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L’État paternaliste
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L’État paternaliste
On s’attendait à une hausse des droits d’accise sur l’alcool et les cigarettes dans le Budget de 2020-2021, mais ce sont les produits sucrés qui en subissent une. Certes, il est bon que les buveurs et les fumeurs ne soient pas les seuls à être surtaxés. Mais il est permis de douter que la fiscalité soit une arme efficace contre le diabète. Elle est plutôt pénalisante pour les personnes à faibles revenus. Qui plus est, l’État interfère dans la liberté de l’individu sous prétexte qu’il promeut son bien-être : c’est du paternalisme.
Un gouvernement peut être paternaliste sans avoir recours aux trois formes de coercition : l’impôt, l’interdiction (comme le confinement) et l’obligation (comme le port du masque). Mais les gens sont indisciplinés et peu responsables, ce qui invite les autorités à verser dans l’autoritarisme. Les politiciens eux-mêmes entretiennent ce laxisme par des promesses démesurées.
Ainsi, dit Ram Seegobin dans «week-end», «comme chez les dirigeants politiques, il existe chez les Mauriciens comme un refus de voir les problèmes pour ne pas avoir à les affronter. On semble penser que si on ne règle pas le problème, il va finir par disparaître. C’est une politique du laisser-aller qui, ajouté à la crise économique, va finir par conduire à l’explosion sociale».
Les Mauriciens consomment trop de sucre et de farine, épargnent très peu, empruntent au-dessus de leurs moyens, polluent l’environnement. Les psychologues appellent ces actes des biais cognitifs, les économistes des comportements irrationnels. Les campagnes de sensibilisation ne suffisent pas, comme en témoignent les morts sur nos routes et le non-respect de l’hygiène. Trois raisons expliquent cela : les individus sont jaloux de leur liberté, ils ont des préférences affirmées, et leurs désirs priment sur tout.
Dès lors, la taxation serait un moyen de ramener les gens dans le droit chemin, de les faire agir rationnellement comme l’homo oeconomicus néo-classique, cet homme économique parfaitement informé et infaillible dans ses choix. Mais c’est oublier que l’homme est de nature imparfait et qu’il apprend de ses erreurs plus que de ses succès (Karl Popper). Et puis, on ne résout pas un problème en aval, mais en amont : si les Mauriciens négligent leur santé, c’est parce qu’ils n’en paient pas les coûts grâce à l’État-providence. La faute revient à un système déresponsabilisant favorisé par le gouvernement.
Une alternative à la taxation est le «nudge», une méthode douce de politique publique, en vogue dans les pays occidentaux depuis qu’il a été conceptualisé par Richard Thaler, prix Nobel d’économie 2017 : l’État oriente les gens, par des incitations, vers une direction particulière tout en préservant leur liberté de choix. Par exemple, le gouvernement peut imposer aux supermarchés de placer les aliments sains à l’avant, sans obliger les gens à les acheter. Ce n’est pas l’État nounou aux instructions infantilisantes, néanmoins c’est un dirigisme déguisé où l’État reste toujours maternant.
Le nudge se présente sous le terme «paternalisme libertarien», mais c’est un oxymoron. Il ne cadre même pas avec le libéralisme classique. John Stuart Mill, connu pour s’opposer au paternalisme, écrit dans «On Liberty» (1859) que «the only purpose for which power may be rightfully exercised over any member of a civilized community, against his will, is to prevent harm to others. His own good, either physical or mental, is not a sufficient warrant».
Mill soutient son «Harm Principle» par un argument épistémique : parce que les citoyens connaissent leurs goûts mieux que les fonctionnaires, ils sont en meilleure position d’identifier leurs propres fins et les moyens de les réaliser. Le point ici, c’est que les gens sont les meilleurs juges de leurs actions, et non que leurs jugements sont sans faille. Ce qui est cohérent avec le fait que les individus font des erreurs cognitives. Les commis de l’État en commettent aussi, et c’est pourquoi on n’évite pas les conséquences des faiblesses humaines en substituant la discrétion gouvernementale à celle des citoyens.
Un autre argument repose sur un impératif catégorique de Kant : l’autonomie. Les gens ont le droit de choisir, que le gouvernement ne peut légitimement pas violer même s’il est mieux informé qu’eux. Les êtres humains doivent être vus comme des fins, et non des moyens, et doivent être traités avec respect. Cette morale constitue le fondement du bien-être social.
En revanche, le paternalisme étatique est «cette sorte de servitude réglée, douce et paisible» que dénonce Alexis de Tocqueville dans «De la démocratie en Amérique» (1840). Le souverain «ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige… et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger».
C’est aussi le portrait de l’île Maurice d’aujourd’hui, avec un État paternaliste qui souffre d’obésité à cause de ses politiques sucrées.
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