de la Banque centrale américaine. Sans doute, il y a matière à réflexion en tirant des leçons de l’étranger. Aujourd’hui, le gouverneur, ses adjoints ainsi que les membres du MPC sont nommés par le Premier ministre et son ministre des Finances. Et quand la même personne occupe les deux fonctions, c’est pire. Dès lors faut-il demain revoir cette pratique et laisser à une instance indépendante de les choisir sur la base de leurs expériences et qualifications, pour garantir l’indépendance de cette institution ? Et éviter que celle-ci ne soit la boîte de résonance du bâtiment du Trésor… ? On ne cessera de le répéter : l’indépendance de la Banque centrale vis-à-vis du gouvernement constitue un engagement crédible de stabilité, dans la mesure où elle n’est pas affectée par les échéances électorales et que la Banque centrale est à même de ne pas dévier d’une règle fixée par avance en matière de stabilisation des prix. Et a intérêt en plus à limiter le plus possible l’inflation, nuisible à l’économie dans son ensemble.