Publicité
Le piège de la dette
En temps de crise, quand les taux d’intérêt sont au plus bas et quand la survie prime sur toute autre considération, l’endettement est la solution privilégiée par les États pour sortir de l’ornière et leur permettre de continuer à répondre à leurs engagements tout en soutenant l’économie réelle. L’on feint alors d’oublier les belles résolutions, comme celles de respecter la cote d’alerte de Maastricht établie à 60 % au début des années 90.
Mais c’était un autre temps. La grande récession de 2008 a contraint les pays développés à se tourner vers le marché de la dette pour lever des sommes astronomiques pour ne pas sombrer dans le chaos. Le cas des États-Unis est édifiant. Autour de 8 900 milliards de dollars en 2007, soit l’équivalent de 62 % du PIB, la dette publique a littéralement explosé suivant la survenance de la crise des subprimes, pour atteindre 16 000 milliards de dollars en 2012, franchissant la barre des 100 %. Pareillement, au sein de la zone euro, la dette publique a crevé le plafond dans plusieurs pays, à commencer par la Grèce, l’Italie, le Portugal, l’Espagne, Chypre, la France et la Belgique, avec un taux à trois chiffres.
La pandémie et la guerre en Ukraine ont poussé les pays développés encore un peu plus dans le piège de l’endettement. Si bien qu’aujourd’hui, la France et les États-Unis sont en fâcheuse posture. Dans le cas de la France, sa note souveraine a été abaissée de «AA» à «AA-» par l’agence de notation Fitch Ratings en raison d’une dette publique abyssale calculée à 111,6 % du PIB à fin décembre 2022 et d’un déficit public de 5 %, ce qui constitue un sérieux revers au «Quoi qu’il en coûte» de Macron et un rappel cinglant à l’État français qu’il devra réduire son train de vie.
Aux États-Unis, la crise de la dette est beaucoup plus profonde. Le président Joe Biden mobilise ces jours-ci toute son énergie pour convaincre les républicains, qui sont en majorité à la Chambre des représentants, d’agréer un relèvement du plafond de la dette fédérale. Selon la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, la dette publique américaine a atteint le plafond des 31 400 milliards de dollars, soit autour de 122 % du PIB depuis la mi-janvier. Pour l’heure, les républicains restent inflexibles, imposant une condition stricte, à savoir que l’administration Biden réduise les dépenses fédérales de 4 500 milliards de dollars sur les dix prochaines années contre un rehaussement du plafond de 1 500 milliards de dollars.
Faute d’un accord politique, les États-Unis encourent le risque d’être en situation de défaut de paiement dès le 1er juin. Si ce scénario se matérialisait, les conséquences seraient terribles pour l’économie américaine, sans compter l’impact sur les marchés financiers. Être en défaut de paiement implique que l’État américain sera appelé à privilégier ses obligations liées au remboursement de ses dettes et à couper certaines dépenses, comme celles liées aux prestations sociales. Ce sera également un retour à l’austérité budgétaire et ce que cela comporte comme frein à la croissance et à la création d’emplois.
«Avoir une dette publique déraisonnable, c’est compromettre l’avenir des générations à venir»
L’autre conséquence, c’est que les investisseurs exigeront une prime de risque sur les obligations américaines, ce qui donnera inévitablement lieu à une hausse des taux d’intérêt, accentuant du coup les perturbations sur les marchés financiers. On n’est pas dans une fable médiatico-politique ; la menace est réelle. La Director of Strategic Communications du Fonds monétaire international (FMI), Julie Kozack, n’a d’ailleurs pas manqué de faire ressortir que le secteur bancaire américain, déjà fortement éprouvé ces dernières semaines, sera particulièrement vulnérable dans l’éventualité où les taux d’intérêt grimperaient. Craignant de «très graves répercussions» sur l’économie mondiale, le FMI appelle au bon sens de la classe politique américaine pour décanter la situation au plus vite.
La dette publique, quand elle devient systémique, est semblable à une spirale infernale. Non seulement, elle met une pression folle sur les finances publiques et leste chaque citoyen d’une lourde charge, mais encore, elle limite la marge de manœuvre du gouvernement et sa capacité à investir dans des projets de modernisation et à soutenir les agents économiques. Avoir une dette publique déraisonnable, c’est compromettre l’avenir des générations à venir.
À l’approche du Budget 2023-24, les risques que pose le niveau élevé de la dette publique pour les États-Unis et la France devraient servir de piqûre de rappel à nos gouvernants et les placer devant leurs responsabilités. Si en valeur nominale, elle a augmenté de Rs 23 milliards (de Rs 460,5 milliards à Rs 483,5 milliards) de septembre 2022 à mars 2023, par contre, en termes de pourcentage du PIB, la dette publique a chuté de 84,6 % à 81,9 % pendant cette période. Cela tient du fait que l’économie mauricienne est en pleine croissance depuis le second semestre de 2022, comme l’atteste la performance financière des grandes entreprises.
C’est bien évidemment une bonne nouvelle que l’État mauricien réduise progressivement le niveau de sa dette publique, surtout dans le contexte de l’évaluation de Moody’s sur la note souveraine du pays, mais est-ce que ce taux de 81,9 % du PIB reflète l’endettement réel du pays ? On sait que sous différents gouvernements, il y a eu une utilisation parfois abusive des fonds communs de créances (Special purpose vehicles – SPV) pour financer des projets d’envergure. Vu que ces entités sont structurées comme des compagnies domestiques, leurs transactions sont considérées comme étant extrabudgétaires. Donc, elles n’impactent pas le bilan du gouvernement. Dans le passé, l’État a utilisé ce genre de montage financier pour le projet Metro Express, la création de zones économiques spéciales ou encore celle de la Mauritius Investment Corporation.
Ainsi, si l’on prend en considération l’élément des SPV – dont l’entité mère demeure le gouvernement – dans le calcul de l’endettement réel, l’on arrive à un chiffre moins flatteur que 81,9 %. Il serait donc souhaitable que dans ses efforts pour ramener la dette publique autour de 71,8 % du PIB d’ici à juin 2025 (ce sont les estimations du Trésor public dans le Budget 2022-23), le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, n’utilise que parcimonieusement les SPV, comme l’a d’ailleurs recommandé la Banque mondiale en 2021. Mais il est aussi vrai qu’en cette période de reprise, le gouvernement ne peut se permettre une politique d’austérité budgétaire. D’où l’importance de présenter un Budget équilibré qui, tout en étant pro-croissance, ne mette pas une trop forte pression sur les finances publiques.
Publicité
Les plus récents