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Productivité réelle ?
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Productivité réelle ?
«Productivity isn’t everything, but in the long run it is almost everything», écrivait Paul Krugman dans «The Age of Diminished Expectations» (1990). Plus une économie est productive, c’est-à-dire, plus efficacement elle utilise le capital et le travail, plus elle prospère. Sans doute le seul indicateur économique qui compte vraiment, la productivité détermine si un pays est riche ou pauvre, à quelle vitesse il se développe, et le niveau de vie de sa population. Elle est une fonction de plusieurs facteurs, notamment du progrès technologique, de l’environnement des affaires et des compétences, ces trois éléments constituant les têtes de chapitre du rapport «Mauritius Productivity Study 2020/2021».
Les économistes comprennent par productivité ce qu’un travailleur peut produire en une heure : la valeur ajoutée brute (aussi connue comme le PIB) par heure de travail est la mesure appropriée de la productivité. Une approche plus approximative, qui est adoptée par «Statistics Mauritius», est le PIB par employé, aussi appelé productivité du travail : les gains de productivité ont progressé de 3,4 % en 2016, de 2,4 % en 2017, de 3,7 % en 2018 et de 1,6 % en 2019.
L’année 2020 a vu des pertes de productivité de 9,7 % en raison d’une baisse du PIB (-14,7 %) plus élevée que celle de l’apport travail (-5,5 %), une différence qui témoigne du manque de flexibilité du marché du travail. Car, en récession, il faut que les entreprises puissent augmenter la productivité par des changements structurels qui font des économies sur la maind’oeuvre, par exemple en éliminant des tâches routinières ou répétitives via la réorganisation, l’externalisation ou l’automatisation. À l’inverse, dans une phase de croissance marquée par une création nette d’emplois, la productivité peut ralentir parce qu’on recrute des travailleurs peu qualifiés, donc peu productifs.
Mais, diriez-vous, la productivité avait bondi de 2016 à 2018 lorsque la croissance économique était de 3,6 % par an et que le taux de chômage reculait (de 7,9 % à 6,9 %). Sur une décennie, entre 2009 et 2019, on observe une hausse de la productivité, une indication que l’économie était en meilleure santé et plus riche : selon les données de «Statistics Mauritius», le PIB par employé est passé de 15 658 à 21 250 dollars, soit une croissance annualisée de 3,1 %, et le PIB par habitant de 6 550 à 9 769 dollars (+4,1 % par an).
Cependant, rien ne dit qu’on a produit plus de biens par heure. C’est difficile de mesurer la productivité qui est masquée par les variations d’emplois. Les chiffres du PIB par employé ne reflètent pas la vraie productivité. Ils sont le résultat des dépenses monétaires ajustées par un déflateur arbitraire. Bien avant le Covid-19, la Banque de Maurice avait ouvert tout grand le robinet monétaire avec une croissance de l’offre de monnaie de 10,2% en 2015, de 9,1 % en 2016 et de 9,3 % en 2017. C’est ce qui a alimenté le PIB, la productivité qui y est associée n’étant pas un facteur réel.
Par ailleurs, la croissance économique ne sera pas durable à long terme si elle est seulement due à l’accumulation des facteurs de production (capital, travail), car celle-ci finit par avoir des rendements décroissants. Le PIB doit être tiré aussi par le progrès technique qui fait partie de la productivité globale des facteurs (PGF, ou «Multifactor Productivity»), c’est-à-dire l’efficacité avec laquelle ces facteurs sont combinés. Une double relation de complémentarité et de substituabilité existe entre l’accumulation des facteurs de production et la PGF : la première est essentielle pour lancer la croissance, la seconde pour soutenir cette dernière.
De 2009 à 2019, la contribution du travail à la croissance annuelle moyenne de 3,6% du PIB était de 13 %, celle du capital 60 %, et les 27 % restants représentant les facteurs qualitatifs qui constituent la PGF, telles la formation, la gestion et la technologie. La PGF ne croît pas assez vite, à peine 11,5% pour toute l’économie en 12 ans (2007-2019). C’est la faute du secteur public plutôt que du secteur privé, tant les disparités de performance sont criantes.
Dans cette période, la PGF n’a progressé que de 4,3 % dans l’administration publique – à charge pour le gouvernement d’investir davantage dans l’infrastructure immatérielle que matérielle – contre 50,3 % dans l’industrie manufacturière (grâce à la forte concurrence qui y prévaut). Parmi les activités privées, il s’avère aussi que la PGF stagne (l’hébergement et la restauration), ou pire décroît (la distribution, la construction et l’immobilier), à cause des régulations rigides ou d’un coût de main-d’oeuvre qui est similaire à des pays à haut revenu alors que Maurice est une économie à revenu intermédiaire.
Reste qu’il est important de conserver une attitude critique devant la qualité de la couverture statistique, les mesures monétaires étant de piètres représentations des niveaux de vie. Il est permis de douter que les chiffres de la productivité épousent des faits réels.
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