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Antony Leung Shing

«Ce gouvernement a ouvert les vannes des dépenses avec un relâchement de la discipline budgétaire»

29 mai 2024, 18:52

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«Ce gouvernement a ouvert les vannes des dépenses avec un relâchement de la discipline budgétaire»

Le no 1 de PwC Maurice décrypte les grands enjeux économiques à quelques jours de la présentation du cinquième et dernier budget de Renganaden Padayachy. S’il ne s’attend pas à aucune surprise, Anthony Leung Shing pense néanmoins que cet exercice budgétaire privilégiera une forte dose sociale, compte tenu du contexte électoral mais qu’il faudra toutefois mieux cibler l’aide sociale pour ne pas hypothéquer l’avenir du pays. Car il part du simple postulat que ce qu’on dépense aujourd’hui, il y faudra bien le payer demain.

Le ministre des Finances situe son cinquième et dernier budget dans la continuité de ceux présentés antérieurement pour répondre aux attentes de la population et celles des opérateurs économiques. Que doit-on comprendre par un budget de continuité alors que nous sommes dans une année électorale et que le gouvernement sortant va jouer son va-tout pour privilégier des mesures fortement sociales, voire électoralistes, pour séduire la population et essayer de remporter la bataille électorale ?

Comme nous le savons tous, c’est un gouvernement qui prône le socialisme. Je ne m’attends à aucune surprise et, comme annoncé, les mesures budgétaires seront axées vers l’économie, l’environnement et surtout une forte dose sociale. L’économie se porte plutôt bien et le risque est que le budget surfe sur cette vague de dynamisme économique. En ce qui me concerne, la véritable question est la gestion des finances publiques et le risque du ‘laisser-aller’ budgétaire sous prétexte d’une année électorale. Ce gouvernement a ouvert grand les vannes des dépenses et on constate un relâchement de la discipline budgétaire. Les mesures couteront cher sur le long terme, et le budget ne doit pas encore donner des cadeaux à tout le monde. Les prestations sociales coûtent actuellement Rs70 milliards et c’est la dépense publique la plus onéreuse. Nous devons mieux cibler l’aide sociale et ne pas hypothéquer l’avenir du pays.

Après l’annonce des mesures–phares de l’opposition PTr-MMM-MD, dont une bonne partie porte sur le social, notamment des solutions pour soulager financièrement les ménages contre la hausse du coût de la vie avec les baisses de prix sur l’essence, le diesel, les médicaments, l’électricité, entre autres, estimez-vous que le ministre Padayachy n’aura pas de choix que de faire mieux pour surpasser l’offre de l’opposition. Doit-on comprendre que c’est le terrain social qui va dicter l’orientation du prochain exercice budgétaire?

Comme mentionné plus haut, je ne m’attends pas à ce que l’aspect social soit une composante importante de ce budget. Si cela est inévitable, il faudrait néanmoins mieux comprendre les mécanismes de financement des mesures d’aide et d’allégement. Par exemple, les taxes payées sur chaque litre d’essence représentent, de manière générale, plus de 40 % du prix de l’essence. Près de la moitié du montant récolté va dans les caisses de l’État pour financer, entre autres, les subventions sur le riz ration, la farine et le gaz ménager. Il faut aussi faire ressortir que le prix de l’essence contribue également à l’inflation par son effet multiplicateur. D’autre part, ces dernières années, la caisse CSG a été aussi utilisée comme un moyen de financement des mesures de soutien. Et là, c’est dangereux. La caisse CSG ne devrait pas servir uniquement à la pension de vieillesse. Elle se vide rapidement et il faut protéger notre avenir. Si je peux résumer : le social oui, mais à quel prix ?

On entre dans une phase de la campagne où on assiste déjà à une surenchère au niveau des promesses électorales. Des observateurs indépendants et des économistes ont tendance à qualifier ces mesures de populistes, voire électoralistes. En même temps, on ne peut empêcher une alliance de l’opposition, qui représente l’alternance au gouvernement en place, de présenter des mesures pour régler les grandes problématiques auxquelles le pays est confronté. Comment avez-vous analysé ces 20 mesures-phares qui font toujours débat parmi les stakeholders ?

Aujourd’hui, nous faisons face à une situation où l’état-providence prime et le peuple s’est habitué à cette qualité de vie. Le peuple s’attend maintenant à recevoir cette assistance sociale, et il sera difficile pour les gouvernements futurs de renverser cette tendance. Ce qui est dangereux est que ça devient une surenchère : les mesures économiques annoncées continuent dans ce même sens, soit une augmentation de la pension, prestations sociales, transport public et internet gratuits, allocations aux jeunes de moins de 28 ans. Devenons-nous une nation d’assistés ? Toutefois, je suis tout à fait pour les réformes institutionnelles, comme le besoin de revoir le fonctionnement du port, de l’aéroport et du CEB. Le pays a fait d’énormes progrès avec la modernisation de notre réseau routier ; il est essentiel que nous améliorions notre connexion internationale. Les infrastructures de transport peuvent être un levier de développement non seulement pour favoriser une croissance économique durable, mais aussi améliorer la qualité de vie des Mauriciens.

