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La guerre de Poutine fait planer un épais nuage sur la reprise

2 mars 2022, 11:12

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La guerre de Poutine fait planer un épais nuage sur la reprise

À peine que le monde se remet péniblement de la pandémie qui a fauché plus de 5,9 millions de vies et coûté 10 000 milliards de dollars au PIB mondial qu’il se voit plonger cette fois-ci dans un conflit armé qui, s’il n’est pas réglé par la voie diplomatique, risque de déboucher sur une guerre nucléaire. Une éventualité qu’il ne faut pas prendre à la légère car la Russie demeure la deuxième plus grande puissance militaire mondiale avec un indice de puissance de 0,0791 selon GlobalFirePower, derrière les États-Unis qui ont un indice de 0,0718. Elle dispose d’une armée de plus de 2,1 millions de soldats et réservistes et surtout de l’arme nucléaire. Si depuis la Seconde Guerre mondiale et ce, jusqu’à l’effondrement de l’URSS, les Américains et les Russes ont, malgré leur fossé idéologique, préféré la voie de la guerre froide plutôt que de croiser le fer frontalement, c’était en raison de cet équilibre de la terreur maintenu par l’arme nucléaire.

Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, ne s’est pas trompé quand quelques heures après le début des hostilités, il a déclaré que l’humanité connaît ses heures les plus sombres depuis 1945. Jusqu’ici, c’est à juste titre que les États-Unis et l’Union européenne, le Royaume-Uni et le Canada se sont montrés fermes vis-à-vis de Vladimir Poutine, en utilisant l’arme des sanctions économiques pour tenter d’endiguer ses velléités belliqueuses. Ces sanctions financières sans précédent touchent notamment les oligarques faisant partie de la nomenklatura russe dont les avoirs sont gelés et certaines banques proches du Kremlin exclues du système financier international. De même, elles concernent le contrôle sur les exportations des matériels de pointe comme les puces électroniques vers la Russie dans le but de freiner le processus d’industrialisation basé sur l’économie numérique prôné par Poutine. Vendredi, l’Union européenne a convenu du gel des avoirs européens de Poutine et de son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov.

Autre sanction majeure : la suspension du gazoduc Nord Stream 2 qui, après son entrée en opération, aurait permis à la Russie de fournir chaque année 55 millions de mètres cubes de gaz à l’Europe et garantit à Gazprom, dont le gouvernement russe est l’actionnaire majoritaire, des recettes de 15 milliards de dollars.

«2022 était perçue comme l’année de l’espoir et de la reprise. Mais elle sera placée sous le signe de la guerre. Une guerre qui risque d’entraîner toute l’Europe dans son sillage»

Il s’agit d’un travail de sape visant à couper l’économie russe du reste de l’Europe. Malgré les affirmations du Kremlin que ces sanctions ne le dissuaderont pas dans sa démarche de démilitariser et de dénazifier l’Ukraine, dixit Vladimir Poutine, il n’empêche que son coffre de guerre composé d’abondantes réserves en dollars et en or, notamment, finiront à terme par s’amenuiser et qu’il se met à dos les hommes les plus puissants de la Russie et une forte partie de sa population ; celle-ci n’a que faire des délires de gloire et de restauration de l’Empire qu’anime leur président. D’ailleurs, à l’exception de la Chine, qui dit comprendre la volonté de la Russie d’agir au nom de la sécurité de son territoire, les principaux chefs d’État ont fait subtilement comprendre que ce n’est pas la Russie en tant que tel qu’il faut condamner, mais un homme et sa vision restaurationniste d’une Union soviétique qui appartient à l’histoire et ses craintes de voir l’influence militaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) se rapprocher de son territoire. C’est à une coalition anti-Poutine que les pays développés appellent de leurs vœux.

