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Kronik KC Ranzé
Compensations / subventions chimériques
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Kronik KC Ranzé
Compensations / subventions chimériques
Cela fait la troisième fois que l’on ajuste/ évoque les salaires et revenus au bas de l’échelle cette année-ci !
En janvier 2024, un communiqué de la MRA, (qui est généralement plus occupée à taxer qui il faut et à récupérer ce qui est dû, de qui de droit), annonçait que le salaire minimum était augmenté à Rs 16 500 et que la compensation salariale serait de 10 % du salaire de base, avec un minimum de Rs 1 500 et un maximum de Rs 2000. Le salaire minimum avait déjà été revu à la hausse en juin 2023 de Rs 12 075 à Rs 15 000.
Ayant compensé les employés en janvier 2024, la MRA annonçait qu’elle compenserait aussi une longue liste de certaines catégories d’employeurs : compagnies d’exportation ; SME ; compagnies manufacturières avec moins de Rs 500 millions de chiffre d’affaires (CA) ; institutions charitables et organisations religieuses ; entreprises de moins de Rs 750 millions de CA, opérant dans le BPO, la sécurité, le nettoyage et la construction ; les syndicats ; les ONG enregistrées auprès de la National Social Inclusion Foundation.
Le but était clairement d’aider les compagnies les plus fragiles qui employaient de nombreux salariés à faibles salaires. Je ne crois pas avoir vu ce que cette compensation aux employeurs coûte au Trésor public, mais une fois enclenchée, on pourrait quand même se demander, «Est-ce bien logique et soutenable ?», ou plus pertinemment, «Qu’est ce qui doit se passer pour y mettre un terme, ou est-ce permanent ?» Le communiqué de janvier de la MRA parlait de compenser jusqu’à décembre 2024… Pourtant les prix supérieurs n’auront pas alors disparu ?
Puis est arrivé le Budget 2024-25 en juin. Pas d’income tax au-dessous de Rs 30 000 de salaires équivaut à une augmentation. Une prime à l’emploi de Rs 7 500 pour 20 heures de travail à temps partiel, c’est une mesure d’empathie fantastique. Une CSG income allowance augmentée à Rs 3 000 pour les 110 000 employés touchant moins de Rs 20 000, Rs 2 500 pour les 55 000 touchant moins de 25 000, Rs 2 000 pour les 50 000 touchant moins de Rs 30 000 et Rs 1 500 pour les 105 000 touchant désormais moins de Rs 50 000, c’est une bénédiction ; le revenu minimum garanti à Rs 20 000, c’est bien aussi pour le pouvoir d’achat, mais ce n’est pas sans conséquences !
Finalement, ayant promis de corriger les distorsions dans les échelles de salaire CAUSÉES par la progression du revenu minimum garanti de 65 % en moins de deux ans et de rétablir les «relativités», le gouvernement annonçait un autre ajustement, le 9 août, «temporaire» celui-là, avec effet rétroactif au 1er juillet. Au-delà de la grogne du service civil, des détenteurs de degrés et des court officers dont les salaires demeurent apparemment en dessous du salaire minimum, la formule proposée (salaire de décembre 2023 + Rs 4 925 moins le salaire de janvier 24) est loin d’être fool-proof, ne prenant en compte ni les diplômes, ni le temps de service et encore moins, ce qui est bien plus grave, l’efficacité de l’employé, c.-à-d., sa productivité personnelle !
Ce que je retiens de tout ce charivari ?
D’abord que le désordre est palpable. Trois interventions dans les salaires en moins d’un an est un signe que ça ne se passe pas bien en termes de pouvoir d’achat, ce qui en a fait la priorité d’intervention du gouvernement dans une année électorale. Or, la population commence, d’une part, à se réveiller au fait de l’illusion monétaire ; et d’autre part, elle a maintenant la certitude que, si mis sous pression, nos gouvernants vont céder et encore alimenter, au moins à court terme, la spirale inflationniste salariale. À cet effet, le gouvernement promet à nouveau de compenser les compagnies, (la même liste qu’en janvier ?) qui ne pourraient payer les nouvelles augmentations. Cependant le communiqué d’août émanant du Conseil des ministres n’évoque, cette fois, aucune date butoir pour le paiement de ces compensations… Pas un mot sur ce qui mène à tous ces efforts compensatoires…
Cette décision de compenser les compagnies pour les salaires qu’ils ne pourraient payer comporte, en elle-même, de sérieux dangers évidemment, alors que le pays s’enfonce de plus en plus dans la logique de la subvention trompeuse, abandonnant d’emblée la réalité salutaire des coûts véritables ! N’oublions pas que le ministre Callichurn nous rappelait en mars qu’une bonbonne de gaz de 12 kg vendu localement à Rs 180 était achetée à l’étranger par la STC à Rs 580, soit à plus de trois fois plus cher… Ce n’est pas un cas isolé. N’oublions pas les soulèvements au Nigeria, en Iran ou en Égypte quand on a été forcé de terminer des subventions…
Les chiffres officiels d’inflation suggèrent environ 5 % cette année après 5,2 % l’an dernier et 9,3 % en 2022. Ces chiffres, basés jusqu’à récemment sur la consommation typique d’une famille mauricienne selon le Household Survey de 2017, découlaient de l’analyse des prix de 824 items vendus (Voir * pour plus de détails). Le Household Budget Survey de 2023 est coulé dans le même moule. Or, ces chiffres du CPI soulèvent de sérieux doutes chez les consommateurs qui disent affronter des hausses beaucoup plus importantes qu’indiqué par le CPI ! Un tableau des prix suivis par la rédaction de l’express depuis 2019, qui est, il est vrai, plus arbitraire que le CPI, indique, néanmoins un vrai problème. Un échantillon de 33 produits de consommation courante, plutôt typique, sans légumes, sans pharmacie, sans transport, sans soins médicaux, etc. montre tout de même des prix qui augmentent par 79 % depuis décembre 2019, soit par une moyenne de 16,9 % par an, soit une accélération ces trois dernières années…. Comment réconcilier ceci avec cela ?
