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Gilbert Pounia, leader du groupe réunionnais Ziskakan
«Ce qui est ironique, c’est qu’on se bat pour le créole, qui est dans nos maisons tous les jours»
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Gilbert Pounia, leader du groupe réunionnais Ziskakan
«Ce qui est ironique, c’est qu’on se bat pour le créole, qui est dans nos maisons tous les jours»
Ziskakan était sur scène, au Caudan Arts Centre les 10 et 11 novembre. Cela fera bientôt 45 ans que Gilbert Pounia et son groupe militent en faveur de la langue et la culture créole. À coup de poing sur la table et de vibrato dans la voix, il dit son combat et ses rêves.
Le spectacle La Sours c’est pour renouer les liens avec Maurice. Étaient-ils brisés ?
Autrefois, nous avions beaucoup travaillé avec l’Institut pour le développement et le progrès (IDP). Tout le monde avait le rêve de faire avancer la culture créole. Après on s’est perdu. J’ai envie de revenir à ça. J’ai essayé de travailler avec des gens d’ici depuis un moment, mais cela n’a pas fonctionné. Je ne baisse pas les bras.
Il y a sept-huit mois, je me disais qu’il y a un titre dans notre répertoire, La Sours, qui est un très grand texte de Dev Virahsawmy. Il faut revenir à la source pour que la rivière coule. Nous avons contacté des institutions ici, le Caudan Arts Centre a répondu. C’est comme cela que nous avons produit ce spectacle. Je voulais revoir Dev (NdlR : Dev Virahsawmy est décédé deux jours avant les spectacles). Je pensais l’avoir sur scène. La vie en a décidé autrement, toutefois, il sera toujours dans nos coeurs.
Bientôt 45 ans que vous militez pour la reconnaissance de la culture créole. Depuis, le maloya a été inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Votre combat continue-t-il ?
On apporte au patrimoine mondial quelque chose de très fort. Il faudrait que nos langues ne soient pas utilisées que par les politiciens pour faire leur propagande ou pour appâter les gens durant la période pré-électorale.
Ce qui est ironique, c’est qu’on se bat pour quelque chose qui est dans nos maisons tous les jours. Mais on dit que c’est vilain, sale. On dit que les autres langues sont des grandes langues, c’est vrai, mais la nôtre l’est aussi. On n’est pas petit. Dans le monde culturel à la Réunion, dans les postes de responsabilité comme la direction des salles de spectacle, je ne vois pas de noirs. Je me dis que le noir ne peut pas être réduit à passer le balai. J’arrive à un âge où il est important de transmettre. Il faut accompagner les jeunes sans tomber dans la nostalgie.
Quel regard jetez-vous sur l’avancée de la langue créole ?
On perd beaucoup de temps. Il faudrait un parti politique qui vienne dire que notre langue doit être partout. A La Réunion, il y a la licence, l’agrégation créole, cela rentre doucement, mais les formations sont facultatives. Si on n’apprend pas à écrire le créole, la langue va disparaitre. A La Réunion, de plus en plus de jeunes s’y mettent. Je travaille avec plusieurs d’entre eux, notamment sur la traduction.
La créolité est pour vous signe d’unité. Mais certains s’attachent plus à la communauté/religion, qu’à l’identité créole.
On n’est pas venu dans le même bateau, ni dans les mêmes conditions, mais on construit avec ce que nous avons. Dans ce monde créole tout le monde peut trouver sa place.
La créolité s’est construite sur le viol, la violence, la souffrance. L’autre se croit supérieur parce qu’il appartient à telle classe, à telle caste, mais s’il y a un Bon Dieu qui pense comme ça, il y a un grand problème. J’ai entendu ce qui s’est passé à La Citadelle. Chez nous c’est la même chose. Où allons-nous ? Où sont les valeurs humaines ? Le métier d’artiste comporte un rôle social important. Etre artiste ce n’est pas seulement monter sur scène. Et les familles ? Certaines ont démissionné. On subventionne la pauvreté, on achète le coeur des gens avec des miettes. Face à toute cette violence, il faut se faire encore plus violence, en trouvant les mots les plus forts pour parler.
Comment promouvoir davantage la créolisation ?
Pour sortir de la mondialisation, faut croire dans la créolisation. J’y crois depuis que j’ai découvert Edouard Glissant. La créolisation passe par l’école. L’enseignant enseigne, mais il faut des éducateurs formés pour accompagner les jeunes. Ils seront parents un jour. On habite des îles, si on ne fait pas attention, demain cela peut devenir une poudrière, parce que quelqu’un qui n’a pas reçu tout ce qu’il faut pour se construire devient un danger pour lui-même et pour les autres. Nos politiciens devraient faire face à leurs responsabilités. Etre politicien ce n’est pas seulement rouler dans des grosses voitures et visiter les gens au moment des élections pour leur faire des promesses jamais tenues. Tenez parole, ne rejetez pas tout sur le parti qui vous a précédé. Sinon ce sera la faillite politique, les gens ne voteront plus.
Vous fêterez vos 45 ans de carrière l’année prochaine. Que prévoyez-vous ?
Un maxi 45 tours ainsi qu’un album. Je travaille sur un titre avec les enfants. On travaille aussi avec des collégiens sur des textes existants dont La Sours. Je travaille beaucoup avec l’Inde, des tournées et résidences sont envisagées. On essaie aussi avec la Chine, la Bretagne, l’Occitanie.
A Maurice, Michel Ducasse va collaborer à l’album. Tout seul on ne gagne pas. J’aimerais monter une «Créolofolies». Qu’est-ce que je vois aux Francofolies ? Des artistes des îles programmés à des heures où il n’y a pas de public. Ils prennent les gens de l’océan Indien pour chauffer la salle. Aux Francofolies de La Rochelle, j’ai noté que Mayotte, Rodrigues, Madagascar n’étaient pas là, pourtant on parle français dans ces régions. Si on dit que le monde devient créole, il faut créer une «Créolofolies». Il ne pas se laisser acheter par des discours attrayants. Je ne suis pas un révolutionnaire, un rebelle. Je suis un rêveur.
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