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Zombification
C’est un phénomène qui a pris naissance au Japon au début des années 1990 : des entreprises en banqueroute sont maintenues en vie par des banques qui, avec des taux d’intérêt extrêmement bas, continuent de les financer pour qu’elles remboursent leurs prêts existants. On les appelle des entreprises zombies, des firmes dont le bénéfice avant intérêts et impôts est inférieur aux frais d’intérêts, c’est-à-dire qu’elles ne font pas assez de profits pour payer les intérêts sur la dette. Les États Unis et l’Europe ont eu beaucoup de zombies suivant la crise financière de 2008, et davantage avec la pandémie de Covid-19.
À Maurice, les autorités ne publient pas le nombre d’entreprises moribondes qui vivotent sur les aides publiques. Mais il y a bien zombification de l’économie, comme l’écrivait Sameer Sharma dès le 30 juin dernier dans Mauritius Times : «Mauritius has many more Zombie companies than we wish to admit and this number is increasing». Une chose est sûre : pour citer Rama Sithanen, «on ne pourra pas sauver toutes les entreprises».
Il existe trois types d’entreprises : celles qui sont solvables en dépit de la crise, celles qui sont viables mais insolvables en raison de la crise, et celles qui étaient déjà insolvables avant la crise. Les premières ne nécessitent pas d’aides publiques, les deuxièmes ont besoin de liquidités et méritent un soutien de l’État, et les troisièmes ne deviendront pas productives quoi qu’il arrive.
C’est du gaspillage de l’argent public que de subventionner indistinctement tous les opérateurs, même les canards boiteux, alors que la facture de l’État sous le Wage Assistance Scheme et le Self-Employed Assistance Scheme, depuis mars 2020 jusqu’à fin juin 2021, pourrait atteindre les Rs 25 milliards. Et ce sont les performants et les productifs qui seront injustement pénalisés par une fiscalité plus lourde.
Avec son antienne de « Covid- Safe», le gouvernement n’avait pas prévu un second confinement national. Si la crise dure encore un an, il devra assumer de retirer ses aides financières. Mais dès maintenant, pour éviter de zombifier des pans entiers de l’économie, il convient d’éliminer le biais des aides publiques en faveur des entreprises peu productives. Les injections de fonds publics ne doivent plus être généralisées mais bien ciblées, et même sélectives parmi les entreprises défaillantes. L’argent dépensé à sauver en vain des firmes à l’agonie, renforçant ainsi l’aléa moral, aurait pu être consacré à de la reconversion professionnelle ou à d’autres investissements profitables.
Dans une économie de marché, les ressources sont allouées là où elles sont mieux utilisées, c’est-à-dire de manière rentable. Garder sous respiration artificielle des entreprises insolvables conduit à l’explosion de la dette publique et à la stagnation de l’économie. Des aides publiques permanentes empêchent la mise en place de la destruction créatrice schumpetérienne, à savoir qu’elles entretiennent des firmes léthargiques, improductives, sclérosées, souvent bien introduites dans les cercles du pouvoir, aux dépens de nouveaux arrivants plus dynamiques et innovateurs.
Faute d’espace budgétaire, le gouvernement a recours aux réserves en devises pour injecter, via la Mauritius Investment Corporation, des quasi-fonds propres dans certains grands établissements. Il aurait dû procéder autrement au vu des liquidités excédentaires dans le système bancaire. Si l’aide publique est subordonnée à une injection de capitaux par les banques, cela permettra au marché d’identifier les entreprises viables. L’aide est décaissée en tranches au fur et à mesure que se confirme la viabilité de l’entreprise.
De plus, il faut des mesures incitant les investisseurs privés à apporter des fonds propres aux petites et moyennes entreprises qui doivent accepter une dilution du capital. Ils pourraient aussi soutenir, en les recapitalisant, les jeunes entreprises viables mais très endettées en raison des investissements passés. Ils pourraient encore aider les firmes insolvables mais viables à se restructurer.
Outre de décourager le désendettement, la politique monétaire ultra-expansive et l’abondance de liquidités intensifient la zombification de l’économie en rendant les entreprises dépendantes des aides publiques. Celles-ci ne sont jamais temporaires, car il existera toujours un problème quelconque pour qu’elles continuent sous une autre forme. Aussi longtemps que le gouvernement offre des garanties explicites (plans de sauvetage) et implicites (argent facile), les créances douteuses s’accumuleront et fragiliseront les banques.
Une vague de faillites et de liquidations a certes un coût énorme pour la société. Mais la zombification de l’économie ne bénéficie ni aux bonnes entreprises ni aux citoyens. Elle ne résout pas la surcapacité de production et ne stimule pas la création d’emplois. Elle nourrit l’inflation, détruit l’épargne et fait baisser les salaires réels. Personne n’aimerait vivre dans une économie fantôme.
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