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Illusions perdues

11 juin 2023, 08:47

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Le Budget a été généralement bien accueilli. Pourtant il est largement illusoire dans sa réalité chiffrée brute et non fardée.

Ne faut-il pas tenir compte du fait qu’une croissance de 8,7 % en 2022 n’est qu’une croissance de rebond après une régression de 14,6 % en 2020 due au Covid ? Faut-il se réfugier continuellement derrière un PIB en roupies nominales pour faire voir une «croissance» solide ? Apparemment si, puisque le PIB en valeur réelle (c-à-d, mesurée en roupies non dévaluées, pour l’essentiel) n’a malheureusement toujours pas tout à fait retrouvé son niveau prépandémie de 2019. Le PIB en valeur nominale est diablement plus vantard, bien sûr… avec accent sur le mot «diablement».

La croissance nominale prévue par le ministre des Finances pour 2023-24 est de 8 %. La projection implicite pour l’inflation est de 9 %. Vous la voyez, la croissance réelle ? Que doit préférer un pays réaliste et raisonnable entre une croissance de 5 % avec une inflation à 3 % et une croissance de 10 % érodée par une inflation à 15 % ? Je vous le demande !

La balance des comptes courants a beau être dopée par les recettes ragaillardies du tourisme, mais elle est affreusement déficitaire de 14.4% du PIB cette année ! C’est crucial et c’est lourd ! Car ce ‘trou’ d’environ Rs 80 milliards représente notre surconsommation de devises par rapport à ce que nous gagnons grâce au tourisme, au textile, au sucre, au thon, etc. Pour combler ce trou, il faut, soit encore plus dépendre de l’offshore, emprunter ou puiser dans nos réserves. Or, les réserves de la BoM auraient déjà chuté de USD 7 milliards à USD 5 milliards depuis 2019, si l’on écarte les emprunts en devises faits par le pays sur cette période…(*)

« Dans un «paradis» fiscal où tous paieront moins, sauf les fumeurs et les buveurs, doublé d’un état providence paradisiaque pour tous aussi, ne serions-nous vraiment pas avec… un paradis de trop ? »

Pendant que le pays et les bancs du gouvernement baignent dans l’euphorie d’avoir contenté toutes les clientèles possibles, le FMI et Moody’s affûtent leurs crayons… Et le pensionné qui va recevoir Rs 1 000 de plus sur sa pension de Rs 10,000 (+10 % d’amélioration apparente) ainsi que le salarié touchant Rs 25 000, qui va voir son CSG Income allowance doubler à Rs 2,000 (+8% de progression), vont bientôt découvrir que ce démon de l’inflation leur reprendra… 9 % ! Peut-être plus ? Espérons moins !

Très peu de gens s’inquiètent, par ailleurs, du futur sur la base des promesses sur la CSG et les pensions, avec une population qui vieillit. Si cela vous interpelle, il faut lire le prévisionnel de Aon Hewitt (**), qui n’est pas rassurant non plus.

Je m’en veux de contribuer à casser le mood, mais nous jouons avec le feu en masquant une grande partie de la vérité, grâce à l’illusion monétaire, à l’inflation et au renvoi des problèmes vers le futur. Dans un «paradis» fiscal où tous paieront moins, sauf les fumeurs et les buveurs, doublé d’un État providence paradisiaque pour tous aussi, ne serions-nous vraiment pas avec… un paradis de trop ? Surtout si la productivité nationale reste molle, y compris celle du port, et que l’investissement productif reste faible ?

***

Fréquentable, finalement, avec le temps ? Apparemment !

Bashar Al Assad est un dictateur syrien depuis l’an 2000. Son père, Hafez Al Assad, président entre 1971 et 2000, était, comme lui aussi, aux commandes du parti Ba’athiste, dès lors à dominante alaouite (***). Il avait pris le pouvoir grâce à un coup d’état contre l’État républicain impopulaire de Jadid et prônait, au départ, l’unité nationale dans un cadre qualifié de… «léniniste-gaullien». Dans la recherche d’un successeur, Bashar n’était que le troisième choix de son père, n’ayant jamais trempé en politique jusqu’à qu’il soit sélectionné. Le premier choix, Rifaat, jeune frère du président, avait été évincé en 1984 après avoir malhabilement tenté de prendre le pouvoir a la faveur d’une période d’hospitalisation d’Hafez. Le second choix, l’ainé des fils de Hafez Al Assad, mourut dans un accident de voiture…

Bashar Al Assad, ne bénéficiant pas des loyautés de son père, se crut graduellement obligé d’évoluer vers un état policier totalitaire, s’étant mis à dos la Syrie rurale sunnite, les masses laborieuses citadines, les hommes d’affaires, les intellectuels et de nombreux industriels. L’Union européenne, les États-Unis et la majorité de la Ligue arabe l’invitèrent même à démissionner en 2011 après la terrible répression du printemps arabe syrien, qui mena d’ailleurs à une guerre civile qui fit 580 000 morts et créa 7 millions de réfugiés hors des frontières. Le printemps syrien réclamait simplement des réformes politiques incluant le rétablissement des droits civiques et la fin de l’état d’urgence en place… depuis 1963. Bashar Al Assad a dit «Non !» et a été, par la suite, accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, notamment à cause de plus de 300 attaques meurtrières au gaz utilisant, entre autres, du sarin et du chlore.