Une des mesures qu’on peut qualifier de progressiste est le congé maternité d’un an payé. Elle suscite beaucoup d’interrogations des différentes parties concernées. Qu’en pensez-vous ? Constitue-t-elle une avancée pour la femme et à terme, peut-elle résoudre la crise démographique compte tenu du vieillissement de la population?

Maurice a aujourd’hui une population active de plus d’un demi-million d’habitants. Le taux de participation de la femme reste faible (48 %, contre 70 % pour l’homme en 2023) et environ 270 000 femmes sont hors du marché du travail. Certes, plusieurs études ont démontré les bienfaits du congé maternité, mais pouvons-nous nous permettre de le prolonger autant ? De manière générale, si nous regardons les pratiques d’autres pays, entre autres, l’Angleterre avec 39 semaines, la France 16 semaines, et Singapour 16 semaines), les 52 semaines proposées me paraissent non seulement longues, mais il faut également noter que dans la plupart de ces pays, seule une partie du salaire est payée.

De plus, les recherches ont évélé qu’une longue période d’absence au travail pourrait conduire à d’autres soucis, par exemple, l’attachement des salariées à leur emploi ou une discrimination à l’égard des femmes. La vraie question est : le taux de participation de la femme est-il la solution au manque accru de main-d’œuvre ? La croissance économique future dépendra de notre agilité à augmenter notre valeur ajoutée, à travers l’émergence de nouvelles industries, d’innovation et de technologie. À mon avis, l’ouverture du pays aux professionnels qualifiés et expérimentés reste une mesure importante pour soutenir le développement du pays.

Deux sujets majeurs inquiètent la population aujourd’hui : la prolifération de la drogue et l’effritement du pouvoir d’achat. Si on s’arrête sur la cherté de la vie, on note qu’elle frappe tant les familles au bas de l’échelle que la classe moyenne. Jusqu’à présent, le gouvernement a eu recours aux mesures fiscales couplées aux prestations sociales avec l’augmentation des pensions. Est-ce la solution vu qu’avec une dépréciation de presque 28 % de la roupie vis-à-vis du dollar et une inflation cumulée de 34 % depuis 2019, le pouvoir d’achat des ménages a été réduit drastiquement. Comment analysez-vous cette situation ?

L’inflation mondiale reste stable et la désinflation devrait se poursuivre au cours de l’année mais la tension sur les prix continue dans l’immédiat. Selon le dernier rapport de Statistics Mauritius, l’index des prix continue à grimper, surtout dans la catégorie «produits alimentaires et boissons non alcoolisées» (+12% de décembre 2023 à mars 2024). Tenant en compte ce contexte, la lutte contre la hausse des prix est un point important, mais il ne faut pas oublier que le gouvernement a déjà beaucoup fait pour soutenir le peuple face à la perte du pouvoir d’achat. Pour rappel, le salaire minimum est à Rs16 500 depuis janvier 2024 et avec l’allocation CSG de Rs2 000, le revenu garanti revient à Rs18 500 par mois (+60 % depuis décembre 2023). Augmenter les salaires freine la compétitivité et les entreprises peinent à absorber ces coûts. Il y a une limite à tout et le franchir mettra l’activité économique à risque.

Estimez-vous qu’un axe important du prochain budget sera la lutte contre la hausse des prix avec de nouvelles mesures de soutien aux familles qui n’arrivent pas, nous dit-on, aujourd’hui à mettre les pieds dans les supermarchés ?

La lutte contre la hausse des prix pour protéger le pouvoir d’achat peut prendre diverses formes : contrôle des prix, soutien social, allègement fiscal ou détaxation direct des produits. Par exemple, si nous enlevons ou réduisons le taux de TVA sur les produits fabriqués à Maurice, cela aura non seulement un impact immédiat sur les prix pour les consommateurs, mais également promouvoir l’activité locale (Made in Moris), sans négliger l’effet multiplicateur de cette mesure. Pour moi, l’assistance sociale telle que la hausse du salaire minimal ou autres allocations universelles aide, mais cause aussi une pression inflationniste. L’inflation est un cercle vicieux : plus on aide, plus on crée de la demande. Il faut éviter l’inflation importée directement des produits de consommation et favoriser plutôt la valeur ajoutée des produits mauriciens.

Plus généralement, quelles devraient être les priorités de ce dernier budget ?

