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Gare à la psychose de la catastrophe
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Gare à la psychose de la catastrophe
Ainsi, le limon rodriguais est subitement devenu plus dangereux comme vecteur de maladies que la datte («tam» en créole) qu’on importe de la Tunisie. Tel serait le cas si on analyse de près le comportement des décideurs politicobureaucratiques de Maurice.
Au moment même où on annonçait l’interdiction d’importation du limon rodriguais si aimé des habitants de l’île principale et produit avec l’enthousiasme débridé d’agriculteur des citoyennes de la deuxième île en importance de notre archipel, un juge de la Cour suprême évoquait la possibilité que des dattes importées de la Tunisie pourraient avoir été infectées de bestioles au moment même de la moisson, donc avant l’exportation vers Maurice.
Le juge se prononçait sur un procès qu’avait intenté la société importatrice à sa compagnie d’assurance, lui réclamant des indemnités pour sa cargaison de dattes infectées de parasites. Le juge donna gain de cause à la compagnie d’assurances. Il nous est alors permis de comprendre que les autorités mauriciennes ne seraient pas si vigilantes pour empêcher que des bestioles vivant sur des fruits n’entrent sur le territoire mauricien. Mais nous sommes hypervigilants pour empêcher que le limon rodriguais ne soit introduit sur l’île principale. Faut-il être détenteur d’un doctorat en botanique pour savoir que la datte charnue et sucrée pourrait attirer davantage de parasites que le limon si fort en acidité et avec une écorce si épaisse. Il n’existe qu’une infime possibilité que le limon soit attaqué par la chenille. D’ailleurs, aurait-on ruiné l’économie mauricienne si on faisait subir aux limons rodriguais un tout petit bain d’insecticide ?
La décision hâtive, irréfléchie et tellement blessante envers ce peuple fier et travailleur de Rodrigues, a-t-elle été inspirée par cette psychose de la catastrophe qui gangrène de plus en plus le processus de prise de décision au niveau du gouvernement ? Les Mauriciens sont souvent ébahis par la façon dont les autorités gèrent les pluies et les inondations. Soit on ne fait rien comme dans le cas d’aménagement de drains pour empêcher des inondations, soit on crée des situations dramatiques par des déclarations alarmistes ou le déploiement spectaculaire mais inefficace de ressources, créant cette fois une psychose de catastrophe.
Peut-être qu’on ne le réalise pas assez mais cette psychose a déjà entraîné des conséquences non désirées et ingérables, au niveau de la population même, chaque averse est maintenant crainte comme un déclencheur d’inondation. Avec l’accès facile à des outils de télécommunications, la psychose est vite amplifiée et répercutée dans les médias locaux comme internationaux. Les Mauriciens vivant à certains endroits, dont Fond-du-Sac et Cottage, ont connu de sérieuses difficultés. Mais ailleurs dans le pays, en raison des cours bien clôturées de béton, l’eau de pluie s’accumule bien vite, contrairement au passé quand les maisons étaient entourées de haies de bambou ou autres fataks. Maintenant, on voit venir inondation et noyade à chaque annonce du service météo.
Quand la démagogie politique se mêle à la psychose des calamités, on assiste au déploiement voyant mais inutile des moyens, surtout sur la route. On a même maintenant un poste de commandement mobile disposant de moyens «sophistiqués» – cliché populaire dans le jargon des bureaucrates. C’est comme si la police mauricienne jouait au zouzou ménaz en prenant la place de l’armée américaine sur le terrain en Afghanistan ou en Irak. Pourtant, on n’a rien fait pour empêcher que des maisons soient inondées à Fond-du-Sac et ailleurs pour que les habitants ne vivent pas le traumatisme de la calamité.
C’est correct que le gouvernement réagit pour porter secours à la population, mais il faudrait éviter d’agir purement par démagogie politique. Sinon, des actions irréfléchies et irrationnelles pourraient à la longe impacter sur l’image de Maurice et compromettre ses atouts. Il est plus que probable que les touristes qui visitent Maurice, principalement en raison de ses trois ‘S’ (sun, sea, sand), commencent à entretenir des doutes sur le climat dans l’île et songent à trouver d’autres destinations. La destination Rodrigues pourrait être elle aussi affectée par la mauvaise gestion des dossiers comme la menace réelle ou exagérée de la chenille légionnaire.
Il pleut dans toutes les îles touristiques, mais Maurice se construit maintenant l’image d’une destination différente, là où la catastrophe des intempéries guette. Le pays assiste d’ailleurs à un recul dans le nombre des arrivées touristiques. A-t-on entrepris une étude sérieuse pour en connaître toutes les raisons ? Le risque d’un séjour compromis par une perception d’intempéries serait-il l’un des facteurs qui expliquent ce recul ? Si on dit que Maurice est victime du changement climatique, pourquoi ce fait n’affecte pas les Maldives, le Sri Lanka et la Jamaïque, qui ont supplanté Maurice dans le classement des destinations les plus prisées. La gestion du limon rodriguais symbolise bien l’absence de rigueur, de sobriété et d’efficacité dans la gestion de nos affaires.
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