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Post-Covid-19: La consolation de l’instant

1 avril 2020, 13:11

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Post-Covid-19: La consolation de l’instant

Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte, écrivait Albert Cohen. 

En ces jours glauques où le monde se délite, où les fils de notre vie semblent s’échapper de nos mains, où chaque heure nous assaille d’angoisses, de peines, d’incertitudes, et où nous avons tant besoin de chaleur humaine, nous voilà interdits, pour beaucoup d’entre nous, de tout contact. 

Ainsi contraints à la claustration et au repli sur soi, il en émerge une sorte de méfiance de l’autre, et surtout une crainte paralysante que le moindre souffle, le moindre effleurement, ou la simple proximité puisse nous communiquer ce virus qui opère sa dévastation physique et mentale en nous et autour de nous. 

Cela signifie-t-il que nous sommes, comme l’écrit Cohen, si seuls que nos douleurs sont une île déserte ? Le confinement est-il une sorte de désertification intérieure aussi bien qu’extérieure ? 

J’ai devant moi la photo de mon petit-fils de trois ans, que je ne peux pas voir parce qu’il vit à Londres. Je regarde son visage souriant, sa bouille mutine, ses grands yeux emplis d’une curiosité de la vie et je ne peux m’empêcher d’embrasser sa joue sur la photo. Et je sais que nous devons, en ces temps de détresse, faire mentir la phrase de Cohen. Nous avons créé un monde ; et nous avons un monde à créer. 

«Peut-on espérer un sursaut de l’infime pourcentage de ceux qui détiennent la richesse du monde ? Comprendront-ils à quel point la disparité entre leurs milliards et ce que gagnent les plus pauvres est une ignominie, une immonde infamie ?»

Quel sera ce monde dans lequel nous émergerons, une fois la crise passée ? Il sera, bien sûr, terriblement changé. Une faille s’est ouverte à nos pieds. Le prix à payer, en vies humaines et économiquement, sera extrêmement lourd. Peut-on espérer un sursaut de l’infime pourcentage de ceux qui détiennent la richesse du monde ? Comprendront-ils à quel point la disparité entre leurs milliards et ce que gagnent les plus pauvres est une ignominie, une immonde infamie ? Je n’en sais rien. Ont-ils seulement une conscience ? 

Mais cette rupture avec nos habitudes est peut-être un coup de semonce salutaire. Il est temps d’arrêter cette course frénétique en avant, ces habitudes de consommation qui nous ruinent et qui ruinent la planète, ce tourbillon virtuel qui n’est finalement pas le monde véritable. Ce pays qui est là, autour de nous, à nos fenêtres, et que nous pouvons pendant ces quelques semaines regarder et entendre, ce pays-là, nous pouvons réapprendre à l’aimer. 

Cessons de suivre ce modèle industriel monstrueux qui nous conduit à notre perte. Et souvenonsnous de nos valeurs. 

Cette consolation de l’instant sera sans doute brève. Mais laisser la psychose s’emparer de nous n’est pas la solution. Rééquilibrer notre vie, la repenser autrement, réfléchir, surtout, au monde de demain, qui ne sera plus le même, voilà ce qu’il nous est encore possible de faire. Nous vivons un moment critique où nous pouvons – peut-être – éviter le pire, pour nous et pour la planète. 

La solidarité qui se tisse, chaque jour de confinement, est un exemple de ce qui risquait d’être oublié dans notre course contre la montre. L’entraide était un mot perdu. Le besoin de l’autre s’était égaré dans des relations virtuelles. Car les amis sont là, à côté de nous : nos pareils, nos compatriotes qui ont besoin de nous et dont nous avons besoin. Nous ne sommes pas seuls. 

C’est peut-être pour cela qu’Albert Cohen a aussi écrit ceci : «Souris pour escroquer ton désespoir, souris pour continuer de vivre, souris dans ta glace et devant les gens, et même devant cette page.»

Ananda Devi, écrivaine et traductrice.