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Des changements dans la continuité
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Des changements dans la continuité
Même si deux patronymes dominent largement l’histoire politique contemporaine, on ne peut pas parler de bipartisme à la mauricienne pour décrire notre paysage politique post-colonial. Car les idéologies de nos acteurs politiques ont depuis longtemps volé en éclats sur l’autel de la realpolitik insulaire et les deux familles, qui ont su tisser des liens durables avec les détenteurs de capitaux locaux et étrangers, se sont plus d’une fois alliées pour conserver leur hégémonie contre leurs adversaires du jour, conjoncturels. En fait, c’est parce que les deux dynasties traditionnelles n’ont pas su se partager le gâteau, afin de nourrir leur garde rapprochée respective, qu’elles sont aujourd’hui, une nouvelle fois, à couteaux tirés, prêtes à s’entre-tuer pour prendre le contrôle du pays.
Dans le camp des Jugnauth, l’on est toujours en train de savourer la victoire totale obtenue au Privy Council. Que ce soit au Parlement, dans les fonctions officielles ou réunions de mobilisation, le ton victorieux est brandi contre «les mauvais perdants qui ont terni la réputation du pays et de nos institutions, en cultivant le doute et en jetant l’opprobre quatre ans durant». Même s’ils conçoivent que le jugement n’est forcément pas un chèque en blanc avant les prochaines législatives, les stratèges du MSM savent que le jugement du Conseil privé du Roi ne peut que les conforter dans leur stratégie de conservation du pouvoir, même s’il n’aura pas un effet durable. Le jugement sera vite oublié par les effets délétères de l’inflation et de la roupie faible. En revanche, au Sun Trust, on prépare une carte des nouvelles routes et infrastructures qui ont vu le jour depuis 2014. Deux projets dans la capitale seront soulignés : le Port-Louis Waterfront et le Victoria Urban Terminal qui n’ont rien à envier au Caudan Waterfront rénové ; preuve s’il en fallait que le gouvernement peut se hisser au même niveau que le privé en termes de développement et d’esthétisme.
Dans l’autre camp, celui des pro-Ramgoolam, qui regroupe exceptionnellement à la fois les pro-Bérenger et les pro-Duval, il s’agit d’éviter de parler des pétitions électorales puisqu’on n’a pas su, malgré l’armada d’avocats à sa disposition, prouver les allégations faites dès le lendemain du scrutin. Mais mardi, ils ont eu un nouveau cheval de bataille : le speaker Sooroojdev Phokeer, qui a revêtu son Full-Metal Jacket pour la rentrée parlementaire, tirant pratiquement sur tout ce qui bougeait. Le speaker a compris les points faibles des deux Bérenger, de Bhagwan et d’Assirvaden, entre autres, qui arrivent difficilement à rester calmes devant la partialité manifeste du président de séance – et ce, contrairement à Xavier-Luc Duval et Osman Mahomed qui, après une expulsion, ont compris la nécessité de rester zen face à l’hostilité de Phokeer. Après le verdict défavorable du Privy Council, l’opposition parlementaire va rapidement, en bon opportuniste, se transformer en victime de Phokeer, sans prendre la peine de faire son introspection. Peut-on lancer des termes comme «cochon», «sauvage», «n’importe», «corrompu» sans se faire expulser ? En tombant dans le piège de Phokeer, l’opposition ne se tire-t-elle pas une balle dans le pied ? Certes Phokeer est à blâmer, mais les propos et agissements des élus de l’opposition ne peuvent pas être cautionnés non plus.
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Sur les plateformes numériques de l’express, la plupart des lecteurs-commentateurs mettent en avant ce besoin, presque sanitaire, de sortir du «bipartisme» Ramgoolam-Jugnauth afin de favoriser de jeunes énergies.
Notre bipartisme dynastique, on est bien d’accord, n’est pas un clivage entre une gauche et une droite, encore moins entre une politique ouverte sur le monde (pro-mondialisation) et une politique qui se replie sur le pré-carré national (antimondialisation). À Maurice, depuis près d’un demi-siècle, la transition démocratique se joue entre deux dynasties qui ont produit chacune deux Premiers ministres. Seul Paul Bérenger a pu vaincre le signe indien pendant deux ans (2003-2005) à la suite d’un arrangement électoral (à l’israélienne) avec les Jugnauth. Mais il n’a pas pu, par la suite, continuer sur cette lancée, entre autres, en raison d’une malsaine campagne communale contre sa personne. Depuis, le MMM a rejoint le PMSD sur un point : les Mauves comme les Bleus ont intériorisé le fait qu’ils ne peuvent pas aller seuls aux élections s’ils veulent retrouver l’hôtel du gouvernement.
Ainsi la transition entre les deux dynasties premier ministérielles dépendra toujours, du moins jusqu’ici, des alliances ou mésalliances avec une troisième force nationale, le MMM, et/ou le PMSD, puis viennent les petites forces d’appoint comme le ML, Linion Moris, Rezistans ek Alternativ. Ceux qui ont bravement essayé de jouer une autre partition électorale ont tous mordu la poussière, malgré tous leurs idéaux, efforts et patriotisme, comme Lalit, Ensam, etc. Et ce, malgré le soutien des esprits indépendants, de la classe ouvrière ou d’un réservoir grandissant de plus de 40 % d’indécis.
Le manque de ressources financières est souvent brandi comme la principale cause de leur échec sur le terrain – comme si tous les votants mauriciens, nourris au briyani ou à la brioche, étaient, dans leur majorité, corruptibles, ou sensibles à l’argument met for, gagn for. On le constate à chaque scrutin : les dépenses électorales dépassent tous les plafonds du permissible en l’absence d’une loi moderne sur le financement politique, une loi qui ne verra sans doute jamais le jour avec l’écosystème actuel, qui ne légiférera malheureusement jamais contre ses intérêts les plus précieux… surtout après le dernier verdict du Privy Council.
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