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Histoire des élections
Ce qui fait vraiment courir une nation
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Histoire des élections
Ce qui fait vraiment courir une nation
Quels enseignements tirer de plus de deux siècles d’élections à Maurice ? En cette année électorale, c’est avec force détails historiques, pas mal d’humour et une large part de vécu que Jean Claude de l’Estrac, journaliste et ancien ministre, a égrené les «Élections de 1790 à 2024». C’était le jeudi 18 janvier, à la reprise du cycle de conférences «A table avec…» au Labourdonnais Waterfront Hotel. Le conférencier a dressé une liste en sept points des ressorts de la démocratie à la mauricienne.
Qu’est-ce qui attire les électeurs ? De quoi les leaders s’accommodent-ils ? Après analyse de 235 ans d’élections à Maurice, Jean Claude de l’Estrac a dégagé sept points qui en disent long sur les enjeux qui mobilisent – ou pas – la population.
L’ethnicité primordiale
Le vote politique existe mais il est secondaire. Même quand il existe, il est teinté d’ethnicité. C’est la carte qu’ont jouée les deux Ramgoolam, les deux Jugnauth et «c’est la carte qui sera jouée encore». Il y a des événements qui transcendent cela, mais ils sont plutôt rares.
Indispensables alliances
Quelles soit «naturelles» ou «contre-nature», dans le système de first past the post, la constitution d’alliances est impérative. «Depuis 1967, aucun parti politique n’a jamais obtenu la majorité seul.» Ces alliances «imposées» sont toujours fragiles et ne durent que rarement. Mais «la prochaine alliance de l’opposition va durer», avance Jean Claude de l’Estrac. Si les alliances ne durent pas, c’est parce qu’en prévision d’éventuels problèmes, les partis politiques «se placent dans le coup d’après. Mais pour beaucoup de leaders de cette coalition, il n’y aura pas de coup d’après. Pas pour des raisons politiques, mais pour des raisons biologiques». Rappelons que Paul Bérenger a 78 ans, Navin Ramgoolam a 76 ans et Xavier-Luc Duval a 65 ans.
Combiner les électorats, une formule aléatoire
Les combinaisons mathématiques ne se concrétisent pas toujours sur le terrain. En 2014, l’alliance PTr/MMM s’est présentée devant l’électorat avec un accord pour un partage de 30-30 tickets aux législatives. Accord où les deux partis avaient des candidats dans chaque circonscription. Mais cette entente a mordu la poussière face à l’Alliance Lepep. «Cela marche quand il y a synergie à la base. Les arrangements politiciens ne suffisent pas.»
La bonne gouvernance, pas un argument vendeur
Les enjeux de la bonne gouvernance ne passionnent pas les électeurs, affirme le conférencier. Sa préoccupation principale c’est son gagne-pain. Jean Claude de l’Estrac en veut pour preuve récente le baromètre politique Synthèses-Maurice commandité par l’express. Les résultats de cette enquête ont été dévoilés dans l’édition du vendredi 27 octobre 2023. Cette enquête indique que les principales préoccupations sont la lutte contre la vie chère (70,2 %), la lutte contre la prolifération de la drogue (44,7 %) et l’institution d’un salaire minimum plus élevé (43,2 %). Alors que le renforcement de la lutte contre la corruption préoccupe 19,9 % des sondés.
Partis politiques, ces phénix
Les partis politiques sont des organismes de longue durée, «qui renaissent sans cesse de leurs cendres. Il ne faut jamais les enterrer totalement.» A titre indicatif, en 2024, le Parti travailliste aura 88 ans, le Parti mauricien socialdémocrate aura 60 ans, le Mouvement militant mauricien aura 55 ans et le Mouvement socialiste militant, 41 ans. «Voyez le peu de succès que remportent les nouveaux partis. Aux prochaines élections, nous allons retrouver les mêmes acteurs que lors de ces 50 dernières années.»
