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Rien n’est certain
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Rien n’est certain
Le titre de notre première chronique de l’année avait provoqué quelques froncements de sourcils : «L’an II de la pandémie». En janvier, Maurice était «Covid-safe» au point que personne n’anticipait un second confinement national. Mais on a vite déchanté. Ensuite, on pensait encore que la situation allait se décanter après l’ouverture totale des frontières. Rebelote ou patatras ! Un nouveau variant, annoncé fin novembre, fait craindre le pire tant sur le front sanitaire qu’au plan économique. Bref, 2021 aura, à nouveau, rendu incontournable le coronavirus. Et s’il faut en tirer une leçon de vie, c’est que rien n’est certain.
Si nos patrons n’ont pas suivi un cours intensif sur le risque, ils en ont encore le temps, car une autre année de Covid-19 se profile à l’horizon. Omicron n’a pas encore livré tous ses secrets, et il est possible que d’autres variants apparaissent après lui. Au cas où des mutations inédites se propageraient, il nous faudra savoir naviguer à vue, tout en espérant que les vaccins minimisent le nombre de morts supplémentaires.
Il est vrai que l’entrepreneur est optimiste de nature, mais deux ans de Covid ont dû nous apprendre à être des pessimistes actifs. Les études de l’économie comportementale affirment que nous souffrons d’optimisme et d’excès de confiance, et que nous surestimons la probabilité de résultats favorables. Ce sont là des biais par lesquels nous restons attachés au principe d’invariance : lorsque nous analysons un problème, nous attribuons trop d’importance aux informations limitées dont nous disposons, et cela s’applique à l’entreprise, à l’économie ou à la santé.
Nous sommes ainsi victimes de ce que Daniel Kahneman et Amos Tversky appellent «loss aversion» : nous traitons les pertes avec plus de préoccupation que des gains équivalents. L’aversion pour la perte, combinée avec l’ego, conduit l’investisseur à spéculer en s’accrochant à ses erreurs dans le fol espoir qu’un jour, le marché lui donnera raison.
L’invariance échoue aussi à cause du phénomène de «mental accounting», une segmentation mentale par laquelle nous séparons les parties d’un tout. Ce faisant, nous trouvons plus douloureuse une perte isolée qu’une perte qui s’ajoute à une perte : perdre cent roupies en deux occasions totalement distinctes est plus pénible que perdre cent roupies une seconde fois à la même occasion. Ainsi, on comprend la frustration des hôteliers qui subissent des pertes financières avec la nouvelle fermeture de certaines frontières. Or, si celles-ci étaient restées fermées, les pertes auraient été pareilles…
Dès l’annonce d’Omicron, Maurice ferma ses frontières avec l’Afrique du Sud, et la France inclut l’île sur sa liste «rouge écarlate». Dans les deux cas, c’est une mesure extrême qui s’appuie sur le principe de précaution, assimilé à l’excès de précautions. Est-il justifié ?
Pour Nassim Taleb, ce principe doit être réservé aux risques systémiques. Il ne s’agit pas des risques dont les contours sont bien connus et qui n’ont qu’un impact local, par exemple, dans le transport aérien. Mais on ne doit pas faire subir de risque aux systèmes dont nous dépendons pour survivre, tel le système financier. Le Covid étant aussi un risque généralisé, le principe de précaution s’y appliquerait donc.
Il y a toutefois deux limites à cette hiérarchisation des risques. Primo, Taleb parle ici des risques à probabilités. Or il convient de faire ressortir la différence que l’économiste Frank Knight fait entre le risque, «a quantity susceptible of measurement», et l’incertitude, un risque qu’on ne peut pas quantifier, soit une situation d’ignorance totale où l’on ne peut même pas imaginer ce qui va se passer. L’ampleur du choc pandémique et la constante mutation du coronavirus engendrent plutôt une incertitude knightienne (radicale) qu’on peut apprivoiser, mais jamais supprimer. Car la connaissance humaine est toujours limitée, une réalité que nous devons accepter en toute humilité dans nos prises de décision, au lieu de chercher des certitudes, des connaissances parfaites, qui n’existent pas.
Secundo, laisser l’État se charger tout seul du risque, c’est fragiliser, voire infantiliser, la société en la surexposant au conservatisme. C’est ce qu’aura révélé le drame du Covid à Maurice en cette année finissante : le goût de la sécurité a effacé le sens de la responsabilité individuelle, créant encore plus d’insécurité. La peur du risque a failli verser dans la sinistrose et le désespoir.
Un peuple résilient en est un qui va au-devant des risques. En guerre contre le coronavirus, nous devons nous battre contre lui comme de vrais soldats, le masque sur le nez et la bouche, non pas en nous recroquevillant sur nous-mêmes dans un confinement, mais en stimulant notre énergie à nous adapter et à nous reconstruire. Et puisque, pour citer Carl von Clausewitz, «in war everything is uncertain», il nous faut savoir exercer notre jugement afin de trouver un équilibre entre risque et résilience.
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