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Les deux mamelles du privé

19 janvier 2022, 11:33

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Le Covid-19 a uni gouvernement et secteur privé dans la même communion. Au début de chaque année, les attentes sont pressantes à l’égard du premier, mais que doit-on attendre du second en 2022 ? Si une sortie graduelle de la crise sanitaire doit dessiner une normalisation des politiques publiques, ce sera du pareil au même dans le secteur privé, tant il a joui de la prodigalité d’argent public pour ne pas changer. Le monde d’après, que d’aucuns espéraient en rupture avec l’ancien, ressemblera au monde d’avant, avec les deux mamelles qui continueront d’allaiter les groupes économiques : l’endettement et l’immobilier.

Grâce aux aides publiques, financées par émission de monnaie, ces derniers ont pu sauver leur patrimoine, certains se payant le luxe de distribuer des dividendes en pleine pandémie ! Mais le secteur privé ne pourra pas toujours compter sur la générosité de l’État, lui-même endetté jusqu’au cou. Les conglomérats retournent déjà à leurs financeurs traditionnels, les banques, au lieu de recourir à des augmentations de capital en Bourse. Il semble qu’on n’ait rien appris des leçons du Covid-19 sur le piège de l’endettement.

Dans son dernier “Financial Stability Report”, la Banque de Maurice se vante que «bank credit growth sustains optimism», vu que «bank lending to corporates grew at an annual rate of 9.7 per cent as at end-September 2021». Rapportés au PIB, les crédits bancaires aux entreprises ont progressé de 10,5 points en dix ans, de 49,8 % en septembre 2011 à 60,3 % en septembre 2021.

La dette d’entreprise est, en fait, plus élevée. Les sociétés qui ont émis des «convertible bonds» pour le compte de la Mauritius Investment Corporation les comptabilisent en capitaux propres afin de montrer un désendettement. Mais est-ce vraiment des obligations convertibles lorsque l’émetteur peut les racheter à tout moment, mais que la MIC ne peut pas exercer l’option de conversion avant leur échéance ? Elles sont plutôt des obligations «plain vanilla» qui sont traitées comme des dettes ordinaires.

L’endettement privé est encouragé par la banque centrale elle-même avec l’excès de liquidités causé par la création monétaire et l’assouplissement des réglementations en matière de prêts. D’une part, l’écart de crédit (différence de rendement entre une obligation d’entreprise et une obligation d’État) s’amenuise, voire devient négatif (le groupe Ciel proposait en mai 2021 un taux de 4,35 % pour une durée de 13 ans). D’autre part, le pouvoir de négociation des grands emprunteurs se voit renforcé, et le coût des fonds des prêteurs diminué, avec pour résultat une baisse des taux à l’emprunt, dont la moyenne pondérée était de 4,58 % en novembre dernier, à peine supérieure au rendement de 4,36 % des titres publics à 10 ans.

Les banques peuvent se permettre d’être aussi laxistes tant que leur rendement des capitaux propres (12,4 % en moyenne en septembre 2021) est supérieur au taux d’inflation. Cependant, du point de vue de l’économie nationale, le rôle prépondérant des banques favorise un maillage d’intérêts croisés très dense et difficile à pénétrer de l’extérieur, et qui est protégé financièrement contre les investissements directs étrangers. L’avenir du pays ne saurait être, pour l’essentiel, aux mains de ces créatures fragiles qui n’ont pas «les esprits animaux».

En retour, notre marché boursier doit être plus dynamique et innovant. Si l’on met de côté la spéculation financière, il n’attire pas assez les demandeurs de capitaux, et ce, malgré un faible coût du capital (le rendement de l’action du marché est de 2,85 %). Bien que l’appréciation du capital soit plus rapide pour les valeurs boursières que pour les biens immobiliers, on préfère ceux-ci.

C’est que l’obsession du court terme et le culte du profit immédiat président au développement immobilier. L’année 2022 devrait être, au contraire, une occasion de penser au long terme et à la diversification de l’économie mauricienne. Dans une récente publication, IPRO Investment Professionals, une société de gestion d’actifs, écrit sans ambages que «the country has become highly dependent on foreign investment in its real estate market. We therefore propose a shift back to agriculture and industry, if we don’t want to be severely hit when the next crisis reaches our shores».

Pour cela, il convient de prendre des risques industriels, lesquels s’accompagnent de sacrifices financiers. Un entrepreneur doit accepter de subir des pertes avant d’engranger les premiers bénéfices, car il faut non seulement couvrir les coûts de lancement, mais aussi conquérir un marché. Le succès d’un produit se construit au quotidien et dans la durée : il passe par la mise au point de méthodes de fabrication et d’un réseau de distribution, il exige de savoir convaincre les clients, et il nécessite d’assurer le suivi après-vente. La réussite est le fruit d’une stratégie tenace et de l’esprit d’entreprise, les deux mamelles nourricières d’une économie compétitive.