Sur le plan économique, la guerre en Ukraine aura des conséquences profondes. Il faut prévoir un ralentissement de la croissance mondiale qui, selon les dernières prévisions du Fonds monétaire international, sera de 4,4 % en 2022. On a eu un aperçu des répercussions de la guerre sur les marchés financiers dès le premier jour de l’invasion, soit le jeudi 24 février. La Bourse de Moscou a fortement chuté avec l’évaporation de 250 milliards de dollars en une séance et le rouble dévissait face aux principales devises forçant la Banque centrale de la Fédération de Russie à intervenir sur le marché des changes pour limiter la casse. Les cours pétroliers s’affolaient avec le baril du Brent dépassant la barre des 100 dollars. Idem pour les marchés financiers européens. À 9 heures GMT, le CAC 40 (Paris) perdait 3,14 %, le DAX 30 (Francfort) reculait de 4,3 % et le FTSE (Londres) était en repli de 2,67 %. L’impact s’est fait aussi sentir sur le marché du gaz avec le Dutch TTF grimpant jusqu’à 29,5 % en une journée. Un signe avant-coureur de la crise qui guette le Vieux continent si jamais la Russie, qui lui fournit 40 % de ses besoins en gaz, ne décide de répliquer en appliquant à son tour des sanctions. Certes, il reste à l’Europe l’option de se tourner vers d’autres pays producteurs de gaz comme la Norvège, les Émirats arabes unis, le Qatar et l’Algérie, mais cela ne sera qu’une solution temporaire.

Outre la crise des hydrocarbures qu’engendrera la guerre en Ukraine, il faut s’attendre à une flambée des prix des céréales. Il faut savoir que la Russie et l’Ukraine sont les deux principaux producteurs et exportateurs de maïs et de blé au monde. Ainsi, dans le cas de l’Ukraine, qui est une économie largement agricole avec 55 % de terres arables, ce pays fournit 12 % et 16 % de la production mondiale de blé et de maïs, selon les données du Centre de Commerce International. Il est également un gros producteur de graisses végétales et de colza.

Loin de l’épicentre du conflit armé, Maurice, étant pleinement intégré dans le système de la mondialisation, ressentira à un certain degré les conséquences du ralentissement attendu de l’économie mondiale et de la pression sur les prix des commodités. Source d’inquiétude majeure, l’inflation qui est calculée à 4 % en 2022 devrait être encore plus élevée. Dépendant de l’évolution des cours pétroliers, il faudra sans doute compter quelques milliards de roupies additionnelles sur notre facture pétrolière. Déjà en décembre 2021, l’importation de carburant nous a coûté Rs 3,9 milliards contre Rs 1,8 milliard en décembre 2020. Une augmentation substantielle des prix du carburant et des céréales pèsera lourd sur notre balance courante qui, selon MCB Focus, devrait afficher un déficit équivalant à -12,7 % du PIB en 2022. Une estimation qui sera fort vraisemblablement revue à la hausse malgré l’apport en devises étrangères découlant de la reprise dans le tourisme et d’une meilleure performance attendue dans le secteur du global business avec la sortie de Maurice de la liste noire de l’Union européenne.

La guerre viendra, par ailleurs, accentuer les perturbations aux chaînes d’approvisionnement avec des retards de livraison, notamment pour les céréales. De plus, plusieurs navires de Maersk naviguent dans la zone du conflit et leurs activités risquent d’être perturbées avec pour conséquence une pression supplémentaire sur le fret qui, sur certaines destinations, a grimpé de plus de 400 % depuis la crise.

Autant d’inconvénients auxquels l’on devrait s’apprêter à faire face. 2022 était perçue comme l’année de l’espoir et de la reprise. Mais elle sera placée sous le signe de la guerre. Une guerre qui risque d’entraîner toute l’Europe dans son sillage. Pour le moment, la courroie diplomatique est rompue. Mais il faudra rétablir le dialogue et continuer à militer pour la paix en attendant que les lourdes sanctions qui touchent les intérêts des puissances économiques russes et qui dégraderont la vie sociale et économique en Russie fassent grandir la tension de l’intérieur. Dans les semaines à venir, le sentiment anti-Poutine gagnera en intensité. En dépit de la machinerie à propagande, l’antagonisme va grandir au sein de la population russe, surtout si cette guerre des frigos sur laquelle tablent les puissances occidentales donne lieu à terme à une situation d’hyperinflation.

En fin de compte, la stratégie concertée de diaboliser Poutine et de ne pas accuser directement la Russie est peut-être la clef pour mettre un terme à ce conflit.