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Recherche de rente

26 février 2021, 10:36

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On entend par gouvernance l’ensemble des institutions par lesquelles le pouvoir s’exerce pour le bien commun. Une des six dimensions de la gouvernance établies par la Banque mondiale, la maîtrise de la corruption est souvent ignorée par les donneurs de leçons de la bonne gouvernance à Maurice. Est-ce parce que le secteur privé n’est pas activement engagé dans la lutte contre la corruption, généralement tolérée et acceptée dans le milieu ? Ce serait présomptueux de voir dans les déficiences du secteur public la cause unique de la corruption. Il existe une réelle ambiguïté d’attitude à l’égard de la corruption dans la mesure où de puissants intérêts privés, se constituant en groupes de pression, exercent une influence pernicieuse sur l’action publique afin d’obtenir des rentes.

Une rente économique est tout à fait légitime en tant que rémunération d’un talent (les 107 millions d’euros du footballeur Lionel Messi en 2020), des risques pris par les propriétaires du capital (les 2,4 milliards de roupies de bénéfices des hôtels en 2019) ou de l’art d’entreprendre des innovateurs (les profits d’innovation). Mais lorsqu’une rente est un revenu prélevé aux dépens des autres, elle est non seulement injuste mais aussi destructrice de la croissance économique. Si une rente s’avère plus lucrative qu’un travail de production, les plus talentueux et les mieux formés la chercheront au lieu de produire.

La recherche et la capture de rentes sont une pratique d’autant plus répandue que l’économie est en crise. Tous les jours, des entreprises privées consacrent beaucoup de temps et d’argent à tenter de convaincre des ministres (jusqu’à les corrompre) qu’il faut limiter l’offre, autrement dit réduire la concurrence, pour protéger telle industrie ou telle firme qui bénéficiera, en conséquence, d’une rente. Les plus concernées en sont les sociétés non globalisées, exclusivement orientées vers le marché domestique, qui sont inefficaces ou qui connaissent peu d’activité entrepreneuriale.

Les restrictions aux échanges commerciaux sont l’exemple-type d’une source de rentes due à l’intervention de l’État dans l’économie. L’affaiblissement de la concurrence étrangère par les droits de douane engendre un quasi-monopole de l’industrie locale. Le gouvernement prétend sauver ainsi des emplois, mais en réalité il satisfait les actionnaires de l’entreprise protégée. Après l’introduction d’une taxe de 10% sur l’importation d’huile comestible, le cours de Moroil à la Bourse gagnait 27% en quatre sessions.

Chaque année, le budget national distribue des milliards de roupies aux entreprises sous forme d’aide, de subvention, d’incitation et de garantie, autant de rentes que les économistes regroupent sous le nom de « corporate welfare », preuve qu’il n’existe pas de « fondamentalisme du marché ». Ces soutiens publics sont vus d’un bon oeil, tout comme on trouve normal que des ministres et des patrons coopèrent sur des objectifs communs (plus de croissance). On souhaite même un retour aux grand-messes d’antan réunissant le gouvernement et le secteur privé.

Un dialogue entre les deux parties est préférable plutôt que de les voir se regarder en chiens de faïence. Mais leurs relations ne doivent pas créer des liens de dépendance : que les politiciens laissent les hommes d’affaires rivaliser entre eux ! Il convient de maintenir une saine distance entre la politique et le business, et ce, pour cinq bonnes raisons.

Premièrement, les mesures réglementaires et fiscales qui sont dictées par les employeurs servent, pour la plupart, des desseins égoïstes : celles qui sont mauvaises, une fois prises, sont très difficiles à abolir, car les bénéficiaires se battront jusqu’au bout pour les garder. Deuxièmement, même si l’intervention étatique est justifiée, comme le protectionnisme commercial, le gouvernement n’a ni la connaissance ni la compétence pour la diriger correctement en termes de quantité, de prix et de durée, ce qui l’amène à prendre conseil auprès de ceux qu’il veut favoriser.

Troisièmement, les actions gouvernementales ne sont jamais neutres : les privilèges accordés à un groupe sont au détriment des autres ou des contribuables. Même au sein d’une industrie, les intérêts des entreprises qui sont consultées diffèrent de ceux d’autres firmes. Essayer d’équilibrer des intérêts opposés ne ferait qu’accroître les coûts budgétaires.

Quatrièmement, toutes les interventions gouvernementales sont une invitation au lobbying, si ce n’est à la corruption. C’est pourquoi les politiciens les aiment bien : elles constituent un levier pour avoir des financements politiques.

Cinquièmement, des relations incestueuses entre acteurs politiques et agents économiques nuisent à la confiance du public envers un gouvernement démocratiquement élu. Si les entreprises, qui ont déjà du pouvoir, exercent aussi un poids politique, alors elles posent problème à la démocratie. Celle-ci n’est possible que si le pouvoir est divisé.

Voilà un motif valable d’une marche citoyenne.