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«Financial Crimes Commission Bill»

Comment contester constitutionnellement

19 décembre 2023, 15:00

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Comment contester constitutionnellement

On ne sait pas si la future FCC occupera les locaux de l'actuelle ICAC.

C’est le bureau du DPP qui est le plus visé par cette nouvelle loi et par ricochet, les citoyens. Le DPP prépare probablement déjà une contestation constitutionnelle et doit savoir comment le faire, et bien. Un «Senior Counsel» a sa petite idée sur la meilleure façon de s’y prendre.

Le Financial Crimes Commission Bill est dénoncé par l’opposition et de nombreux légistes, notamment pour la clause 142 qui exclut la nécessité pour la Financial Crimes Commission (FCC) de référer au Directeur des poursuites publiques (DPP) tout dossier dont l’enquête préliminaire a abouti soit à un classement sans suite soit à une poursuite. Cette disposition permet à la FCC de ranger un dossier dans un tiroir, ni vu ni connu, ou alors de poursuivre sans avoir obtenu au préalable l’aval du DPP. Et si le DPP veut stopper une poursuite dans ce dernier cas, il doit le faire par une Judicial Review de la décision de la FCC devant la Cour suprême. Ce qui est une longue procédure qui va prendre beaucoup de temps, d’énergie et de ressources du DPP. On ne sait pas si le dossier sera remis au complet au DPP et si oui, quand.

Il est évident qu’avec ce FCC Bill, les pouvoirs du DPP, tels que décrits à l’article 72 de notre Constitution, seront très amoindris au profit de ceux du directeur de la FCC. Beaucoup pensent qu’une contestation constitutionnelle, du moins sa clause 142, est possible. Mais comment ? Pour un Senior Counsel, on peut remettre en question la clause 142 en avançant que l’article 112 de la Courts Act sera appelé à accorder la préséance à la FCC aux dépens du DPP. Ainsi, la clause existante de la Courts Act qui stipule que «the Intermediate Court shall have jurisdiction to try any of the following criminal matters which the Director of Public Prosecutions may refer to it» sera remplacée par «Subject to subsection (2), the Intermediate Court shall have jurisdiction to try any of the following criminal matters which the Director of Public Prosecutions may refer to it».

Et que dit cette «subsection» (2) ? «The Intermediate Court shall have jurisdiction to try any offence under the Financial Crimes Commission Act 2023 and the Declaration of Assets Act which the Director-General of the Commission (NdlR, la FCC) may refer to it.» Rien que l’amendement à l’article 122 de la Courts Act empêchera, selon le Senior Counsel, le DPP de jouir de ses pouvoirs constitutionnels tels que décrits dans l’article 72 de la Constitution qui prévoit qu’il faut passer par le DPP. Le Senior Counsel est donc convaincu qu’avec les amendements à la Courts Act mentionnés à la clause 166, la Constitution a été violée.

De plus, le fait que le directeur de la FCC soit un nominé politique et ne détienne pas un poste constitutionnel, ajoute le Senior Counsel, ne l’autorise pas à posséder des pouvoirs constitutionnels comme ceux conférés au DPP par l’article 72 de notre Constitution. «Et que l’on ne prétende pas que la Constitution n’interdit pas expressément ces pouvoirs à un nominé politique ! Les pères de notre Constitution ont voulu, en créant le poste de DPP, l’isoler d’influences politiques.» Il nous réfère aux travaux du professeur De Smith, qui a expliqué pourquoi le DPP doit être nommé par la Judicial and Legal Service Commission et non autrement.

Mais les juges tiendront-ils compte de ces travaux explicatifs comme ceux du professeur De Smith ? Notre interlocuteur nous rappelle que le Privy Council a, à plusieurs reprises, établi qu’une Constitution ne peut être interprétée d’une façon restrictive mais généreuse, comme les Lords anglais l’ont fait dans l’affaire Attorney General for Bermuda v Roderick Ferguson and others: «It is well-established that the usual approach of the Board to the interpretation of constitutional rights is that laid down in the landmark case of Minister of Home Affairs (Bermuda) v Fisher [1980] AC 319 (“Fisher”) which concerns the Bermudian Constitution. The Board adopts a “generous” approach. In that case, the Board held that Chapter 1 of the Constitution had been influenced by the Convention, which in turn had been influenced by the United Nations’ Universal Declaration of Human Rights of 1948, and that:

These antecedents, and the form of Chapter 1 itself, call for a generous interpretation avoiding what has been called ‘the austerity of tabulated legalism’, suitable to give to individuals the full measure of the fundamental rights and freedoms referred to.»


Le jugement Benjamin du Privy Council

Pour ceux qui seront tentés d’utiliser comme défense le jugement du Privy Council dans l’affaire ayant opposé le commissaire de police (CP) au DPP, tous deux d’Antigua-et-Barbuda, notre interlocuteur, le Senior Counsel, prévient que celle-ci est différente de la situation nous concernant. «Dans l’affaire Benjamin, c’était le CP de ce pays, qui occupe un poste constitutionnel, qui s’opposait au DPP. Alors qu’à Maurice ce sera le directeur général de la FCC qui sera opposé au DPP. Et le DG de la FCC n’est pas un poste constitutionnel.» Il y a un deuxième argument pour ne pas recourir au cas Benjamin selon le Senior Counsel. Dans cette affaire, le DPP avait empêché le CP de poursuivre Steadroy Benjamin, leader de l’opposition à l’époque (2008), avant même que la police n’ait commencé l’enquête. «Le DPP ne peut pas s’opposer à une poursuite d’une façon préventive. Ce n’est qu’une fois l’enquête policière entamée que le DPP peut le faire», nous dit le Senior Counsel.