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Offshore: peut-on blanchir l’hypocrisie aussi ?

25 juillet 2020, 09:27

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La loi du plus fort a toujours existé et elle a été, jusqu’aux deux grandes guerres, essentiellement alignée avec la puissance militaire. Devant le carnage «pas possible» de 14-18 et de 39-45, l’humanité a tenté de se reprendre. Une première fois avec la Société des Nations en 1918, société qui devait assurer la «paix et la justice» pour tous et une deuxième fois, de manière plus ambitieuse et compréhensive, avec les Nations unies, en 1946, en remplacement de la Société des Nations. Parmi les nouveaux objectifs, le «respect de la loi internationale». L’Union européenne (UE) est aussi construite avec la même semence de réconciliation, de justice pour tous, de respect de lois communes. S’y sont greffées, depuis, une multitude d’institutions internationales, dont les directives doivent, a priori, être suivies par TOUS. Indistinctement. 

Cependant, en filigrane de ces expériences, «les plus forts» et les plus cupides se sont toujours réservé des droits différenciés et particuliers, ce qui mine le multilatéralisme. Invariablement, sous le couvert lénifiant de grands discours et de bonnes intentions, les intérêts «nationaux» des gros pèsent toujours plus lourds que ceux des maigres. Si aux Nations unies, par exemple, le vote du Vanuatu vaut a priori autant que le vote de l’Australie, il ne fait aucun doute que Vanuatu ne peut pas aider et subvenir aux besoins de l’île continent, alors que dans le sens contraire, toute aide a un impact hors proportion et peut donc acheter de la sympathie ou même un vote. C’est ce qui se passe souvent. C’est donc toujours une question de rapport de force et, souvent, de taille. 

Nous avons bien de la chance que la couleuvre des Chagos ait été bien trop grosse à avaler, sinon… 

C’est ainsi que la décision de l’UE de nous mettre sur sa liste noire apparaît être, une fois encore, une situation de pot de terre contre pot de fer. On ne peut pas dire que Maurice n’ait pas fait d’erreur. Elle en a fait, comme tout le monde ! Elle ne prétend pas être infaillible comme certains. La seule affaire Sobrinho va nous coller à la peau pour longtemps encore, c’est certain. QUI va, d’ailleurs, maintenant en assumer la responsabilité localement ? Collendavelloo, puisqu’il n’est plus dans le fromage ? Cependant, les fraudes ou scandales de Bernie Madoff, Giancarlo Paretti, Wirecard, Carlos Ghosn, Worldcom, Enron, Satyam Computers, Robert Maxwell, Bernard Tapie, Danske Bank, Clearstream, NMC Healthcare, Nick Leeson(Barings), Jérôme Kerviel (Société Générale), Parmalat, et des milliers d’autres… n’ont, voyez-vous, pas attendu Maurice pour se concrétiser ! 

Il nous reste, avant octobre, à convaincre solidement sur les cinq critères d’«effectiveness» qui restaient sur une liste initiale de 58 critères professionnellement dressée par la FATF. Mais comment peuvent-ils, à Bruxelles, sans aucun critère objectif à eux et aussi légèrement, justifier que nous soyons un «significant threat to the financial system of the Union». Quoi ? Vraiment ? «Significant threat» au même titre que l’Afghanistan, la Syrie, le Yémen, l’Iran et la Corée du Nord ! ? Faudrait-il alors, en plus, être reconnaissant et remercier que l’UE ne décourage pas ses citoyens à voyager vers notre pays, à y vendre services et marchandises, à y vivre à l’abri du Covid-19 ? 

Pour rappel, soulignons qu’un rapport de mars 2019 de l’UE elle-même (1) concluait que sept membres de l’UE facilitaient la «planification fiscale agressive» et alignaient bien des traits associés à des paradis fiscaux. Ces membres de l’UE pointés du doigt comprennent l’Irlande, Chypre, la Belgique, le Luxembourg, Malte, la Hollande et la Hongrie… Ils ne sont sur aucune liste noire. Même pas la nôtre ! 

Pour bien situer la vaste hypocrisie de cette politique de «deux poids et deux mesures», rappelons aussi que l’an dernier, le conseil de l’Europe, selon Radio France Internationale, REJETAIT la «black list» qui lui était alors proposée au motif qu’elle contenait, entre autres, quatre territoires américains, dont le Delaware, ainsi que l’Arabie Saoudite. La liste de cette année, qui a reçu l’agrément unanime et sans nuance des 27 était, comme par hasard, purgée de ces «embarras». Car, Kashoggi ou pas, l’Arabie achète des armes et de belles berlines, n’est-ce pas ! Pire ! L’ONG Tax Justice Network (TJN), qui ne fait pourtant pas de cadeaux à Maurice – c’est le moins que l’on puisse dire (2) – souligne, dans sa réactualisation de février 2020 des dix juridictions fiscales les plus opaques de la planète, que les États- Unis ont désormais dépassé la Suisse, à qui ils ont pourtant tellement fait la leçon ces dernières années ! Or, les États- Unis ne sont pas sur liste noire de l’UE. Comme l’Islande non plus… Allez comprendre ! 

