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L’anatomie du travail
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L’anatomie du travail
Lorsqu’il était ministre du Développement économique, Sushil Khushiram disait que «la dualité gros capital/travailleurs est révolue». Vingt ans plus tard, force est de constater que le fossé idéologique entre patronat et syndicats ne s’est pas rétréci, mais s’est creusé. Covid ou pas Covid, les discours syndicaux n’ont pas changé d’un iota. Dans un monde post-Covid marqué par la désorganisation-réorganisation du travail, l’année 2022 verra-t-elle nos syndicalistes à l’avenant de la dureté de l’environnement économique ? Les patrons pourraient les y aider s’ils donnaient une touche esthétique à l’anatomie du travail en s’interrogeant sur son sens profond.
L’entreprise n’est pas qu’un «paquet d’actions», suivant la vieille expression de Keynes, ni une simple marchandise dont le propriétaire dispose librement. L’entreprise doit aussi être vue comme une sorte de communauté où les pouvoirs de l’actionnaire sont balancés par ceux du management et du personnel. Les employés qui donnent le meilleur d’eux-mêmes sont ceux qui sont attachés à leur entreprise comme à une famille, et aussi rémunérés d’après leur rendement individuel. Les employeurs doivent démontrer leur confiance dans les employés, investir dans leur développement professionnel, réévaluer le lieu de travail et définir de nouveaux schémas de travail.
Car la pandémie est venue accélérer une tendance préexistante, celle du télétravail. Mais tout ne peut pas se dérouler en distanciel, des salariés travailleront de manière hybride, et le télétravail ne sera supportable que s’il est limité dans le temps et n’est pas imposé. Tôt ou tard, on renouera avec le collectif de travail, ce qu’attendent les syndicats qui ont raison de se méfier du télétravail. C’est seulement en présentiel qu’un jeune peut être formé sur le tas, et on a moins de chance d’être promu quand on est invisible aux yeux des chefs. Entre les employés sur place et d’autres chez eux, une fracture finira par se former et créer des tensions.
Le télétravail ne doit pas être un moyen de réduire les coûts d’entreprise. Il est vrai que ceux imposés par le pouvoir public sont hors du contrôle de l’entreprise, à savoir la compensation salariale, l’interdiction de licencier les travailleurs improductifs et, s’ils sont introduits, les congés Covid, sans compter les charges patronales telles que la Contribution sociale et la «Portable Retirement Gratuity» (une bonne mesure qui favorise la mobilité du travail, mais qui affectera la trésorerie de l’entreprise). Bien téméraire l’employeur qui recrutera dans de telles conditions et sans la flexibilité de restructurer.
Les gogos et bigots des «droits acquis» poussent l’entreprise à traiter ses employés comme un simple facteur de production, au mieux comme un exécutant mécanique de gestes répétitifs. Elle doit, au contraire, faire appel à la participation et à l’intelligence de chacun, ce qui suppose qu’un effort particulier soit consacré à la formation professionnelle (un coût immédiat pour un rendement à long terme) dans ses rapports de fidélité à la firme. La véritable richesse d’une entreprise, ce n’est pas son capital, mais la qualification et le savoir-faire de ses employés. Il convient de promouvoir professionnellement tous les salariés dans le cadre d’une politique de gestion prévisionnelle des carrières.
Avec le patronat, les syndicalistes responsables peuvent gérer en grande partie le programme de formation continue de l’entreprise et débattre du contenu de cet enseignement. Avec des positions mesurées et raisonnables, ils prendront compte des impératifs économiques et contribueront à combattre l’inflation. Une attitude favorable au consensus ne peut qu’être payante pour les travailleurs.
Hélas, tout espoir de dialogue social est vain quand une syndicaliste, Jane Ragoo pour ne pas la nommer, croit qu’il y a «plus de méchants que de gentils» parmi les patrons. Déjà, qualifier les patrons de mauvais contient un fort jugement de valeur. Maintenant, glisser du mauvais au méchant, c’est présenter le patronat comme l’incarnation du mal. Or, Platon expliquait comment le médecin devait parfois infliger des souffrances à son patient, sans pour autant faire preuve de méchanceté à son endroit. Il doutait même, à l’instar de son maître Socrate, que l’homme pût faire le mal intentionnellement.
Certaines décisions patronales font du mal aux travailleurs, mais le patronat ne prend pas le mal comme projet. On ne nie pas que les licenciements et les bas salaires sont des fléaux, mais ils ne sont pas voulus en tant que tels. Ils sont les résultats d’un nombre incalculable d’actions individuelles qui ne sont pas du ressort de l’employeur. À trop cultiver le soupçon envers ce dernier, on tombe dans une logique de la haine qui mène à l’affrontement, contre-productif pour l’employé. Le patron n’est ni méchant, ni gentil : c’est un patron, c’est tout.
Que le questionnement patronal sur le travail aille jusqu’au bout, malgré le raidissement du corps syndical.
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