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Pour penser au pire, faut-il qu’on en ait déjà bavé !
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Pour penser au pire, faut-il qu’on en ait déjà bavé !
Quand la première réaction de nombreux citoyens à un événement est celle du doute ou devient le contraire de ce à quoi des autorités de bonne foi peuvent s’attendre, on ne peut que conclure à un ‘breakdown’ de la confiance. Et quand la confiance fout le camp, tout peut foutre le camp…
Cette semaine, le commandant Manu de la National Coast Guard, qui témoigne devant la cour d’investigation sur le naufrage du MV Wakashio, a déclaré, selon l’express, que «les premiers appels» de la National Coast Guard de Pte-du-Diable (de 18h15 à 19h25?) au Wakashio n’ont PAS été enregistrés». Explication du commandant Manu: «…c’est pour des raisons techniques. C’est plus près pour capter». Le seul appel qui semble avoir été enregistré ce 25 juillet est celui de 20h08. Le Wakashio était alors déjà échoué depuis 19h15! Comment voulez-vous avaler cela ? Est-ce à dire qu’il faut que les navires soient SUR nos récifs pour être assez près pour que les appels de la NCG soient captés? Enregistrés?
Le commandant Manu, citoyen indien qui est déja reparti en Inde, n’en est pas à une réponse insatisfaisante près. À la question de l’ex-Puisne Judge Hamuth qui voulait savoir «A quel moment, le Wakashio aurait-il dû être averti ?», le Commandant Manu refuse de donner une réponse, nous dit Le Défi, malgré l’insistance du président Hamuth. On peut présumer qu’une réponse exacte serait embarrassante, voire incriminante; le système de surveillance de nos côtes (CSRS) étant fourni par la Grande péninsule et devant, selon le site govmu.org du 18 août 2020, servir à établir «Maritime Domain Awareness in the Economic Exclusive Zone of Mauritius» ! Remarquez bien la distinction: on ne parle pas, ici, de nos eaux territoriales (12 miles nautiques), mais de l’EEZ de 200 miles nautiques! Cette absence de réponse est d’autant plus difficile à avaler que le Premier ministre, Pravind Jugnauth, répondant à une question parlementaire le 18 août dernier aussi et élaborant sur nos moyens de surveillance, indiquait qu’à part le Coastal Surveillance Radar System (CSRS), nous avions aussi le AIS (Automatic Indentification System), le VMS (Vessel Monitoring System), le GMDSS et le IORIS sur lesquels compter! Dans sa réponse parlementaire, mis en exergue dans le communiqué du 18 août 2020, le PM affirme, serein : «Vessels which are not destined to Port Louis harbour are DIRECTED to clear our coast». M. Manu était-il au courant ? Son équipe a-t-elle compris ses ordres et suivi le protocole?
Il a aussi été expliqué par le commandant que le Barracuda et le Dornier prenaient environ 4 heures pour «se préparer pour la mission»! Cela me paraît aberrant pour des ressources devant travailler dans l’urgence… Imaginez un bateau qui coule ! D’autant qu’il faut y ajouter le temps pris par l’un ou l’autre pour rejoindre le Wakashio. Mettons une heure pour le Dornier? Si le Wakashio s’est échoué à 19h15, un simple calcul suggère qu’il aurait fallu avoir lancé l’alerte vers… 14h15 ou avant. Que faisait la NCG à cette heure-là, ou avant? Comme démontré par le ‘tracking’ du Wakashio par la compagnie Windward, il faut comprendre que le Wakashio était sur une mauvaise route (de 227 degrés) qui le menait droit sur Mahébourg depuis le 21 juillet. Personne ne voit rien, ni sur le Wakashio, ni sur les bateaux dont il croise les routes, ni dans nos équipes NCG, dont une est pourtant aussi basée à Rodrigues? Un radar de surveillance côtière qui se respecte devrait voir cet énorme bateau qu’est le Wakashio foncer directement sur Maurice (et d’évidence hors du ‘safe passage’ prévu) à au moins 200 milles nautiques de nos côtes, c.-à-d. au moment où il pénètre notre ZEE. À 11 nœuds, la NCG a donc théoriquement largement le temps d’appréhender la mauvaise trajectoire et d’intervenir quand elle voit qu’aucune correction de parcours n’est faite… Qu’est-ce qui s’est passé, en pratique, qui rend Manu si mal à l’aise? En fait, selon Forbes* et Windward, une petite correction d’orientation intervient à deux heures seulement de l’échouage, soit à 15h15. Sans cette correction le Wakashio aurait apparemment fini directement dans la baie de Mahébourg, avec beaucoup plus de dégâts possibles. Il était alors trop tard évidemment pour l’intervention du Dornier, mais il serait intéressant de savoir si cette correction mineure a eu lieu à la demande du NCG… ou pas.
