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Le droit à l’excès
Par un tour de passe-passe avec la Bank of Mauritius Act, le gouvernement s’est octroyé un droit à l’excès. Déjà notre pays au climat tropical aime le tropisme des bulles spéculatives. Il n’y a pas de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir les signes d’excès : une culture de consommation insatiable, le gouffre du déficit commercial, le torrent des dettes publiques et privées, le déluge des crédits bancaires, les niveaux himalayens des prix immobiliers et l’euphorie passée à la Bourse de Port Louis. Ajoutée à cela une injection de Rs 60 milliards dans le circuit économique, et Maurice aura la gueule de bois.
A l’ère du Covid-19, la terminologie de l’épidémiologie (l’étude des maladies et de leur transmission à la population) est pertinente à l’analyse de l’alternance d’expansion et de récession de l’économie. Par analogie entre épidémie virale et cycle économique, le comportement individuel est fiévreux durant un boom. Dans cette phase de maladie, on pense que « this time is different », d’où un excès de confiance dans une croissance infinie, dans l’immortalité. Constitué par les entreprises et les individus impactés par l’épidémie de l’aveuglement, le taux d’infection (la capacité de la maladie à se transmettre d’une firme à l’autre) est plus élevé que le taux d’éradication (la vitesse à laquelle on cesse d’être contagieux), représenté par ceux qui en sont guéris ou qui en meurent.
D’où est venu le virus ? De la Bank of Mauritius Tower où une poignée de gens, non élus, ont le pouvoir arbitraire de déterminer la base monétaire et le taux d’intérêt. La dernière fois que le taux directeur a été relevé remonte au 13 juin 2011. Il a baissé continuellement depuis le 5 décembre 2011, même quand la Réserve fédérale des Etats Unis a augmenté le sien neuf fois, par un total de 225 points de base, entre décembre 2015 et décembre 2018. Cela a donné un faux sentiment de sécurité aux Mauriciens en leur faisant croire à une très longue prospérité.
Les symptômes classiques d’une bulle spéculative se sont pourtant manifestés. Le déficit du compte courant de la balance des paiements s’est creusé à 5,8% du produit intérieur brut (PIB) en 2018. La grisaille de l’épargne le cédait à l’investissement dans l’immobilier. Le Semdex atteignit son maximum de 2 308 points le 19 mars 2018 avec une hausse annuelle de 20% à cette date, le ratio cours-bénéfices affichant 16,8 à la fin de cette année-là.
Alors que la théorie quantitative de la monnaie semble retrouver grâce aux yeux de nos économistes, ils doivent savoir que la masse monétaire (Broad Money Liabilities) a crû presque deux fois plus vite que le PIB nominal en 2019 (respectivement 8,5% et 4,5%), ce qui laisse dubitatif une inflation annuelle de 0,9%. De plus, la masse monétaire a dépassé 100% du PIB depuis 2014, grimpant à 120% en 2019.
Parallèlement, écrit la Banque de Maurice dans son Financial Stability Report, « the growth in credit facilities availed by households and corporates outweighed the nominal GDP growth and has led to higher private sector credit-to-GDP ratio which increased to 70.5 per cent as at end-June 2019 ». La flambée des provisions pour créances irrécouvrables accumulées par les banques domestiques ces derniers trimestres pourrait être la traduction de la maturité relative du boom des crédits.
La bérézina économique provoquée par le confinement de la population va hâter le pic du cycle économique. Mais au sommet de l’Etat, on recycle de vieilles antiennes. Il faut penser la récession autrement.
Les idées agissent comme des virus. Elles circulent par le bouche-à-oreille, étant donc contagieuses. Cependant, les idées ne sont pas aussi cohérentes que les maladies biologiques, car elles font l’objet d’erreurs de transmission par le truchement de ce que Robert Shiller appelle « les mutations du virus », qui « peuvent modifier le taux de contagion avec le temps ».
Ainsi, notre ministre des finances, faute de moyens budgétaires, a troqué ses idées keynésiennes contre des idées monétaristes qui l’ont contaminé. D’ailleurs, elles ne sont pas tellement opposées, les secondes étant une mutation des premières. Milton Friedman a lui-même reconnu que « we all use the Keynesian language and apparatus ». Les deux approches sont purement macroéconomiques et orientées vers la demande agrégée, l’une focalisée sur la politique fiscale, et l’autre sur la politique monétaire.
Il existe toutefois une voie intermédiaire, irénique : les liens entre les phénomènes monétaires et les événements réels ne sont ni absolus (monétariste) ni inexistants (keynésien). La monnaie n’est jamais neutre parce que les crédits non adossés à une épargne volontaire sont incompatibles avec la demande de biens et services de consommation. Seules les forces microéconomiques, tirées par l’entrepreneuriat et les variations des prix relatifs, peuvent renverser ces effets déséquilibrants.
Après l’excès fiscal, voici l’excès monétaire ! Or, pour retrouver une bonne santé économique, tout est dans la modération.
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