Entre 2013 et 2014, la guerre civile allait de plus en plus mal pour Assad au point de causer de sérieuses dissensions au sein du gouvernement, des démissions, des assassinats et de nombreuses arrestations. Cependant, en septembre 2015, Poutine offrait son aide militaire à Assad, ce qui permit à ce dernier de reprendre l’initiative et de «libérer» Aleppo au début de 2017. Entretemps, le plus gros danger dans la région, c’était le grand califat d’ISIS que combattaient tant les États-Unis que la Russie.

Chaque sept ans, dans des «élections» obligatoires très officiellement décrites comme le «renouvellement des engagements d’allégeance» envers les Assad, les votes engrangés par le candidat gouvernemental atteignent plus de 95 %.

Assad, mis au ban des nations depuis 2011 et jugé alors infréquentable, a cependant été accueilli les bras ouverts par la Ligue arabe récemment au motif que c’est un préalable essentiel à une région plus stable et plus prospère. Espérons-le, car la toile de fond régionale avec le Yémen, le Soudan, la Syrie, l’Iran, la Palestine, Israël, l’Iraq, le Liban, l’Afghanistan, la Tunisie et le Pakistan paraît vraiment compliquée…

Autre «infréquentable» qui semble être sur le chemin du retour : Nicolas Maduro ! Reçu avec les honneurs par le président Lula au Brésil cette semaine, il avait été banni par Bolsonaro, le fantasque prédécesseur de Lula, depuis 2019. Un léger dégel avait été noté entre les ÉtatsUnis et le Venezuela depuis l’an dernier quand les États-Unis étaient à la recherche de sources alternatives de pétrole et de gaz pour les Américains et les Européens, après l’invasion de l’Ukraine, mais rien de très concret n’avait cependant émergé. L’élection de plusieurs gouvernements de gauche en Amérique latine va cependant, selon les observateurs, favoriser la réintégration de Maduro dans le concert des nations, d’autant que son parcours d’élections truquées et d’atteintes aux droits humains est loin d’être du même niveau que ceux d’Assad, d’Ortega ou de Poutine, par exemple. Lula a d’ailleurs très formellement demandé aux Américains de lever leurs 900 sanctions «exagérées» contre le Venezuela. Dans le sillage de la débâcle de l’alternative Guaido, cela n’étonnerait personne que des accommodements se concrétisent dans quelque temps. Après tout, avec qui se réconcilier, sinon avec ses ennemis, fussent-ils d’ordre idéologique, culturel ou militaire ?

Si seulement ces embrassades pouvaient aussi assurer le bonheur des peuples et mener à ce que les dirigeants qui font leur malheur paient, de leur côté, le prix de leurs sottises et de leurs égoïsmes !

Il est ainsi estimé que plus de 6 millions de Vénézuéliens ont dû fuir leur pays jusqu’ici… népotisme, violence orchestrée, crises politiques et économiques menant à un déficit de confiance dans l’avenir et à un… déficit de denrées et de marchandises sur les étagères. L’inflation en 2022 est à 234 %, une vaste amélioration sur les 686 % de 2021 ! L’économie a progressé de 10 % en 2022, mais le PIB a tout de même été réduit par 75 % entre 2014 et 2021 dans un pays pourtant béni par des réserves pétrolières, les plus élevées de la planète avec 304 milliards de barils !!! Le salaire minimum dans cet État socialiste est cependant toujours de 6 dollars au mois… 22 ans après le plan «Bolivar» de Hugo Chavez qui a mené à 1 200 nationalisations, à une centralisation outrancière des contrôles bureaucratiques et à un État providence, pour un temps très généreux, mais, à la longue, débilitant et insoutenable. Comme on le voit, les meilleures intentions du monde peuvent mener au désastre quand on habitue son peuple à trop de dépendance et de prébendes et à pas assez de travail et de production…

*) Lire Sushil Khushiram, «Illusion et danger» dans l’express du 9 juin 2023

(**) Lire Aon News Alert sur le budget 2023-24

(***) Dans la population syrienne on retrouve environ 15% d’alaouites (largement persécutés et méprisés pendant des siècles jusqu’aux années ’70), environ 65% de sunnis, 10 % de chrétiens ainsi que des kurdes et d’autres minorités.