Publicité

Post-Covid-19: les jours d’après…

1 avril 2020, 14:13

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Post-Covid-19: les jours d’après…

Il est peut-être trop tôt pour dessiner les contours de Maurice après le coronavirus puisque nous ne sommes qu’au début de la pandémie. Le pire -- ou le pic -- est probablement à venir… 

Quoi qu’il en soit, je pourrais m’aventurer à le faire, car j’ai vécu, grâce à cinq Prix Nobel de littérature, la peste à Oran (Albert Camus), la variole à l’île Plate (J.M.G Le Clézio), le choléra en Amérique du Sud (Gabriel Garcia Marquez) et à Venise (Thomas Mann), et l’internement en Sibérie (Alexandre Soljenitsyne). Sans compter les historiens qui ont étudié les grandes épidémies dans le monde… 

Le coronavirus pourrait pousser de nombreux individus à revoir leur conception du bonheur. A la fin du chef-d’oeuvre de Soljenitsyne, Ivan Denissovitch déclare qu’il n’a pas eu faim, qu’il n’a pas été battu, qu’il n’a pas eu froid et que c’est, somme toute, une journée heureuse. Dans les situations extrêmes, le bonheur, c’est l’absence du malheur. A Maurice et ailleurs dans le monde, avant le coronavirus, le bonheur est l’accumulation de biens matériels en tous genres et le déplacement incessant. De «la société de consommation» annoncée par Jean Baudrillard, nous sommes passés à celle de la surconsommation, d’où la course effrénée dans les «Shopping centres». Et, comme l’a souligné Le Canard enchaîné, le nombre de touristes dans le monde en 2018 s’est élevé à 1,4 milliard ! Après le confinement total et le rationnement alimentaire pendant la pandémie, le bonheur pourrait revêtir un autre aspect… 

«Au-delà de l’accumulation des savoirs, la priorité d’une formation est une disponibilité.»

A Maurice de l’après-coronavirus, les individus pourraient jeter un regard nouveau sur la Nature. Le Dr Sunil Gunness a parfaitement raison de demander combien de personnes peuvent distinguer entre un manguier et un arbre de letchi ! La romancière Cristina Comencini dit la même chose dans une lettre envoyée d’Italie : «On remarque que dans la cour le cerisier est en fleurs, on reste une demi-heure à le regarder et on a l’impression qu’on ne l’avait jamais vu.» Par ailleurs, on pourrait peut-être non seulement écouter Greta Thunberg, mais enfin l’entendre, comme l’a écrit J.M.G Le Clézio. 

En ce qui concerne l’éducation, après les cours en ligne pendant le confinement, les enseignants pourraient réaliser l’importance d’apprendre à apprendre. Que, au-delà de l’accumulation des savoirs, la priorité d’une formation est une disponibilité : l’envie de toujours chercher à comprendre, la curiosité de tout ce qui n’est pas évident ou familier. Et qu’il importe d’accorder une place privilégiée à l’appropriation des démarches d’investigation, à la mise en oeuvre des recherches d’information, des démarches d’enquête ou d’argumentation pour convaincre. 

Sur le plan économique, l’île Maurice pourrait mettre l’accent sur ce que Jacques Attali appelle les industries de la vie, c’est-à-dire tout ce qui est lié à la santé. Promouvoir, en premier lieu, l’autonomie sanitaire et l’autonomie alimentaire. 
Finalement, sur le plan éthique, nous pourrions nous demander ce que valent nos anciennes règles face à la menace, à la peur et à l’urgence. Comme le monde, une nouvelle île Maurice se dessine dans l’improvisation et l’urgence. Une île qui exige de nous que nous réfléchissions, collectivement, à la façon dont nous souhaitons l’habiter. 

Mais un risque demeure : que l’après-.coronavirus soit un retour à la situation précédente, que l’on rattrape le «temps perdu» pendant le confinement ! Il faudrait alors (re) lire la fin de «La Peste» : «Écoutant, en effet, les cris d’allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Car il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu’on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais... et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse.»

Issa Asgarally, critique littéraire, auteur.