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Les dividendes à récolter suivant le bain dans le Gange

26 janvier 2019, 09:55

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PRAVIND KUMAR JUGNAUTH (PKJ) a été incontestablement la vedette lors de toutes les activités où il a été l’invité d’honneur durant sa participation au Pravasi Bharatiya Divas (PBD), à Varanasi, et lors du Kumbh Mela, à Prayagraj. Et il reste encore à saluer sa présence aux spectaculaires célébrations de l’anniversaire de la République de l’Inde.

Seul un sâdhu mauricien dénudé, couvert de cendre et armé de son chilom de gandia, aurait invité davantage d’intérêt que le Premier ministre lors du Kumbh Mela. Or, la délégation mauricienne de 400 membres regroupait bien de personnages, dont Raj Dayal, mais point de sâdhu ou de Suttyadeo Tengur, le grand patron des enseignants de l’hindi.

Il faudrait bien reconnaître, à la décharge du Prime Minister’s Office, que tout a été savamment orchestré pour rendre la participation du Premier ministre aux travaux du PBD aussi spectaculaire que possible. Qui aurait pensé à affréter un vol spécial d’Air Mauritius sur Bénarès (Varanasi), au tarif plus que forfaitaire, avec hébergement et déplacements internes pour s’assurer la plus grande présence de fans de PKJ possible ?

Que dire de la démarche d’inviter chaque entité officielle dans le domaine «socioculturel» à déléguer un représentant tous frais payés en Inde ? Ce qui, par exemple, a vu une femme membre du personnel supplanter son Chairman, pourtant un homme politiquement fort, dans la course au billet gratuit. Qui aurait pensé distribuer des drapeaux mauriciens afin de créer une ambiance locale de fans amoureux de la rock star PKJ lors des travaux de Varanasi ?

Cette pratique d’envelopper les visites en Inde d’un sentimentalisme excessif à fendre le cœur des âmes sensibles remonte à longtemps mais Pravind Jugnauth détient maintenant plusieurs records. PKJ a réussi l’exploit de s’exprimer à la fois en hindi et en bhojpuri lors de son discours, ce qui dépasse largement la prestation des dirigeants politiques mauriciens lors de leurs visites en Inde.

 Sir Anerood Jugnauth et Navin Ramgoolam avaient évité de tomber dans le romantisme béat. Par contre, sir Seewoosagur Ramgoolam (SSR), qui était l’invité d’honneur à la toute première conférence internationale sur l’hindi, à Nagpur, en janvier 1975, avait tenu son discours totalement en hindi, discours écrit par le ministre Dayanandlall Basant Rai. Sans le vouloir, sir Seewoosagur fit sensation car les délégués présents n’avaient jamais entendu un discours dont ils ne parvenaient pas à déchiffrer l’accent (créolisant, évidemment), ce qui les amusa fortement. SSR était parti se coucher très tard la veille, ce qui eut aussi un impact sur son delivery en parlant l’hindi à partir d’un script en lettres romaines.

 Pravind Jugnauth a fait mieux que tout le monde au niveau verbal. Mais pas seulement avec des discours. Le bain rituel dans le Gange constitue un autre exploit qui invite néanmoins un contraste pas très flatteur avec son propre père, qui a évité d’être importuné outre mesure par ses racines. Voilà un fils qui se fait davantage «jati» (communauté) que son géniteur.

Cette image de PKJ «jati» sentimental et respectueux des traditions, c’est une démarche politique voulue et calculée. Il est à prévoir que dans les semaines et mois à venir, la MBC et les autres médias contrôlés par le MSM se mettront à exploiter systématiquement différentes facettes de la visite de Pravind Jugnauth en Inde, afin de vendre cette image à un certain électorat.

 La stratégie politique et électorale du MSM est loin d’être compliquée. Il s’agit de se construire un électorathardcore. Ce faisant, le MSM entend priver Navin Ramgoolam et les travaillistes de leur principal soutien. Dans l’optique des stratèges du MSM, c’est cet électorat qui détermine tout car favorisé par le système de First Past The Post.

Une fois ce soutien acquis, le parti s’engagera dans une stratégie de conquérir les flottants d’autres segments de l’électorat, sans perdre du temps avec les composantes hostiles et irrécupérables. Selon certains stratèges indépendants, une fois que cet électorat ait exprimé son soutien soit aux travaillistes, soit au MSM, ce message est vite décrypté par d’autres qui modifient par la suite leur propre orientation électorale.

 Les stratèges du MSM ont pris la mesure des conséquences négatives de cette politique de «jati» à 100 %. D’ailleurs, un backlash s’est déjà exprimé sur les réseaux sociaux, même à La Réunion, suivant le dîner offert au couple Jugnauth par le chef ministre extrémiste de l’État de l’Uttar Pradesh, le yogi Adityanath. Au MSM, on est confiant de pouvoir régler de tels problèmes de réactions hostiles. On fait ainsi remarquer que la MBC avait réussi à présenter le père Jocelyn Grégoire comme quelqu’un de favorable à PKJ le lendemain même du concert spirituel que l’homme d’Église avait organisé le 30 septembre dernier à Gros-Cailloux et qui avait réuni quelque 40 000 fidèles.

La dernière fois que le MSM avait tout misé sur des appels au communalisme sans fard remonte à 1995, quand, sur la base de la controverse suscitée par les langues orientales et l’Église catholique, sir Anerood Jugnauth était convaincu de pouvoir bénéficier du vote de 70 % de l’électorat, c’est-à-dire les Mauriciens soutenant la cause des langues orientales.

 Sur la base de ce constat, le Premier ministre d’alors avait dissous le Parlement et rappelé le pays aux urnes. Il récolta 20,2 % des votes et fut battu 60-0. Au creux de la vague en 1982, sir Seewoosagur Ramgoolam avait fait mieux, bénéficiant de 26 % de soutien de l’électorat bien que battu lui aussi par 60-0.