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De Djibouti à Agalega

20 décembre 2023, 09:21

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De Djibouti à Agalega

D’un point de vue économique, le commerce des bases militaires est rentable. Stratégiquement situé sur la Corne de l’Afrique, Djibouti s’est engagé dans cette activité lucrative depuis la fin des années 60. Valeur du jour, ce pays abrite cinq bases militaires appartenant aux États-Unis, à la France, à l’Espagne, à l’Italie, à la Chine et au Japon. Celles-ci sont louées à la faveur de conditions de bail très avantageuses. Ainsi, l’US Navy ne verse pas moins de 60 millions de dollars annuellement au Djibouti pour opérer la base militaire de Camp Lemonnier, qui est aussi imposante que celle de Diego Garcia. Cette base militaire, qui accueille plus de 4 000 militaires et civils des forces américaines, est notamment utilisée pour des opérations en Somalie et au Yémen.

Cumulativement, les cinq bases rapportent à l’État djiboutien plus de 130 millions de dollars. Voulant également assurer une présence militaire dans le bassin de l’océan Indien, l’Arabie saoudite va bientôt construire une base à Djibouti contre un loyer de 130 millions de dollars.

Cette analogie au Djibouti trouve sa résonance avec ce qui se passe au sein de la République de Maurice. Les facilités construites par l’Inde au nord d’Agalega présentent les mêmes caractéristiques que celles de la base de Camp Lemonnier, avec une piste d’atterrissage de 3 kilomètres de long, des ponts en eau profonde ainsi que des hangars. Selon les informations relayées par la presse indienne et par Al Jazeera, qui ont d’ailleurs fait sortir de ses gonds le chef du gouvernement, le Security Maritime Agreement signé entre les deux pays en 2017 fait provision pour la construction d’une base militaire ultra-moderne qui permettra à l’Indian Navy de mener des opérations militaires et d’assurer la surveillance dans l’océan Indien, que ce soit par voie terrestre ou maritime. La piste d’atterrissage est construite en sorte qu’elle sera susceptible d’accueillir des avions de guerre P8I. Quant au port, il permettra à des destroyers D54 d’accoster, ainsi que des sous-marins de guerre, dont l’Arihant, qui peut tirer des missiles nucléaires balistiques pouvant atteindre des cibles à 750 kilomètres. Narendra Modi, qui a toujours vu l’océan Indien comme the «Ocean of India», est déterminé à contrer l’influence de la Chine dans cette partie du monde. Pour le gouvernement indien, le temps presse car Pékin étend chaque jour sa zone d’influence dans les Mascareignes. Ainsi, aux Maldives, l’accession au pouvoir du président Mohamed Muizzu, connu pour être un pro-Chine, n’a fait que renforcer la défiance de l’Inde vis-à-vis de la Chine.

Jusqu’ici, Pravind Jugnauth a balayé d’un revers de main les rumeurs selon lesquelles les Indiens ont construit une base militaire sur Agalega, tout en avançant qu’il ne peut divulguer les détails du Security Maritime Agreement car le ministre des Affaires étrangères indien, Subrahmanyam Jaishankar, a exprimé le souhait que celui-ci reste secret. Or, la population a le droit de connaître les tenants et les aboutissants de cet accord qui remet en question notre souveraineté sur notre zone économique exclusive de 2,3 millions de kilomètres carrés. Et si Maurice a effectivement choisi d’émuler Djibouti en s’engageant dans le commerce des bases militaires et devenant de facto un État rentier, la population a alors le droit de savoir quelles sont les conditions du bail avec l’Inde pour l’opération des facilités sur Agalega. De toute façon, si la Grande péninsule nous verse une rente généreuse se chiffrant en dizaines de millions de dollars, une telle information devra apparaître dans le Consolidated Fund.

Les installations sur Agalega seront inaugurées le mois prochain. Pour l’heure, la perception qu’il s’agit d’une base militaire soulève des problématiques d’ordre géopolitique et diplomatique, avec pour finalité que cela pourrait nuire aux bonnes relations que nous entretenons avec la Chine, qui est passée au statut de partenaire commercial privilégié depuis l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange sino-mauricien. La question aussi se pose : Maurice est-il devenu un État pro-Inde ?

Le secret entretenu autour du Security Maritime Agreement risque, par ailleurs, de nous desservir à un moment où nous avons engagé le quatrième round des négociations avec le Royaume-Uni pour le retour des Chagos à la République de Maurice. D’ailleurs, les installations indiennes sur Agalega pourraient bien être à l’origine de la fronde du secrétaire d’État américain, Antony Blinken, et d’éminents membres du Parti conservateur britannique, dont Lord Cameron, qui font actuellement pression pour faire capoter les négociations. Acculé en ce moment par les Tories qui lui reprochent «ses frasques» pendant la pandémie et le fait qu’il n’a jusqu’ici pu rétablir le pouvoir d’achat des Britanniques comme il l’avait promis, Rishi Sunak n’est pas dans une position de force pour défendre les intérêts de Maurice.