Publicité

Cimetière marin de Souillac

Le «jogging track» qui n’a pas sa raison de vivre

9 mai 2024, 21:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Le «jogging track» qui n’a pas sa raison de vivre

L’épitaphe de la tombe du poète Robert Edward Hart est de circonstance. Elle commence par «Devant la mer indienne…»

Voilà un projet qui a de quoi réveiller les morts : l’aménagement d’une piste de jogging, le long du cimetière marin de Souillac. C’est ce qui figure dans la demande d’«Environment Impact Assessment» pour des travaux de protection des côtes, dans ce lieu historique. Les critiques des défenseurs du patrimoine fusent déjà.

Balade insolite. Mais gare à ne pas déranger tous ceux qui n’aspirent qu’à reposer en paix. Au cimetière marin de Souillac, un projet singulier est en préparation. Le ministère de l’Environnement a déposé une demande d’Environment Impact Assessment pour des «construction of coastal protection works». Date limite pour soumettre des commentaires concernant ce projet : le 25 mai.

Des avis contraires, des défenseurs du patrimoine en ont déjà beaucoup. Ce qui les fait sursauter, c’est l’intention des autorités «d’améliorer la valeur esthétique du site en aménageant une nouvelle piste de jogging ou une promenade qui servira aux joggeurs et aux familles des environs». Une piste ou promenade de 540 mètres de long et large de 1m50, éclairée par des lampadaires solaires tous les deux mètres, qui va longer le cimetière marin. «Its landward edge facing the cemetery will be fenced using BetaFence so as to separate funeral activities from leisure activities within the project site», ajoute la demande de permis. Histoire d’y voir clair pour le jogging by night du côté du cimetière.

Parmi les craintes exprimées : le risque que ces travaux – qui ne concernent que l’enceinte du cimetière et pas l’intérieur – ne dénaturent cette nécropole historique qui date des années 1770, donc de la période de colonisation française. Ce qui en fait l’un des plus anciens cimetières de l’île.

cimetiere savanne_2.jpg

À l’entrée, le bureau du cimetière en impose.

Pourquoi ces travaux ? La demande pour le permis EIA justifie : «Le site est affecté par l’érosion des côtes. Le mur en pierre et le mur en gabions construits précédemment se sont détériorés au fil du temps. La construction d’une nouvelle structure au revêtement de pierres est proposée pour lutter contre l’impact de la montée des eaux et de l’érosion», dans ce site qui comprend des dunes de sable.

Selon la demande d’EIA, ces travaux, piste de jogging comprise, «vont apporter des avantages socioéconomiques. En donnant un accès direct à la plage de Riambel, depuis l’embouchure de la rivière. Cela va renforcer le lien entre le village de Souillac et la plage publique».

Qui est responsable de ce site ? Le cimetière marin de Souillac relève du conseil de district de Savanne. Il se trouve sur des Pas Géométriques, au bout de la Cemetery Road, entre l’embouchure de la rivière Savanne et la plage publique de Riambel. C’est le ministère de l’Environnement qui sera chargé de la réalisation du projet. Le recrutement d’un consultant a eu lieu en décembre 2022. Le cabinet Scene-Ries, qui a été retenu, a préparé la demande de permis EIA.

cimetiere savanne_4.jpg

Personnalités et inconnus se côtoient dans la mort depuis le 18e siècle au cimetière marin de Souillac.

Ce qui gêne Arrmaann Shamachurn, président de SOS Patrimoine en péril, c’est que «c’est le ministère de l’Environnement qui semble juge est partie. Il soumet la demande et va la viser». Il s’interroge sur la clause d’exemption en se demandant si cela équivaut au même cas de figure que le Metro Express. «Une exemption d’EIA signifie que le projet est fait dans l’intérêt national. Même si c’est avéré que le site est sujet à l’érosion, quel est l’intérêt national pour ces travaux au cimetière marin de Souillac ? La région est connue pour ses grosses vagues et raz-de-marée. Ce n’est pas la première fois que l’on utilise le changement climatique pour justifier des travaux.» C’était déjà le cas, rappelle-t-il, pour justifier la construction de la plateforme religieuse qui avait fait polémique au jardin botanique de Curepipe en janvier 2023. Arrmaan Shamachurn se demande si le betafence va s’intégrer au cachet de ce site historique, qui n’est pas classé patrimoine national. «Tout ajout ou altération a un impact sur l’interprétation scientifique du site. Pour commencer, estce que l’on sait pourquoi, à l’époque française, c’est cet endroit près de la mer qui a été choisi pour enterrer les morts ?» Il est d’avis qu’en sus des études mentionnées dans la demande d’EIA, il y a nécessité de mener un Heritage Impact Assessment et un Visual Impact Assessment, avant d’aller de l’avant avec le projet.

Le défenseur du patrimoine signale que le nom du cabinet Scene-Ries a été cité en 2017, dans une affaire d’allocation de contrat de la Wastewater Management Authority (WMA), pour une étude de faisabilité concernant un projet de tout-à-l’égout à Rivière-du- Rempart. Un exercice qui a mené à l’ouverture d’une enquête par la défunte l’Independent Commission against Corruption (ICAC).

cimetiere savanne_3.jpg

Cette photo extraite de la demande de permis EIA montre l’état d’un mur de gabion frappé par l’érosion.


Souillac: Un village où l’on tombe sur l’histoire à chaque pas

Il n’y a pas que le cimetière marin datant des années 1770 qui est un lieu historique à Souillac. La liste du patrimoine national comprend le point de Bain des négresses, le Batelage et le poste de police de Souillac. «Un parcours culturel et historique a déjà été proposé par l’ancienne administration du district council», indique Arrmaan Shamachurn de SOS Patrimoine en péril. «Les travaux au cimetière marin auraient pu être l’occasion pour le National Heritage Fund de valoriser tous ces vestiges.»

cimetiere savanne_5.jpg

La mer dépose des gerbes d’écume à quelques mètres seulement des tombes, ajoutant de la grandeur à l’ambiance de recueillement des lieux.