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On a frôlé une nouvelle crise financière
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On a frôlé une nouvelle crise financière
Résolue à combattre l’inflation à n’importe quel prix, la Réserve fédérale s’est brûlé les ailes. Sa politique agressive de resserrement des conditions monétaires qui frise l’obsession est, ces jours-ci, le détonateur d’une crise majeure qui touche surtout les petites et moyennes banques américaines. Sur une période de 11 mois, la Fed aura relevé à huit reprises ses taux directeurs, la dernière intervention remontant au 1er février dernier. Aujourd’hui, les Fed Funds se situent dans la fourchette de 4,5 % - 4,75 % contre 0 % - 0,25 % en mars 2022. Il s’agit des taux les plus élevés depuis octobre 2007. Le dernier communiqué de la Fed laissait à penser que d’autres hausses des taux d’intérêt seraient nécessaires pour ramener l’inflation, actuellement à 6 % aux États-Unis à un taux proche des 2 %.
Engagée dans cette folle course pour casser l’inflation au mépris de la croissance, la Fed a fait la sourde oreille aux sirènes d’alerte, notamment le scepticisme affiché par le prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz, qui, déjà en février dernier, questionnait la pertinence de la stratégie de durcissement monétaire, en soutenant que celle-ci pourrait impacter lourdement la croissance sans freiner pour autant l’inflation.
Puis, cela a été le coup de tonnerre. En l’espace d’une semaine, trois banques se sont effondrées : la Signature Bank, la Silvergate Bank et la Silicon Valley Bank. Leur faillite n’est pas le résultat d’une mauvaise gestion, mais elle est directement liée à la stratégie monétaire de la Fed qui n’aura rien vu venir. Dans le cas de la Silicon Valley Bank, la seizième plus grosse banque américaine en termes d’actifs et qui abrite surtout les start-up de la tech, elle s’est retrouvée à court de liquidités. Qu’est-ce qui s’est passé ? C’est simple. Les petites et moyennes banques comme la Silicon Valley Bank se sont constitué un stock d’obligations d’État, jugées comme étant sûres. Le hic, c’est que quand les taux d’intérêt ont pris l’ascenseur, les bons du Trésor à long terme ont inversement vu leur valeur chuter. Dans le même temps, la Silicon Valley Bank a été contrainte d’augmenter ses dépôts pour retenir ses clients et éviter qu’ils ne se tournent vers une grosse banque, ce qui a mis la pression sur ses marges. Cela a provoqué une bank run (panique bancaire). C’est ainsi que le 9 mars, il y a eu une ruée féroce avec des déposants effectuant des retraits de 42 milliards de dollars.
Si l’autorité monétaire américaine n’a pas volé au secours de la Silicon Valley Bank, elle est toutefois intervenue pour protéger les dépôts des entrepreneurs. Un sauvetage de dernière minute pour éviter un risque de contagion à l’ensemble du secteur financier bancaire et non-bancaire. Tout porte à croire que cet épisode va calmer les ardeurs de l’administration Biden dans sa volonté de donner encore quelques tours de vis monétaire en 2023. D’autant plus que l’agence de notation Moody’s vient d’annoncer qu’elle a revu à la baisse les perspectives de l’ensemble du secteur bancaire américain, les faisant passer de stables à négatives.
Au vu de l’affaiblissement des banques américaines, il se pourrait que la Fed change son fusil d’épaule et procède à une détente monétaire dans les mois à venir pour soutenir le secteur bancaire.
Mais, le mal qui touche la finance mondiale pourrait être beaucoup plus profond. Après la Silicon Valley Bank, cela a été au tour du Crédit Suisse, l’une des 30 plus grosses banques au monde qui représentent un risque systémique car jugées «top big to fail». Le cas du Crédit Suisse est toutefois différent des banques américaines. Depuis ces trois dernières années, la banque est minée par les allégations de non-conformité aux mécanismes de lutte contre le blanchiment d’argent. Elle est notamment accusée d’avoir hébergé des milliards d’euros de fonds criminels. En mars 2022, elle a fait l’objet d’une enquête de la Chambre des représentants après la destruction de documents sur les grosses fortunes russes.
L’annonce d’une éventuelle faillite du Crédit Suisse après que son actionnaire principal, la Saudi National Bank, eut refusé de procéder à sa recapitalisation a, en fin de semaine, fait souffler un vent de panique sur les marchés financiers européens, rappelant la faillite de Lehman Brothers, qui était l’événement déclencheur de la crise économique de 2008. En une journée, l’action Crédit Suisse a perdu 24 % de sa valeur.
Véritable mastodonte de la finance mondiale, le Crédit Suisse détient plus de 1 600 milliards de francs suisses d’actifs dans le monde contre 200 milliards de dollars pour la Silicon Valley Bank. Un éventuel écroulement de cette institution systémique aurait eu un effet d’entraînement d’abord sur l’ensemble du secteur bancaire avant de se propager à l’économie mondiale. Fort heureusement, le pire a été évité car, dans un premier temps, la Banque nationale suisse a accepté d’injecter 50 milliards de francs suisses pour empêcher un crash du Crédit Suisse. Ensuite, son rachat par UBS, la plus grande banque de gestion de fortune au monde, pour un montant de 3 milliards de francs suisses (alors qu’elle est valorisée autour de 7,4 milliards de francs suisses) dans un laps de temps extrêmement court permet à la finance mondiale de pousser un grand ouf de soulagement.
L’on se rappellera qu’après la crise économique de 2008, les pays du G20 s’étaient concertés pour amener une série de réformes, dont Bâle III, dans le but de renforcer la solidité financière des banques. Cela, en mettant en place des mécanismes pour réduire leur exposition aux actifs toxiques et s’assurer qu’elles fonctionnent avec des fonds propres adéquats. Aujourd’hui, force est de constater que ces mécanismes comportent des failles. Résistant depuis la pandémie, le secteur bancaire chancelle pour la première fois. Il s’agira pour les autorités monétaires de voir quelles sont les défaillances et d’adopter une nouvelle génération de réformes pour mieux protéger le système financier mondial. Il ne faut pas oublier que si le monde a pu résister à la violence du Grand confinement, c’est grâce à la robustesse des banques qui ont pu abreuver l’économie réelle en liquidités pendant cette période sombre.
À Maurice également, il est essentiel d’exercer une vigilance de tous les instants. Nous sommes encore dans un cycle de crise et la résilience du secteur bancaire pourrait être mise à rude épreuve si les opérateurs n’appliquent pas rigoureusement les mesures macro-prudentielles. Le dernier Financial Stability Report de la Banque de Maurice révèle que les résultats des tests de résistance (stress test) ont montré que le secteur bancaire continuait à être résistant. Toutefois, précise le rapport, certaines banques sont tombées dans une zone de vulnérabilité avec l’augmentation du capital minimum réglementaire, y compris pour maintenir des positions solides en matière de solvabilité et de liquidité.
Par ailleurs, le Financial Stability Report souligne que les risques pour la stabilité financière se sont accrus dans le monde en 2022 et devraient rester élevés à mesure que les conditions macroéconomiques se détérioreront en 2023. Les répercussions de la pandémie, la guerre en Ukraine, les perturbations des chaînes d’approvisionnement, les pressions inflationnistes et le ralentissement potentiel de l’économie mondiale en 2023 sont quelques-uns des facteurs susceptibles d’affecter le système financier mondial.
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