L’argent, le nerf de la guerre
L’argent est devenu un facteur déterminant, «y compris l’argent sale, comme on l’a vu lors des élections de 1983».
La succession au sein des partis
«C’est la biologie qui règle les questions de succession au sein des partis.»
Treizièmes élections depuis l’indépendance
(© LABOURDONNAIS WATERFRONT HOTEL)
«Nous allons pouvoir voter parce qu’un gouvernement MMM/PSM issu des élections de 1982, qui obtient une majorité absolue au Parlement, fait voter un amendement constitutionnel qui donne la garantie d’avoir des élections législatives régulièrement, même si on joue un peu avec le calendrier. Il est pratiquement impossible pour un gouvernement, s’il en avait l’intention, de renvoyer la tenue des élections législatives comme cela s’est fait dans le passé. Les prochaines élections seront les treizièmes organisées depuis l’indépendance. Elles ont toutes été considérées par la communauté internationale comme étant crédibles, transparentes, libres, démocratiques. Même si elles n’ont pas toujours été justes», a souligné Jean Claude de l’Estrac.
Débuts des scrutins quelques dates clés
1791: Des marins français apprennent aux colons qui sont environ 5 000 que c’est la révolution en France. Certains colons convoquent une assemblée. On vote pour la première fois. Ils se dotent d’une nouvelle constitution pour se donner le pouvoir de légiférer et de gérer eux-mêmes la colonie.
1833: A l’abolition de l’esclavage, en sus de la compensation financière de 2 millions de livres sterling, les quelque 7 000 propriétaires d’esclaves obtiennent aussi l’établissement d’un conseil législatif. Ces propriétaires, représentés par Adrien d’Epinay, réclament un conseil législatif élu. Mais les Britanniques décident que les membres seront nommés.
1884: Londres annonce la création d’un conseil législatif partiellement élu. La grande question au sein de la commission chargée d’appliquer cette réforme : à qui accorder le droit de vote ? Les «franco-mauriciens» craignent «le spectre d’une hégémonie indienne». Des règles censitaires «extrêmement restrictives» seront établies, basées sur la fortune et l’éducation. «Seuls 129 hindous et 124 musulmans votent à ces élections.»
1901: Visite de Mohandas Karamchand Gandhi, qui n’est pas encore le Mahatma, à Maurice. «Sa visite coïncide avec une campagne électorale en vue de renouveler le conseil municipal de Port-Louis. Il note que depuis 50 ans que les élections municipales existent, il n’y a pas eu un seul mauricien d’origine asiatique qui a siégé sur ce conseil.»
Ils constituent plus de deux tiers de la population. Alors que les Indiens et leurs descendants sont propriétaires de «plus de 45,9 % des terres cultivables».
1910: Les «indo-mauriciens» entrent en politique, sous la bannière d’Action libérale du Dr Eugène Laurent. Les «francomauriciens s’organisent pour livrer une bataille d’arrière-garde. Aucun candidat indo-mauricien n’est élu.»
1921: La campagne a pour thème la question de la rétrocession à la France. Les «franco-mauriciens s’organisent. Tous les candidats pro-rétrocession sont battus».
1926: Les deux premiers «indo-mauriciens» élus sont Dunputh Lallah et Rajcoomar Gujadhur.
1948: Une nouvelle Constitution accorde le droit de vote à tous les habitants «pouvant comprendre l’une des langues parlées dans la colonie. Ce n’est pas encore le suffrage universel. Le nombre d’électeurs passe de 11 000 à un peu plus de 70 000». À ces élections, Seewoosagur Ramgoolam fait équipe avec Aunauth Beejadhur et Harilal Vaghjee. «Ce trio est facilement élu. Ramgoolam présente une motion réclamant le suffrage universel.»
1953: «Les musulmans qui étaient jusque-là assimilés aux indo-mauriciens demandent à être comptés comme une communauté distincte.»
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