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Calamiteuse gestion

6 mai 2020, 09:56

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Il est pour le moins révoltant qu’au moment où le pays s’enfonce dans une récession causée par l’effet économique de la pandémie, entraînant dans son sillage une contraction de presque 10 % de son PIB, deux de ses entreprises-phares, Air Mauritius (MK) et SBM, se trouvent à genoux financièrement, victimes dans les deux cas d’une mauvaise gouvernance ou de l’incompétence des uns mêlée à l’ingérence politique des autres. 

La compagnie aérienne, jadis fierté de la population et l’exemple même de la réussite d’une société d’aviation régionale dans les années 70 et 80, se trouve aujourd’hui sous administration volontaire. Qu’on n’épilogue pas à l’infini que c’est la crise sanitaire du Covid-19 qui est venue clouer au pilori la compagnie aérienne nationale. Qui est d’ailleurs la propagande savamment distillée dans l’opinion publique par les administrateurs de MK et allègrement relayée par la station nationale et certaines radios acquises à la cause du régime. Qu’on se le dise clairement et fortement : Air Mauritius était sous respiration artificielle depuis plusieurs mois déjà. La fermeture de l’aéroport le 19 mars, interdisant aux passagers internationaux de fouler le sol, n’a fait que précipiter la compagnie dans le coma MK, dont les chances de survie sont ces jours-ci comptées.

C’est la seule explication rationnelle qui tienne aujourd’hui, car personne ne pourra venir justifier l’endettement massif de la compagnie, près de Rs 33 milliards contre des fonds propres de Rs 2,2 milliards, occasionnant ainsi un ratio d’endettement de 15. Pour faire simple : la dette de MK est de 15 fois supérieure au capital injecté par les actionnaires. Une situation financière désastreuse, accumulée au fil des années – amplifiée par de mauvaises décisions stratégiques du board, dont le leasing de deux avions – qui a fini par vampiriser ce joyau de l’État.

Il reviendra au tandem Sattar Hajee Abdoula- Arvind Gokhool, de Grant Thornton, de décider du sort de la compagnie après 70 jours. Entre-temps, personne ne contestera l’idée qu’en 52 ans d’existence, Air Mauritius soit devenue la sinécure pour des proches des gouvernements qui se sont succédé aux commandes du pays ces dernières années. Résultat des courses : au fil du temps, MK s’est transformée en une entreprise clanique, où les nominés des différentes obédiences politiques cohabitent dans une structure organisationnelle alourdie, avec des effectifs pléthoriques touchant des allocations de tous types qui n’existent dans aucune entreprise de Maurice.

La réalité est choquante, cruelle et donne froid dans le dos. En même temps, cela ne sert à rien à certains d’être «wise after the event» et de s’ériger en professionnels de l’aviation, élucubrant sur des réseaux sociaux des recettes toutes faites pour sortir l’avionneur du coma. Pareils à d’autres de la classe politique qui, tels des vautours, sautent sur tous les cadavres qui bougent pour se rendre visibles durant cette période de confinement. 

Comme aussi d’ailleurs dans le cas de la saga à la SBM Tower, qui vacille encore sous le poids d’un nouveau scandale financier impliquant son «exposure » et cinq autres banques commerciales, soit le groupe MCB, AfrAsia, BCP, Bank One et ABC Banking, aux créances douteuses de Rs 5 milliards impliquant NMC Healthcare, aujourd’hui placé sous administration d’Alvarez & Marsal par l’Abu Dhabi Commercial Bank.

Personne ne souhaite l’écroulement d’une institution financière, de surcroît la banque commerciale d’État – la deuxième du pays – qui, comme le rappelle justement son CEO, PV Rao, aura été «un partenaire incontournable du développement socioéconomique du pays depuis sa création en 1973» et dispose aujourd’hui d’une base de 530 000 clients répartis dans une quarantaine d’agences. Notre démarche ne relève pas non plus d’une obsession ou d’un ciblage à l’égard de cette banque. Loin de là ! Car chacun imagine les risques pour cette institution si demain il y a une ruée de ses clients vers ses comptoirs («bank run») pour retirer de l’argent.

En même temps, faut-il laisser démolir cette institution «in broad daylight» que d’autres ont bâtie pendant des années, comme Muni Krishna Reddy, celui-là même que certains nominés politiques ont critiqué jusqu’à tout récemment pour son package. Même s’il ne serait pas exempt de tout reproche, l’ex-patron de la SBM a laissé un héritage aujourd’hui méconnaissable. Certains ont géré cette banque comme la boutique du coin, accumulant des créances douteuses qui se comptent en milliards de roupies aujourd’hui et dont les séquelles sur les finances de la banque se font encore sentir.

On avait pensé que le groupe bancaire échaudé aurait appris de ses erreurs suivant de précédents scandales (le groupe Pabari au Kenya et l’intermédiaire dubaïote) impliquant des milliards de roupies de mauvaises créances. Et voilà que la banque se trouve encore en première ligne avec l’affaire NMC Healthcare. Conséquence : le bénéfice net du deuxième groupe bancaire du pays affiche honteusement, pour la première fois de son histoire, seulement Rs 15 millions. Qui représente le profit d’un magasin à la rue Bourbon !

Entre-temps, les anciens directeurs sont partis, nullement inquiets de leurs responsabilités dans ces affaires («pa mwa sa, li sa») et de nouveaux ont été nommés aux profils pour le moins éloquents. Au bâtiment du Trésor, cela semble du «business as usual» alors qu’à la BoM Tower, après un long sommeil de l’ancienne direction, la nouvelle équipe se réveille et tente de limiter les dégâts avec l’institution d’une Special Monitoring Team pour s’attaquer aux prêts transfrontaliers. Tant mieux. Avec la SBM et Air Mauritius, ce sont deux «hot potatoes» qui viennent s’ajouter aux nombreux dossiers brûlants de la relance économique.