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Manière de voir
Dernière soirée 50s/60s au «Hennessy Park»
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Manière de voir
Dernière soirée 50s/60s au «Hennessy Park»
Un évènement musical anachronique. Programmer et faire danser différentes générations sur des musiques datant de 1955 à 1964. Ce sera le cas, le 30 octobre, à 19 heures au Hennessy Park, Ébène. Cette anomalie commence il y a quelques années quand JM propose au Suffren d’organiser quelques petites soirées dans son patio avec ce répertoire.
Débuts timides, mais les nostalgiques s’y donnent rendez-vous pour revivre une certaine époque. Nostalgie. Quand le groupe hôtelier fait l’acquisition d’un hôtel à Ébène, il en change le décor, le nom devient Hennessy Park et cible une clientèle d’hommes d’affaires. La modeste soirée fait le grand saut et passe tous les quatre mois dans la grande salle. Le format a évolué, pas la programmation musicale.
«Dine and dance vintage»
À 19 heures, est proposé un buffet de qualité composé de plats 100 % mauriciens. Nappes sur grandes tables, superbes couverts occupant 70 % de l’espace et sur 30 %, une piste de danse de 21 heures à 1 heure du matin. L’ambiance se veut 50s et 60s. La programmation musicale s’étoffe avec encore plus de hits de la période mentionnée. L’organisateur joue une carte difficile auprès d’une cible presque au-delà de la cinquantaine.
Pendant le dîner, sur le grand écran passent les bandes-annonces des plus grands films de l’époque et les photos des idoles d’alors de la chanson. Certains noms de chanteurs et de groupes de l’époque sont restés gravés dans les mémoires, tels Elvis Presley, Cliff Richard et les Shadows, Billy Vaughn, les Platters, Bill Haley et ses Comets ou Chubby Checker, le roi du twist. Mais ces noms ne suffisent pas pour quatre heures ininterrompues de danse, même si quelques intermèdes ballroom dancing nous ramènent au cha cha cha, tango et valse toujours de l’époque et en version originale. On les entend encore lors de certains mariages.
N’essayez pas de demander à JM d’où il sort des perles d’antan qui attirent sur la piste. Il vous répondra poliment que ce sont ses petits secrets qui remontent à son adolescence pré-adulte. La mémoire fait le reste et c’est tout comme il a ressuscité des centaines d’expressions et d’idiomes créoles pour son lexique Lalang pena lezo devenu au fil des années un gros best-seller inattendu. Une énième réédition est prévue pour bientôt et cela, à la demande des grosses librairies. Il faut aussi compter sur le phénomène de transmission de génération en génération, ce qui explique la diversité des groupes d’âge qui fréquentent ces soirées 50s et 60s.
Un autre contexte
Pour bien comprendre, il faut remettre les choses dans leur contexte. Au milieu des années 50 à Maurice, les divertissements sont inexistants. Seul prédomine le cinéma qui propose trois films en matinée le week-end, des films qui remontent à deux ou trois ans après leur sortie internationale. Salles généralement combles puisque personne ne fréquente à l’époque nos superbes plages où l’on trouve facilement coraux et coquillages. Ceci explique peutêtre la raison pour laquelle plusieurs générations ne savent pas nager. On va très rarement à la mer. Un pique-nique en famille ou entre amis prend des allures d’évènement, d’autant qu’on dispose de très peu de voitures. Les avions viennent à peine de commencer à se poser sur cette île inconnue et méconnue. Tous les regards se tournent vers l’intérieur de l’île et c’est seulement dans les années 70 qu’ils se tournent vers les côtes en raison des débuts de l’industrie touristique. Rien à voir avec les milliers de touristes d’aujourd’hui et encore moins avec le parc hôtelier actuel. L’hôtel, c’est lotel dité.
Le téléphone est un objet rarissime de luxe, aucun appareil électroménager d’aujourd’hui ; la bicyclette est le moyen de transport le plus commode ou les premières lignes d’autobus ; on abandonne définitivement le train. Pas de night life. Pas de night-club. Pas de télévision. Une seule radio. Pas de grosse circulation. On dîne et on dort tôt. L’éducation parentale est beaucoup plus stricte. Les familles comportent de nombreux enfants. Comment alors faisaient donc les jeunes pour se divertir ? Encore et toujours le cinéma.
Sur le plan musical, une seule radio distille toujours les mêmes hits qui arrivent avec du retard. Les jeunes inventent alors la fameuse formule de la surprise party. Ils se réunissent dans une des maisons familiales, préparent des snacks souvent à base de pruneaux fourrés de fromage, des chopines de limonade avant l’arrivée imminente des Colas et une collection de petits 45-tours défilent sur l’unique tournedisque. Ne parlez pas de mixage ou d’amplis tonitruants. La soirée ne va pas dépasser les 23 heures, d’autant que les parents attendent parfois que les jeunes soient rentrés.
Heureusement, il y a les slows, aujourd’hui totalement disparus des night-clubs. Ils permettent de faire connaissance et plus, si affinité. Se tenir la main ou faire une bise sur la joue équivaut à un pas de géant. Ils ingurgitent musiques et chansons auxquelles ils attachent des souvenirs personnels. Ils transmettent ce répertoire musical à leurs enfants. Et c’est ainsi que la mémoire enregistre tout et qu’on les retient encore inconsciemment des décennies après dans un tout autre monde. Un autre mode de vie.
D’où la nostalgie qui imprègne la majorité de ceux qui sont devenus des assidus de ces soirées sporadiques consacrées à la danse sur des musiques plus que vintage. Cette soirée du 31 octobre sera probablement la dernière de cette série parce que JM, âgé maintenant de 81 ans et ne jouissant que d’une santé très précaire, ne pourra pas longtemps encore enlever le couvercle qui enferme ces années de létan lontan. No more ou It’s now or never?
Bals et mariages
Les seules autres occasions de danser surviennent lors des mariages ou des bals qui font le plein. Les sillons des 45-tours sont littéralement labourés quand apparaissent deux orchestres qui reprennent en live ces succès d’alors. D’abord, l’orchestre de la police sous la baguette du maestro Philippe Ohsan. Enfin un vrai orchestre ou enfin des guitares électriques sur lesquelles les Stardusters reprennent note pour note le répertoire des Shadows. Un orchestre inattendu rivalise avec celui de la police. Le Typhoon Band composé uniquement de sino-mauriciens qui sera même invité à jouer à la Réunion. Les plus anciens se souviendront d’un des frères Lai Cheong qui reprend à la trompette les morceaux d’Eddie Calvert. Que de souvenirs pour ceux et celles qui ont vécu cette époque !
JM aura réussi son coup à contretemps. En fin de soirée, quelquesuns défilent pour essayer d’extorquer quelques titres et leurs interprètes ou pour raconter les souvenirs que ces derniers évoquent. Un répertoire indélébile pour eux. Ils racontent non pas avec tristesse mais avec joie de vivre. D’autres pensent à leurs aînés qui les ont initiés. Ils savent encore danser et s’amuser, bien que le contexte ait totalement changé et évolué. Un dernier adieu ?
Dan vié karay ki kwi bon kari!
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