Publicité
Éclairage
Cadeaux électoraux : jusqu’où ira le gouvernement ?
Par
Partager cet article
Éclairage
Cadeaux électoraux : jusqu’où ira le gouvernement ?
S’il ne faut pas s’étonner de cette distribution tous azimuts de cadeaux du gouvernement à la veille des élections, vu que les dirigeants d’un régime à l’autre tenteront désespérément entre deux échéances de s’accrocher au pouvoir, cette pratique, bien que courante, suscite des questions sur la manière dont ces promesses sont faites, notamment lorsqu’elles s’apparentent grossièrement à l’achat des consciences d’une population en quête d’un quelconque confort financier.
Ces dernières semaines, le pays vit à l’heure des annonces électorales, allant du démarrage des projets d’infrastructure à l’ouverture des services publics ou encore à la révision, voire le réalignement des salaires, tant dans le privé que du public, et sur la livraison d’un premier lot de 232 logements sociaux d’ici le mois prochain, entre autres.
Le pays s’approche inexorablement du Jour J, la date exacte faisant toutefois l’objet des pires spéculations des partis politiques comme des observateurs, chacun cherchant à factor in le calendrier scolaire, l’agencement des fêtes religieuses, avec une considération sur les influences astrales et sur le dividende politique que le Premier ministre et ses principaux lieutenants souhaitent engranger auprès d’une large frange de la population, se recoupant entre les différentes classes et catégories sociales, à travers cette série d’annonces électorales.
Cependant, il faut s’attendre à ce que la population monte les enchères dans les jours et semaines à venir, sachant que l’alliance gouvernementale est entrée dans une logique de surenchère électorale. L’annonce d’une possible grève des travailleurs dans l’industrie sucrière (laboureurs et artisans), menée par des syndicats faisant partie du Joint Negociating Panel, déçus de ne pas bénéficier d’une révision salariale contrairement à d’autres, illustre bien l’engrenage dans lequel les gouvernants actuels se retrouvent, condamnés à satisfaire sans arrêt les exigences d’une large section de l’électorat.
Aujourd’hui, la dernière carte politique du tandem Jugnauth-Padayachy, sans doute électoralement porteuse de votes, pourrait être l’octroi d’un 14e mois à la fin de l’année à l’ensemble des travailleurs. Cette proposition, entendue ici et là, a été formulée au Parlement par l’ex-leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval, aujourd’hui en négociation d’alliance avec le MSM. Si une telle annonce devenait une réalité prochainement, pourrait-elle changer la donne politique à l’issue des prochaines élections générales ?
Oui, pour certains électeurs, qui ne s’intéressent qu’à leurs poches, plus soucieux de savoir quel parti va faire exploser leur portefeuille à la fin du mois. Mais il existe d’autres franges de l’électorat qui, à la faveur d’un rendez-vous démocratique, comme la tenue d’un scrutin, se livrent à un exercice sérieux de comparaison des manifestes électoraux entre le gouvernement sortant et son challenger immédiat mais aussi aux prétendants aspirant à prendre le pouvoir. Certes, la philosophie économique et sociale prônée par les partis en lice ne relève d’ailleurs d’aucune grande différence idéologique.
On peut comprendre que face à la cherté de la vie, comme étant la principale préoccupation d’une majorité de la population, celle-ci serait tentée de cautionner le parti qui lui redonnera d’une manière pérenne le pouvoir d’achat afin qu’elle puisse joindre les deux bouts à chaque fin de mois, sachant que le revenu moyen mensuel des ménages a augmenté de 84% en dix ans, passant d’un peu plus de Rs 29 400 en 2014 à Rs 55 600 aujourd’hui.
Financement des promesses
La question centrale reste : jusqu’où le pouvoir en place compte-t-il aller dans la distribution de cadeaux uniquement à des fins électoralistes ? On n’ose pas croire que the sky is the limit, même après le jugement du Privy Council, le 16 octobre, rejetant l’appel de Suren Dayal contre le Premier ministre et ses deux colistiers concernant des allégations de bribes électoraux lors des élections générales de 2019. Et de la conclusion du Conseil privé à l’effet que «the fact that a proposal, promise or measure to the electorate represents money or valuable consideration (and is designed to win votes) does not mean, without more, that it amounts to illegal bribery».
Cependant, certains experts de la finance tirent déjà la sonnette d’alarme et s’interrogent sur la provenance de ces milliards promis à tour de bras pour financer les largesses économiques et sociales de ce gouvernement. D’abord, avec le réalignement salarial des employés du privé suivant l’augmentation du salaire minimum de 29% en janvier 2024, ce qui viendra alourdir les charges financières des entreprises qui auront à trouver Rs 6 milliards pour les financer. Ensuite, la révision salariale des fonctionnaires, avec l’application du rapport du Pay Research Bureau (PRB) en janvier 2026, mais avec un backpay d’une année en avance, soit en janvier 2025. Du jamais vu, diront certains syndicalistes de la fonction publique. Même s’ils ne rejettent pas la démarche gouvernementale, ils souhaitent ouvrir un débat sur l’indépendance de l’institution qu’est le PRB, pour qu’elle ne serve à aucun intérêt politique.
Le Trésor public peut compter sur l’Inflation Tax perçue sur cette masse d’argent additionnelle injectée dans le circuit économique, suivant les dernières prestations sociales couplées aux autres mesures de soutien accordées aux économiquement faibles de la société. La MRA compte recueillir Rs 207 milliards au terme de l’année fiscale 2024-25 alors qu’en 2017-18, les recettes fiscales s’élevaient à seulement Rs 106 milliards. Or, le hic est qu’entre-temps, il n’y a pas eu de progression durable et soutenable de l’économie réelle, comme le souligne l’économiste Rajeev Hasnah dans ses différentes déclarations de presse.
Dans la foulée, le gouvernement peut aussi miser sur les Rs 5 milliards à engranger en juin 2025 et provenant de la Corporate Climate Responsibility (CCR) Levy de 2 %, introduite dans le dernier exercice budgétaire et imposée sur les bénéfices des entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à Rs 50 millions annuellement. Cela alors même que cette nouvelle imposition fiscale suscite toujours des inquiétudes dans certains secteurs, dont le global business, où les opérateurs estiment qu’elle viendra davantage le fragiliser après avoir été fortement secoué par le dernier amendement au traité fiscal entre l’Inde et Maurice, acté en mars dernier.
Dans les grandes démocraties, l’alternance politique est courante, même si la tentation est forte pour que le parti en place cherche par tous les moyens à maintenir le pouvoir et que le government in waiting prépare de son côté son shadow cabinet. Pour cela, il faut faire preuve de responsabilité au sommet de l’État dans la gestion des affaires. Trop souvent, l’héritage économique laissé par le gouvernement sortant est vivement critiqué par son successeur, avec une caisse vide, des squelettes dans le placard et un fardeau financièrement insoutenable à porter pour la population.
Ces derniers temps, des spécialistes avancent qu’au rythme où vont les dépenses électorales, la dette publique pourrait franchir la barre de Rs 600 milliards d’ici la fin de l’année. Peu importe le gouvernement qui sera appelé à prendre la barre du pays, le défi demeure la gestion de cet héritage économique. Si l’opposition PTr-MMM-ND répète que le redressement économique sera particulièrement difficile après la prise du pouvoir, le MSM ne doit pas, en même temps, laisser percevoir une image «après moi, le déluge», pour reprendre ce fameux adage.
Publicité
Les plus récents