Publicité
Désenchantement
Hier, c’était le lobby des seniors. Aujourd’hui, c’est au tour des taximen et demain… peut-être les marchands ambulants, à l’approche des fêtes de fin d’année ? Face au chantage des uns et aux menaces des autres, Pravind Jugnauth joue à l’accalmie. Il est déjà dans une logique électorale et il repousse toute velléité de confrontation. Même si, au final, certaines décisions pourraient risquer de sérieusement compromettre l’avenir économique du pays et retarder son passage à la modernité.
Visiblement, ces deux décisions aux effets d’annonces palpables et largement médiatisées – la promesse d’une augmentation de la pension universelle et le refus de l’implantation d’Uber à Maurice –, ne répondent assurément à aucun impératif rationnel, sinon qu’elles sont une démarche visant à plaire à des segments spécifiques de la société dont le poids ne peut être occulté lors des prochaines consultations populaires.
Dans les jours, les semaines, voire les mois à venir, il faudra sans doute s’habituer au nouveau rôle de Pravind Jugnauth, appelé à agir plus comme un chef de parti qu’un Premier ministre dont chaque décision prise est pesée, voire soupesée pour qu’au final, elle rapporte des dividendes politiques. Qu’Uber soit bénéfique aux citoyens, comme c’est le cas dans tous les pays modernes, il n’en a cure…
À un peu plus d’une année des prochaines élections, Jugnauth fils s’est manifestement déjà mis dans le «mood» électoral, avec les yeux rivés sur décembre 2019. Pas question pour lui de laisser le terrain libre à ses adversaires : il entend mettre toutes les chances de son côté pour monopoliser un nouveau mandat et légitimer son poste premier ministériel. Personne ne peut évidemment blâmer un Premier ministre sortant cherchant à se faire réélire si son action s’inscrit dans une démarche démocratique. Encore fautil qu’il dispose d’un bilan solide sur lequel il peut surfer pour séduire son électorat.
Pravind Jugnauth n’en a pas un pour le moment. Le Metro Express et les nouvelles infrastructures routières sur lesquels il compte s’appuyer pour faire campagne ne seront prêts que quelques semaines avant la dissolution du Parlement. Encore que dans le cas du Metro Express, il est permis de douter qu’il quittera Rose-Hill pour Port- Louis en septembre 2019, compte tenu de l’évolution des travaux en cours.
Mais là où le bât blesse c’est dans la gestion économique du pays. Car il ne faut pas se voiler la face. Après quatre ans, le constat est clair : le pays manque cruellement de leadership économique et Jugnauth fils parvient difficilement jusqu’ici à imprimer son style, tant comme chef de gouvernement que comme ministre des Finances. Et cela, malgré toute une équipe de conseillers – eux-mêmes empêtrés dans des scandales – et de «spin doctors» qui tentent maladroitement de lui construire une image de Premier ministre moderne.
Entre-temps, les opérateurs s’interrogent sur l’environnement économique, recherchant le «feel-good factor» qui les motiverait à investir. Malheureusement, le décor est pour le moins peu reluisant : une croissance anémique franchissant difficilement la barre de 4 % alors que nos voisins africains tutoient des taux de 6 à 7 % ; l’absence de nouveaux piliers économiques durant les dix dernières années ; et certains secteurs traditionnels, jadis porteurs de croissance, qui battent de l’aile, parvenant à peine à garder la tête hors de l’eau.
À l’instar de l’industrie sucrière qui se bat pour son avenir face à une baisse du prix du sucre sur le marché mondial ; la filière manufacturière qui n’enregistre que peu de nouveaux investissements (Rs 108 millions en 2017), incapable de concurrencer les compétiteurs ; un secteur du Global Business fortement fragilisé avec les nouvelles directives de l’UE et les recommandations du blueprint; et un plafonnement des Tic, avec une croissance limitée qui se traduit physiquement par une prolifération de centres d’appels dans la cybercité d’Ébène et ailleurs, entre autres.
Autant d’enjeux couplés à d’autres plus technologiques comme la transformation qu’entraînent actuellement l’intelligence artificielle et la robotique dans les services financiers, qui n’occupent pas suffisamment la réflexion des dirigeants du pays, plus intéressés, semble-t-il, à caser leurs proches à l’approche des élections.
Certes, il y a eu l’introduction du salaire minimum, de l’impôt négatif ou encore de l’allègement du fardeau fiscal de la classe moyenne. Mais serait-ce suffisant pour renverser la vapeur et permettre à Pravind Jugnauth de bénéficier d’un nouveau mandat au bâtiment du Trésor ?
Entendons-nous bien : il n’y a pas que les «bread and butter issues» qui influencent le vote populaire. La problématique de «Law & Order» demeure une thématique de campagne qui peut faire la différence. Et quand la drogue synthétique gagne massivement les institutions scolaires, même celles des élites ; quand les crimes se banalisent ; quand le «road rage» prend de l’ampleur et que les accidents se multiplient malgré les lourdes peines prévues, il y a lieu de s’inquiéter. Et de s’interroger sur le désenchantement de la population et des lendemains qui ne chantent pas…
Publicité
Les plus récents