À la question de Me Kushal Lobine, avocat de l’assureur: «Pourquoi les Fast Interceptor Boats n’ont-ils pas été utilisés ?», le commandant Manu biaise et répond, complètement à côté de la plaque: «Il faut demander au capitaine du Wakashio pourquoi le navire a heurté nos côtes»! C’est du : «Pa mwa sa…» plutôt arrogant.
Vraiment pas de quoi impressionner. Pire! De solides raisons objectives de douter de la capacité d’un autre de nos services publics… et donc de miner encore plus la confiance.
Un exemple des conséquences possibles de ce manque de confiance ainsi généré peut se retrouver dans l’agression par balles de Manan Fakoo, qui en est malheureusement mort. Ce qui m’aura vraiment frappé dans ce cas, maintenant que l’on aurait retrouvé les assassins, c’est la conviction avec laquelle de nombreux Mauriciens auront, dès la publication de la nouvelle, ouvertement exprimé leur scepticisme sur l’authenticité de cette agression. Leur thèse? Tout ceci est un montage, une fabrication pour détourner l’attention du public d’autres affaires particulièrement embarrassantes ces jours-ci. On peut supposer que M. Fakoo, maintenant mort, mettra plus de plomb dans la tête de ces personnes, mais ce que ce comportement, ce réflexe même, illustre c’est combien le lit de la confiance est déjà fragilisé pour engendrer des théories de conspiration aussi facilement. Autre théorie qui a souvent bon dos: la thèse communale que chacun alimente, en veux-tu en voilà, à chaque fois qu’il y a une situation qui s’y prête. Rien de plus facile et de plus irresponsable quand on a n’a aucun élément tangible en main pour le justifier, car cette spéculation est par elle-même éventuellement capable d’attiser le monstre communal! De là, il n’y a qu’un pas à faire pour spéculer sur l’escadron de la mort, le trafic de la drogue couvert par les autorités ou la corruption généralisée… Un début de preuve reste, tout de même, dans tous les cas, nécessaire ?
Si l’on tente de retracer la genèse de ce manque de confiance qui établit ce lit tellement fertile aux théories de conspiration, on retrouve évidemment la longue série, factuelle celle-là, d’ «affaires» que vit ce pays depuis quelque temps déjà et qui, cumulativement, aident à fragiliser la confiance du public: des cadavres à demi brûlés qui se ‘suicident’, des achats d’équipements ‘en urgence’ mitonnés pour les caniches du pouvoir, le bail du pandit Sungkur, les tricheries infectes sur les dépenses électorales, le népotisme criard style Choomka ou Boygah, l’achat au moins alambiqué de terrain d’Angus Road, celui au moins insolite de Medpoint, les enquêtes du PMO, les contrats de Mme Cotomili, etc., etc.
Pour avoir confiance et cesser de penser au pire, il faudrait, d’abord, simplement cesser de donner au peuple autant de raisons de douter! Et lui servir à la place, du propre, du sincère, des principes.
Pour de vrai!
Encore possible?
*https://www.forbes.com/sites/ nishandegnarain/2020/10/19/latest-satellite-analysisreveals-new-theory-for-deadly-wakashio-oil-spill-inmauritius/?sh=7d8275764ab1
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