L’autre aspect inquiétant de ces ajustements salariaux c’est que la productivité nationale ne suit pas. Même Business Mauritius, généralement très diplomate, s’en émeut plus récemment, car il est clair que l’on joue avec le feu quand les coûts salariaux dépassent systématiquement les gains de productivité sur une trop longue période. Or, qui s’inquiète de la productivité ? Les syndicats seulement paraît-il, car ils avancent régulièrement qu’il faut augmenter les salaires afin de retablir le moral et faire fleurir la productivité ! A-t-on jamais tenté l’inverse, pour voir ? Ce serait plus sûr...
La réalité est simple. Quand les gains de productivité ne suivent pas les augmentations salariales, les entreprises n’ont que deux choix : augmenter les prix, ce qui dope la spirale inflationniste, ou voir les marges être réduites, ce qui est un réel problème, si l’entreprise est déjà fragile. Ainsi le geste compensatoire du gouvernement vis-à-vis de ces situations, ce qui peut masquer, mais pour un temps seulement, la réalité économique du bas d’échelle.
Sur ce plan, le tableau 2 (de Statistics Mauritius) est sans équivoque ! Sur la période 2012-2022, la moyenne de progression salariale est de 5 % l’an, alors que le gain de productivité des salariés ne couvre que 40 % de ces augmentations, la productivité de la main-d’œuvre n’étant que de 2 % l’an en moyenne. Il y a même pire plus récemment ! Sur les cinq dernières années de 2018 à 2022, la progression salariale est de 24,4 % alors que la productivité de la main-d’œuvre n’avance que de… 5,4 % ! La productivité du capital, quant à elle, baisse de 7 points depuis 2018…
Nous ignorons ces tendances désastreuses à notre péril ! Que les faibles gains de productivité de la main-d’œuvre soient causés par du suremploi dans certains secteurs, des lois du travail, par moment, trop généreuses, ou par des normes éducatives ou formatives inadéquates, ou par trop de jours chômés (que ce soit pour des menaces de grosses pluies, des cyclones fizet, trop de local/medical leaves ou de jours fériés), le temps perdu à l’hôpital ou dans le trafic, le trop de gaspillage ou autre facteurs, le résultat est là : nous vivons de plus en plus au-dessus de nos moyens !
Or, il nous faudra bien redescendre sur terre à un moment, puisque nous ne vivons pas en vase clos et que nous sommes en compétition ouverte avec le reste de la planète….
Ou, avons-nous véritablement découvert une formule magique pour un «free lunch» aux dépens des autres ?
(*) Business Magazine l En savoir un peu plus sur les prix à payer
Le ‘panier d’achat’ de Mr Padayachy
Lors de son «summing-up» sur le discours du Budget 2024-25, le ministre des Finances a longuement cité ce qui se passait sous les travaillistes dix ans plus tôt pour tenter de faire contraste utile. C’est ainsi qu’il tentait de démontrer que la roupie forte avait… «apporté» l’inflation ! Il citait aussi, avec un plaisir évident, une liste de 22 produits dont les prix avaient augmenté sous les travaillistes entre 2005 et 2014 (Tableau 3)
Malgré certaines difficultés à préciser la nature des produits auxquels le ministre se référait (il ne précisait pas le type de farine, de lentilles, de bœuf, de poulet, de poisson ou de fromage…), nous avons essayé d’actualiser ces prix à août 2024, en élargissant un peu l’éventail.
Le résultat est intéressant. Si le ministre choisissait sûrement 22 produits où les prix augmentaient «sous les travaillistes», il apparaît que seuls trois de ces produits ont depuis baissé, on devine pourquoi, «sous le MSM» (pain maison, gaz et sel). Quatre autres produits ont augmenté par moins de 30 % sur la période (riz ration, mines en sachet, viande de buffalo (si c’était bien le «bœuf congelé» auquel le ministre faisait référence le 18 juin) et petit pois). Par contre, la farine, le poisson congelé, le mouton, le poulet, le poisson salé, le sucre et le diesel ont tous augmenté par plus de 50 %. Parfois même par bien plus…
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