Nous avons beaucoup discuté l’aspect social mais pour moi, le développement économique reste indispensable à l’avancement social. Nous pouvons seulement partager le gâteau national que nous avons créé et si le gâteau ne grossit plus, la distribution deviendra complexe. Malgré une croissance du PIB estimée à 4,9 % pour 2024, je suis inquiet du manque de leviers de croissance. Le pays est trop dépendant du secteur de la construction comme moteur d’activité économique alors que la diversification et l’émergence de nouvelles industries piétinent. Les budgets précédents contiennent certaines bonnes mesures, dont la digitalisation, la fintech, l’innovation et le plan stratégique du secteur financier. Mais la priorité devrait être l’exécution des mesures annoncées. Il ne faut pas que le budget soit seulement des annonces sans actions ! Je reste convaincu que la technologie et l’innovation devraient être des leviers importants pour rallier le développement social et économique.

Au terme d’un mandat de cinq ans de ce gouvernement, comment analysez-vous sa gestion économique tout en sachant qu’il a dû faire à la crise pandémique de 2020 ?

Le pays a effectivement vécu un des moments les plus difficiles de son histoire durant la pandémie, et notre PIB avait chuté de 14 %. Aujourd’hui, après cinq ans de mandat, je pense que, dans l’ensemble, ce gouvernement a bien géré l’économie. Notre infrastructure routière s’est modernisée, le taux de chômage est au plus bas, et la croissance surpasse la moyenne mondiale. Après la réouverture des frontières, le tourisme a repris l’ascenseur et l’industrie vit des années record. Toutefois, la détérioration du niveau de gouvernance, le manque de nouveaux leviers de croissance ainsi que la forte montée de l’État-providence m’inquiètent. À un moment où l’économie se porte bien, nous continuons à dépenser au-delà de nos moyens au lieu de reconstruire nos réserves. Nous avons peu de regard sur l’avenir et, avec une population vieillissante, l’exode des cerveaux que nous vivons, un déficit budgétaire grandissant, tout reposera sur les prochaines générations. Aujourd’hui, nous dépensons et demain, il faudra payer.

Un indicateur économique clé, la dette publique, s’élevait au 31 mars à Rs 524,7 milliards, largement supérieure au montant prévu de Rs 516,5 milliards à la fin de l’année fiscale 2024-25, représentant 78,3 % du PIB contre une estimation budgétaire de 71,5% du PIB. À une question parlementaire, le ministre Padayachy soutient qu’il faut comparer le ratio de la dette par rapport au PIB à l’ancrage de la dette déterminé par les institutions internationales, qui est de 80 % du PIB. Souscrivez-vous à cette analyse ?

Je comprends que le gouvernement avait peu de choix que de financer la pandémie à travers nos réserves et la dette. Mais aujourd’hui, nous sommes dans de meilleures conditions et, même si le niveau de la dette par rapport au PIB est sur une tendance à la baisse, la progression est trop lente. Je pense que le débat sur les normes de comptabilisation est un faux débat et, pour moi, quel que soit le niveau de la dette, il est important d’évaluer son utilisation. Par exemple, Singapour est un des pays les plus endettés du monde, mais sa dette n’est pas utilisée pour faire rouler les dépenses courantes ; bien au contraire, l’argent est investi dans des projets qui génèrent des revenus ou autre actifs productifs. Sur une base nette, il y a plus d’actifs que de la dette. Est-ce le cas pour Maurice ? Je n’ai pas besoin de vous le dire, vous le savez déjà.

Terminons sur une note personnelle avec vos nouvelles responsabilités au sein de PwC Afrique ?

PwC en Afrique est divisée en trois régions et le cabinet de Maurice est rattaché à l’Afrique de l’Est. Étant dépendants du commerce mondial, notre réseau PwC régional et international a toujours joué un rôle important dans notre développement. Au vu des nouvelles tendances et l’évolution du monde des affaires, PwC Afrique s’est réorganisé pour mieux répondre aux besoins de nos clients, et PwC Maurice s’aligne sur cette nouvelle stratégie. Nos associés mauriciens ont été appelés à jouer un rôle plus important dans la région et certains d’entre nous prendrons de nouvelles fonctions à partir du 1er juillet. Dans ce même sens, j’ai été nommé associé principal adjoint de PwC Afrique de l’Est et membre de l’équipe de direction de PwC Afrique, tout en continuant dans mon rôle d’associé gérant de PwC Maurice. Tout cela représente une plaque tournante pour nous et démontre la confiance du réseau PwC dans les compétences mauriciennes. Nous embrassons pleinement cette nouvelle stratégie africaine et misons sur cette intégration pour propulser PwC Maurice vers d’autres piliers de croissance.