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En blanc, en noir et en gris

1 août 2020, 08:56

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N’y a-t-il pas de bonnes nouvelles ces jours-ci dans ce pays ?

Mais oui qu’il y en a ! Même s’il n’y a pas que ça, loin s’en faut et qu’il faut parfois nuancer…

Par exemple, nous avons un nouveau bâtiment pour la Cour suprême, financé par l’Inde; la police a arrêté 26 suspects en un seul jour; le câble sous-marin METISS s’installe chez nous et l’ l’Agence française de développement (AFD), juste avant le départ de l’ambassadeur Emmanuel Cohet, signait un protocole de prêt de 300 millions d’euros à un taux d’intérêts de 1,12 %, remboursable sur 20 ans, avec dix ans de moratoire, alors même que nous sommes catalogués depuis des mois déjà, pour la «liste noire» de l’Union européenne (UE) à partir d’octobre 2020 !

Le bâtiment de la Cour suprême, au coût de Rs 1 milliard, est un des cinq projets financés par l’Inde à l’intérieur d’une ligne de financement de 353 millions de dollars, agréée en 2016. Il s’agit d’un don direct («grant»). Parmi les autres projets majeurs, signalons l’hôpital ENT de Vacoas et le Metro Express, bien évidemment. On se souviendra cependant qu’en parallèle de cette générosité, l’île Maurice perdait son attrait majeur comme conduit pour les investissements en Inde sous le Double Taxation Agreement (DTA). En effet, l’Inde reprenait, à cette occasion, son pouvoir de taxer les plus-values réalisées en Inde par des investisseurs étrangers passant par Maurice, jusque-là taxés à 0 %, ce qui était le taux de capital gains tax à Maurice. Malgré force explications, l’opinion publique locale n’a jamais été convaincue que ce «package» financier de 353 millions de dollars était autre chose qu’un «quid pro quo» pour nous convaincre à céder nos avantages sous le DTA. Certains vont jusqu’à inclure Agalega dans le «package».

Il faut aussi ici, malheureusement, rajouter un commentaire récurrent à propos de la qualité de l’entretien des bâtiments du gouvernement. On ne connaît pas les critères retenus au gouvernement pour décider de l’enveloppe financière requise pour le maintien de ses bâtiments (existent-ils ?), mais à voir l’état de délabrement de certains bâtiments publics, on peut craindre le pire. La New Court House, à la rue Jules Koenig, par exemple, a effectivement été ‘new’ un jour, mais était quand même traité de dépotoir par l’express en mai 2018 (1). La New Supreme Court House subira-t-elle le même sort ? Comme le bâtiment Emmanuel Anquetil ou la Cyber Tower ?

La Cour suprême actuelle va être réhabilitée nous dit-on, ce qui est porteur d’espoir, mais si vous voyez la cour de Moka ou les bureaux de la police du même endroit, longtemps protégés, contre la pluie, par des bâches de honte, ou la poste de Tamarin ou la cour de Souillac, vous ne pouvez que conclure à l’abandon accéléré de structures coloniales en bois dont la réhabilitation feraient pourtant grand bien à notre image touristique «typique» et à notre paysage architectural navrant, coulé, lui, dans bien trop de béton froid et rectiligne.

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La nouvelle que la police avait arrêté 26 suspects le même jour est présentée un peu comme un triomphe. Un record même ! Pourquoi pas ? Cependant, puisque l’on n’arrête que des suspects, il faudrait aussi, pour être complet, nous dire dans un «follow up report», peut-être dans quelques semaines, combien de ces arrestations étaient bien inspirées au départ, n’est-ce pas ? De plus, il faut aussi se poser la question : ces 26 personnes sont-elles toutes devenues suspectes le même jour ou est-ce que on a délibérément accumulé des arrestations possibles jusqu’au 29 juillet avant de passer à l’action et viser ainsi «le record» ? L’explication des autorités est on ne peut plus transparente : ces arrestations font partie de l’opération Force 25, mise en place en janvier de cette année et dont le but était de «mettre la main sur au moins 25 suspects en une journée». Oulala !

