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Le «langouti» du Rodriguais

13 octobre 2018, 13:33

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Depuis le boycott historique à Rodrigues, les 12 mars 1968 et 1969, de la cérémonie du lever du drapeau mauricien, c’est la première fois qu’une force politique basée dans la deuxième île en importance de la République participe directement à une action dirigée contre un symbole venu de l’île principale. Du moins, c’est dans cette perspective qu’on devait voir le mouvement de boycott lancé par Nicolas Von-Mally et son Mouvement rodriguais (MR) contre sir Anerood Jugnauth (SAJ), ministre mentor et ministre de Rodrigues, actuellement en visite dans l’île, dans le cadre du 16e anniversaire de l’Autonomie.

Il ne faut pas pour autant voir en Nicolas Von-Mally un héritier du PMSD et encore moins ne pas apprécier la sincérité de sir Anerood dans son engagement à long terme à participer au développement de Rodrigues. On peut comprendre que Nicolas VonMally veut faire monter la tension dans la perspective des prochaines élections générales. Il croit Serge Clair affaibli et usé et encore que ce dernier doive pouvoir donner la réplique aux remarques faites par la commission Lam Shang Leen.

Quant à sir Anerood, encore une fois, sa bouche lui a joué un mauvais tour quand, sur un ton des plus arrogants, il s’était demandé, lors de sa dernière visite à Rodrigues, s’il était responsable de la fourniture d’eau dans l’île et si sa tâche consistait à donner un bain aux habitants. Il est clair donc que sans le vouloir, SAJ se retrouve pris dans le feu croisé des hostilités entre l’Organisation du peuple de Rodrigues (OPR) et le MR. 

Malgré son boycott de SAJ, Nicolas Von-Mally a eu un comportement exemplaire dans le cadre de la République, ne remettant jamais en question son intégrité territoriale et en maintenant des relations très cordiales avec les dirigeants politiques de l’île principale. Navin Ramgoolam, qui a réalisé l’exploit d’entretenir des liens très étroits avec les deux camps adversaires à Rodrigues, avait d’ailleurs donné une large marge de manœuvre à Nicolas Von-Mally, à qui le portefeuille de la Pêche avait été confié et non pas le seul titre symbolique de ministre de Rodrigues. Et bien que suspect de Serge Clair – comme SAJ d’ailleurs – Navin Ramgoolam avait toujours laissé faire l’homme fort de Rodrigues.

Serge Clair et le PMSD, ça c’est une autre histoire. Le PMSD ne s’est jamais réconcilié avec l’idée qu’il a été battu dans cette île par Serge Clair. Avant même que des élections truquées dans des républiques bananières ne donnaient plus de 90 % des votes à des dictateurs régnants, le PMSD réalisait des records de soutien incroyables à Rodrigues. 

Aux élections générales de 1967, quand les Rodriguais votèrent pour la première fois, le PMSD recueillit jusqu’à 96,89 % des voix dans la 21e circonscription. Le premier candidat adversaire du PMSD, Bazile Allas, enlevait 3,2 % des votes. Le Parti travailliste y présenta un candidat, Jean Max Lucchesi, qui obtint 1,1 % des votes ! 

Dans un excellent ouvrage écrit par Benjamin Gontran et publié par Jean-Marie Richard*, il est expliqué comment le PMSD bâtit sa campagne à Rodrigues pour amener les habitants à voter massivement contre l’Indépendance. Dans l’éventualité où Maurice accédait à l’Indépendance, mit en garde le PMSD, les Rodriguais allaient assister à la fermeture des églises, au port obligatoire du «langouti» pour les hommes, à l’interdiction de l’élevage du porc et au remplacement du français et de l’anglais par des langues indiennes. Au fil du temps, la stratégie du PMSD fut mise à nu, à commencer par l’entrée au gouvernement de Gaëtan Duval lui-même, en 1969. Mais le staying power du PMSD lui permit d’enlever les deux sièges de Rodrigues encore en 1976 mais avec une majorité réduite, 57,2 % contre 96,8 % en 1967. En 1976, Serge Clair s’opposa sans succès au PMSD avec son parti, l’OPR. 

De 1974 à 1976, le PMSD mena une intense campagne de dénigrement personnel contre Serge Clair, un ex-prêtre. Mais, au fil des années, le PMSD subit l’offensive de l’OPR et en 1982, Serge Clair mettait fin à tout jamais au règne du PMSD à Rodrigues quand le roi déchu, Gaëtan Duval, luimême candidat à Rodrigues, ne recueillit que 36 % des voix contre 64 % au premier élu de l’OPR. Le parti de Serge Clair devait, depuis 1982, remporter toutes les élections générales dans la circonscription no 21, à l’exception de celles de 2010. 

En 1967, non content de la victoire du Parti travailliste à Maurice, Duval expliqua aux Rodriguais qu’ils étaient devenus «enn ti mwano» que le «gro sat bien gourman» Seewoosagur Ramgoolam allait dévorer. Duval donnait toujours l’espoir aux Rodriguais que le président français, le général de Gaulle, allait les «sauver».  

Heureusement qu’en 2018, les habitants des deux principales îles de la République ont atteint un tel stade de maturité politique qu’ils vont rire un bon coup en pensant au «langouti» que les robustes Rodriguais allaient porter, en marchant de St-Gabriel, ou même de Rivière-Bananes, à Port-Mathurin, le samedi matin, ou en pagayant leurs pirogues.

*Sir Ben… Raconte Rodrigues, Benjamin Gontran, Tome 1, ZM Edisyon, 2007