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Corporatisme
Il est de bon ton de désigner le système économique de Maurice de «capitalisme» assorti du terme «néolibéral». Une ritournelle qui fait sourire ceux qui voient l’État se charger de tout et décider de tout. Des associations patronales aux syndicats, en passant par la société civile, tout le monde réclame des solutions de l’État à chaque Budget national, sans proposer ce que les acteurs privés peuvent faire : ce n’est pas ainsi que se définit le capitalisme. En fait, chacun paie son écot à une doctrine inspirée de Bismarck : le corporatisme.
Une attitude corporatiste consiste à faire prévaloir les intérêts d’un corps constitué, telle une corporation, au détriment des autres. Un patronat qui se contente de promouvoir seulement ses propres intérêts verse ainsi dans le corporatisme. Pour récuser le corporatisme, dont un des piliers est la constitution de rentes et de monopoles des grandes entreprises, il faut aussi être gardien de la liberté d’entreprendre.
Le succès d’une firme se traduit par des profits, son échec par des pertes. Une entreprise subsiste aussi longtemps que les gens achètent ses produits, faute de quoi elle dépose le bilan. La quintessence du capitalisme est que les détenteurs de capital sont libres de gérer au mieux les capitaux (exclusivité), mais aussi que ceux-ci puissent être échangés pour se retrouver dans les meilleures mains (transférabilité). Un système dans lequel le droit de propriété privée est exclusif mais pas librement transférable se situe aux antipodes du capitalisme.
C’est pourquoi la concentration de la richesse à Maurice va en croissant à rebours du boniment sur la démocratisation de l’économie. À peine a-ton vu, dans la dernière décennie, des introductions en Bourse par le biais d’offres publiques initiales de titres. Cette frilosité à se financer sur le marché des actions constitue l’antithèse du capitalisme du fait que les entreprises privées se fient à des plans de sauvetage de l’État et aux subventions budgétaires.
Le capitalisme ne fonctionne pas avec un marché boursier illiquide où les cours des actions grimpent en même temps que les volumes de transactions baissent ! Pareille situation réconforte les sociétés qui voudraient mettre leurs actions en gage contre des prêts bancaires ou des obligations d’entreprise. C’est que les grandes banques ne prennent plus pour parole d’évangile ces «fair value gains» théoriques obtenus à partir de la réévaluation des terres mises en collatéral. À force d’être réévalués, ces actifs ont leur valeur gonflée tellement qu’elle ne reflète plus la réalité du marché.
Voilà des traits du visage corporatiste dont les gagnants ont l’outrecuidance de pointer du doigt «les excès du capitalisme» pour obtenir de l’aide publique. Quand le corporatisme se défausse sur le capitalisme, c’est le favoritisme d’État qui règne en maître afin que les puissants du jour, qui mangent à tous les râteliers, gavent les entreprises zombies d’espèces sonnantes et trébuchantes, laissant des miettes aux petits marchands. On reconnaît ce micmac financier par l’acronyme MIC.
On admettra que circule ici un variant du capitalisme, aussi mortel que celui du coronavirus : le capitalisme de copinage et de connivence (avec l’État). On se soutient mutuellement au nez et à la barbe du superviseur bancaire : la banque dont est actionnaire le groupe A accorde un emprunt au groupe B, actionnaire d’une banque qui a prêté au groupe A.
Ayant beaucoup d’actifs mais peu de liquidités, les grands groupes privés sont réticents à ouvrir leur structure de capital à d’autres actionnaires. Ils préfèrent se droguer à l’endettement, ou se shooter aux aides publiques même si l’État est très endetté. Il est clair qu’une recapitalisation est nécessaire, soit par la levée de fonds propres, soit par la vente d’actifs, surtout dans le tourisme.
Avec des structures de coûts ballonnés, un conglomérat crée peu de valeur ajoutée. Il n’y a pas de diversification mais plutôt de destruction de valeur lorsque le rendement du capital est inférieur au coût moyen pondéré du capital. Et puis, un capitaine d’industrie ne saurait prétendre être un homme à tout faire, de la manufacture à l’hôtellerie, une compétence qui n’est reconnue que dans notre économie insulaire.
L’esprit corporatiste n’encourage pas l’innovation entrepreneuriale mais plutôt la recherche de rentes auprès de l’État. Seule grande initiative privée des 15 dernières années, la construction de villas a un faible effet multiplicateur sur la demande intérieure. Dans cette économie de rentiers, la productivité globale des facteurs n’a crû que de 1 % par an entre 2009 et 2019.
L’appel répété à des réformes structurelles ne s’adresse pas seulement au secteur public mais aussi aux firmes privées. Même s’il n’est pas entendu, l’État corporatiste, né d’une fusion d’intérêts politiciens et privés, s’effritera sous le poids de la dette et des faillites. Le discrédit des capitalistes signera alors la renaissance du capitalisme.
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