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Un Budget sous haute tension sociale
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Un Budget sous haute tension sociale
Le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, entre dans la dernière phase de son exercice budgétaire. Cela après des consultations tous azimuts avec l’ensemble des stakeholders du pays. À l’approche de l’échéance du début du mois prochain, les attentes sociales pour des lendemains meilleurs sont, sans doute, grandes pour les ménages tout comme les entrepreneurs, voire les capitaines de l’industrie, qui surveilleront comme le lait sur le feu si le Grand argentier a entendu et compris leurs urgences.
Pour autant, le mood dans le pays est ailleurs ; la population est résignée face à ce qu’elle entend, ressent et observe, sans pouvoir mieux faire. Devant un régime enfermé dans sa tour d’ivoire, refusant de voir se défiler une succession de scandales qui minent visiblement l’environnement social, alors que l’ingérence des institutions clés du pays est plus que jamais décriée par la population.
Il y a visiblement des signes qui ne trompent pas. Quand des récidivistes en libre circulation tuent froidement des retraités sans défense pour quelques milliers de roupies pour avoir leur dose ; quand les touristes redeviennent les cibles privilégiées de jeunes agresseurs sur le littoral et que ces attaques font écho dans la presse spécialisée ; quand l’image d’une démocratie fortement atteinte nous fait chuter dans des classements internationaux avec, en prime, des attaques contre les journalistes répertoriées par Reporters sans frontières, ou quand le Directeur des poursuites publiques doit recadrer les réponses parlementaires du Leader of the House, quelque part «something is rotten»...
Entre-temps, après le meeting du 1er-Mai, l’alliance gouvernementale doit se rendre à l’évidence que la marche pour un troisième mandat à l’hôtel du gouvernement demeure longue et qu’à une année de l’échéance électorale, la course reste visiblement grande ouverte. À moins que le quatrième Budget de Padayachy soit le déclencheur d’un duel électoral qui pourrait se tenir cette année.
Or, les observateurs sont unanimes à reconnaître qu’il y a, quelque part, un parfum électoral dans l’air, et que tout est une question de rapport de force politique et de timing. Car si on part du postulat que ce sera le dernier Budget, il faudra s’attendre, disent-ils, à un Budget électoraliste qui répondra aux intérêts souvent divergents des consommateurs. Pour le moment, Renganaden Padayachy repousse cette hypothèse, ne laissant rien percevoir, si de grandes manœuvres sont à l’œuvre, et montrant que c’est toujours business as usual au sein de son équipe.
Certes, il y a des priorités budgétaires sur lesquelles il doit s’arrêter, parmi les milliers des propositions faites lors des consultations. L’économiste Eric Ng est catégorique. Comme la pandémie est derrière nous, la priorité budgétaire du ministre, estime-t-il, devrait être de normaliser la politique fiscale, d’autant que le déficit budgétaire s’est accru, dépassant la barre des 5 % du PIB. «Il est à noter qu’il n’y a pas eu de ventes d’actifs de l’État qui, selon le dernier Budget, aurait rapporté Rs 22 milliards au Trésor public. C’est une raison de plus pour contenir les dépenses publiques. Mais puisque les élections approchent, la priorité du gouvernement sera de créer un feel-good factor au sein de la population.»
Cependant, il n’y a pas mille solutions. Pour perpétuer ce feel-good factor, le gouvernement aura à distribuer des cadeaux électoraux à tour de bras et à cibler les catégories de la population qui peuvent potentiellement renvoyer l’ascenseur le moment venu. «Je ne serais pas étonné que l’allocation de Rs 1 000 accordée aux salariés touchant moins de Rs 50 000 par mois soit étendue», martèle Eric Ng, rappelant que ce n’est pas à la veille d’une grande échéance électorale, qu’elle soit cette année ou l’année prochaine, que le gouvernement s’engagera dans des réformes économiques qui sont forcément impopulaires. Il cite, par exemple, la libéralisation sans tarder du marché du travail afin de pallier le manque aigu de main-d’œuvre qui affecte tous les secteurs de l’économie. Tout en sachant que c’est un sujet qui demeure politiquement sensible.
Faut-il s’attendre alors à ce que le prochain Budget maintienne la politique de ces trois dernières années ? Soit d’encourager la consommation pour relancer la croissance, en dépit de l’accroissement du déficit commercial et une inflation élevée. La question est posée par des économistes, d’autant plus que les dépenses en consommation grimpent d’une année à l’autre, passant à Rs 326 milliards en 2020 à Rs 350 milliards en 2021 et Rs 400 milliards en 2022. «Ces données prennent en compte une inflation à deux chiffres. Mais au-delà de cette précision, ce qu’il faut retenir, c’est le caractère paradoxal de cette économie. Comment expliquer qu’une population, qui souffre de l’effet de la perte du pouvoir d’achat et des pressions inflationnistes, parvienne à dépenser autant des milliards dans la consommation, qui représente aujourd’hui presque 70 % du PIB et qui tire l’économie ?», analyse l’économiste Rajeev Hasnah. À vrai dire, il n’a pas de réponse à cette problématique. Mais tout laisse croire que c’est le poids de l’économie souterraine qui dope la consommation, estimée par certains économistes à 30 % du PIB. Aujourd’hui, elle devrait exploser avec le business lucratif de la drogue et du blanchiment d’argent qui saute aux yeux et que les spécialistes évaluent à des dizaines de milliards de roupies.
Et quid de l’interrogation entourant la décision de Statistics Mauritius de baisser l’inflation en glissement annuel à 8,3 % en avril 2023, contre 11 % en avril 2022, qui interpelle le commun des mortels, qui ne comprend pas la rationalité de cette détente inflationniste alors que les prix des articles de consommation montent toujours en flèche ? Rajeev Hasnah l’explique par le fait qu’il s’agit du quantum d’augmentation, qui fait bondir les prix, et qui a baissé entre deux périodes.
Qu’on ne se voile pas la face ; l’inflation est une taxe déguisée qui agit positivement sur les recettes fiscales de l’État et sur la dette publique en relation au PIB. L’année dernière, le ministre Padayachy avait ciblé des recettes fiscales de Rs 148 milliards pour l’année fiscale 2022/23, en exploitant l’effet bénéfique de l’inflation. On saura s’il a réussi son objectif dans moins d’un mois.
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