Ce hit-parade, édifiant de TJN, se lit comme suit :
 
1. Îles Cayman (Territoire Britannique d’outre-mer) 
2. États-Unis 
3. Suisse 
4. Hong Kong 
5. Singapour 
6.Luxembourg 
7. Japon 
8. Hollande 
9. Îles Vierges (BVI) 
10. Émirats arabes unis (Dubaï)

À la 12e place, la Grande-Bretagne. À la 14e place, l’Allemagne. À la 19e place, le Canada. À la 29e place, l’Irlande. À la 33e place, la France. À la 47e place, l’Inde. 

Maurice est 51e ! 

Faut-il aussi rappeler que le Corporate Tax Haven Index publié, une fois encore, par l’excellente ONG TJN (3), souligne que 40 % des 18 trillions de dollars investis «cross border» en 2019 ont été réalisés à travers seulement DIX pays avec une fiscalité de 3 % ou moins. Dans ce hit-parade particulier, la Grande-Bretagne et son réseau d’appendices est le principal opérateur de ces arrangements parfaitement légaux, en occupant les trois premières places de la liste :

1. Îles Vierges (BVI) 
2. Bermudes 
3. Îles Cayman 
4. Hollande 
5. Suisse 
6. Luxembourg 
7. Jersey 
8. Singapour 
9. Bahamas 
10. Hong Kong

Sur cette liste, la Grande-Bretagne est 13e et Maurice 14e. Quand on tutoie ainsi son maître (récent), par ailleurs responsable de l’ignominie des Chagos, mérite-t-on un «bravo !» ou une inclusion en liste noire ? Je penche pour le «bravo». 

Comme nous l’écrivions le 4 août 2019, alors que Maurice se débattait après la publication des Mauritius Leaks ; Maurice n’a pas inventé le système financier dont profitaient les grands de ce monde presque exclusivement jusqu’à il y a une trentaine d’années. Nous avons tout simplement essayé de nous créer une place au soleil et de l’emploi pour nos citoyens en imitant les autres et en se pliant systématiquement aux injonctions de ceux qui dominent la planète depuis des siècles, d’abord comme puissance coloniale, bien sûr, ensuite commercialement et plus récemment institutionnellement sous la poussée de l’OECD, la FATF, l’ESSAMLAG, l’UE, le G20… Car le pot de terre… 

«Aujourd’hui on veut quoi ?» écrivions – nous alors : «Un monde plus juste ou les multinationales et les GAFA paient leurs taxes avec diligence, ou les pays riches protègent les pays pauvres plus que leurs propres pays et ou les dirigeants de pays pauvres cessent de piller les leurs pour ensuite acheter châteaux, suites, voitures et yachts luxueux dans les pays nantis ? Bien sûr ! Ce serait d’évidence, plus “moral” ! Et en attendant, qui va donner l’exemple ? Qui va faire la leçon au monde en s’autoflagellant et en se reconvertissant à l’économie de la patate douce et du manioc, comme souhaité par certains rêveurs gauches ?» 

«Mon pays ?» 

«Il n’en est pas question ! Car les faibles ne sont malheureusement pas en position de réinventer le monde ! Le problème est planétaire, pas “Mauritian” !» 

De toute évidence, notre inclusion en «liste noire» de l’UE est une vaste hypocrisie que l’on peut blanchir allègrement tant que les rapports de force s’imposeront, de manière discriminatoire, à certains et pas aux autres. Si l’on nous accuse, des fois, de blanchir de l’argent noir sorti d’ailleurs, c.-à-d. des pots de fer, (voir à cet effet, le cas Wirecard (4)), est-on prêt aussi, à Bruxelles, à y rincer et à y assécher sa conscience ?

 

1) https://www.icij.org/investigations/luxembourg-leaks/seven-eu-countries-labeled-tax-havens-in-parliament-report/ 
2) https://www.taxjustice.net/2020/02/18/financial-secrecy-index-2020-reports-progress-on-global-transparency-but-backsliding-from-us-cayman-and-uk-prompts-call-for-sanctions/ 
3) https://www.corporatetaxhavenindex.org/en/introduction/cthi-2019-results 
4) Voir : “A tale of double standards and gross injustice”, l’express, 23 juillet, p6