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Le câble METISS, au coût de 50 millions d’euros et rendu possible par la COI, est arrivé à Maurice à la mi-juin. Il devrait être opérationnel avant l’arrivée du père Noël cette année. Fort de 24 Térabits/seconde de puissance, ce METISS-là se compare au câble SAFE de 0,15 Térabits et aux LIONs 1,2 et 3 de 1,3 Térabits et semble plus que prometteur, ayant multiplié les capacités de l’île par un facteur de quinze ! Autre caractéristique particulière : ce câble est financé par un consortium privé plutôt que public : TELMA à Madagascar, ZEOP, Canal + et SFR à La Réunion et EMTEL et CEB Fibernet (tiens !) à Maurice. Puisque chaque actionnaire peut revendre de la capacité non utilisée directement, il sera intéressant de voir si les gros volumes désormais disponibles vont faire chuter les prix et ainsi rendre possible bien des opérations nouvelles…

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Le prêt de contingence de 300 millions d’euros de l’AFD, un prêt majeur s’il en est un; l’île Maurice récoltant jusqu’à 25 % de cette ligne spéciale post-Covid destinée à toute l’Afrique, est une véritable bonne nouvelle. En effet, depuis que le pays est, étonnement, sur la «liste noire» de l’UE, certains milieux prédisaient son isolement de plus en plus marqué sur les marchés financiers mondiaux et des difficultés grandissantes pour nos banques locales vis-à-vis de leurs banques correspondantes en Europe. Cela pourrait toujours être un peu le cas, on pose certes des questions, mais il n’y a aucun doute que l’AFD, agence gouvernementale française, ne mettrait pas de telles sommes à la disposition du pays si elle craignait le pire. Le ministre des Finances, M. Padayachy, ne s’y est pas trompé et s’en est d’ailleurs léché les babines. À juste titre et en attendant nos rendez-vous d’explications avec la GAFI où il faudra, par contre, illustrer notre «effectiveness» à appliquer nos règlements et lois au-delà de la démonstration occasionnelle…

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Autre bonne nouvelle : les équipages du vraquier échoué à Pointe-d’Esny – on ne sait toujours pas comment – ont tous été contrôlés négatifs au Covid-19. L’on semble aussi penser que les remorqueurs puissants venant d’Afrique du Sud et de Singapour suffiront pour remettre le Wakashio à flot tout en permettant le pompage de l’huile lourde, le sauvetage du navire et les mesures anti-pollution. Qui vivra, verra.

Ces quelques exemples illustrent le propos du jour. Il nous est possible, selon nos regards et nos intérêts, de considérer la plupart des événements qui saupoudrent nos vies soit en noir, soit en blanc, parfois seulement en gris. Si, a priori, vous avez confiance dans les autorités de ce pays, tout ce qu’ils décideront vous paraîtra positif. Si vous n’avez pas confiance, vous soupçonnerez toujours une conspiration cachée, une motivation inavouable, une saloperie quelconque. L’attitude responsable est de juger sur pièces, de ne pas oublier le passé, de peser le pour et le contre, de nuancer.

Cependant, tout gouvernement doit reconnaître qu’il arrive au pouvoir avec un capital confiance et qu’il ne tient qu’à lui de l’améliorer – en étant transparent, en prenant des mesures clairement favorables au pays plutôt qu’à la tribu, en parlant vrai, en ayant de l’empathie – ou de le corroder, par exemple en tentant de contrôler ou de faire taire toutes les institutions supposément indépendantes du pays, en pratiquant le népotisme en veux-tu, en voilà, en utilisant des outils de répression plutôt que de raison, en imposant ses idées et ses choix sans explication et sans débat, en manœuvrant pour être le moins possible redevable à la population.

Sommes-nous tous d’accord que l’ICAC, l’Electoral Supervisory Commission, le judiciaire, le DPP, la FSC, la police, la BoM au minimum, se doivent d’être totalement indépendants du gouvernement – ce qui leur donne, bien sûr, le droit de pencher en faveur de l’État quand c’est raisonnable ? Pouvons-nous conclure que la nomination de Mme Bhoygah au Standards Bureau (et bien d’autres nominations du même genre) est honteux ? Connaissez-vous des initiatives prises depuis 2014 en faveur des libertés et de l’approfondissement de la démocratie ? Acceptez-vous d’annuler la NPF et de la remplacer par la CSG, sans que l’on vous en explique toutes les implications en détail ? Devonsnous tolérer les clauses de confidentialité généralisées ? Est-ce raisonnable de refuser une Freedom of Information Act après l’avoir promis et de manœuvrer systématiquement pour minimiser la transparence au Parlement ?

Attention ! De vos réponses, en blanc, en noir ou en gris, à ces questions (et a bien d’autres) pourrait dépendre l’avenir de notre petit pays et de ses enfants. De NOS enfants !

https://www.lexpress.mu/article/331380/port-louis-new-court-house-un-depotoir