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Reeaz Chuttoo, président de la CTSP
«Des entreprises recrutent des ouvriers comme s’il s’agit d’une foire aux bestiaux»
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Reeaz Chuttoo, président de la CTSP
«Des entreprises recrutent des ouvriers comme s’il s’agit d’une foire aux bestiaux»
Un défi émergent se profile pour le secteur de l’emploi. La mise en place de la nouvelle échelle de salaires et la tendance croissante de l’émigration vers des destinations étrangères, en particulier chez les jeunes, exigent du pays qu’il se prépare à garantir une stabilité financière à ceux qui demeurent les acteurs essentiels de son économie. Reeaz Chuttoo, président de la Confédération des travailleurs des secteurs public et privé (CTSP), souligne que la lutte se poursuit, elle est principalement axée sur la préservation de la dignité des travailleurs étrangers.
Quel a été le bilan que vous pouvez dresser de l’année 2023 dans le secteur du travail ?
La CTSP dresse un bilan positif, mais elle est également confrontée à plusieurs défis. Parlons d’abord des aspects positifs. Au début de l’année 2023, nous avons élaboré un mémorandum étayé par des arguments scientifiques, démontrant que le seuil de sécurité alimentaire s’élevait à Rs 15 000 par personne. C’est pourquoi, le 1er mai, nous avons lancé une campagne en faveur de l’évaluation du salaire minimum à Rs 15 000.
Nous avons réussi à influencer cette décision en présentant de nouvelles données pour appuyer notre demande. Parmi ces données, le Produit intérieur brut par habitant est arrivé à Rs 536 000 avant imposition – ce que produit une personne à Maurice. Cela révèle une croissance qui n’est pas inclusive. Nous avons également observé que les entreprises sans syndicat calculent leur rémunération sur la base du salaire minimum, en y ajoutant des complimentary wages liés aux heures supplémentaires. En l’absence d’un mécanisme assurant une proper income distribution, nous constatons que les entreprises n’augmentent pas volontairement les salaires des «petits» travailleurs. De plus, après deux années de Covid-19 et de télétravail, nous avons remarqué des abus envers les travailleurs. Certains sont soumis à des conditions comparables à celles des travailleurs de la zone franche, devant atteindre quotidiennement des targets sous peine de voir diminuer leur rémunération. Cela a également eu des conséquences sur la vie sociale et privée des travailleurs, qui doivent constamment rester connectés au travail.
En outre, nous faisons face au paradoxe du manque de travailleurs à Maurice. Une agence, étroitement liée à un membre de l’opposition, propose d’envoyer des Mauriciens au Canada. Malgré la pénurie de main-d’œuvre, nous envoyons des jeunes de moins de 35 ans travailler à l’étranger. Cette situation ne peut être considérée comme une fuite de cerveaux, mais plutôt comme une dépopulation, car même les services des travailleurs dans le secteur du transport, des aides et des agents d’entretien sont sollicités pour partir au Canada. Cela incite le secteur privé à se tourner vers le recrutement de travailleurs étrangers car cela lui revient moins cher.
En parlant de travailleurs étrangers, est-il exact que leur contribution permet aux entreprises de réaliser des économies financières ?
En effet, l’emploi de travailleurs étrangers représente une économie substantielle pour les entreprises. Ces dernières n’ont pas à verser la Contribution sociale généralisée pour les nouveaux travailleurs de la zone franche pendant deux ans. Pour ceux travaillant hors de la zone franche, cette exemption s’étend à six mois, couvrant également le Portable Retirement Gratuity Fund. Les employeurs réalisent ainsi des économies de 9 % sur les salaires des travailleurs étrangers. Cette stratégie est déjà employée à Singapour. Cependant, cette situation suscite des inquiétudes, notamment parce que ces travailleurs ne sont pas syndiqués. Il est important de noter qu’à tout moment, un employeur peut expulser un travailleur étranger, avec le soutien du Passport and Immigration Office.
À Maurice, le secteur privé a déjà réclamé une séparation légale entre les travailleurs locaux et étrangers en matière de droit du travail. Actuellement, une pratique anticonstitutionnelle persiste dans le domaine de l’emploi et même les membres de l’opposition en sont conscients. Les travailleurs étrangers sont contraints de verser Rs 2 875 mensuellement pour leur logement et leurs repas, ce qui pose un souci au regard de la section 16 de la Constitution, interdisant toute discrimination envers ces travailleurs. En outre, il est souligné que le secteur syndical fait face à un vieillissement du leadership, à l’exception de la CTSP qui a recruté des jeunes. En résumé, de nombreux défis nous attendent lors de l’année à venir.
Le recrutement dans certains secteurs a été la bête noire de certaines entreprises. Comment pensez-vous résoudre ce problème en 2024 ?
Il semble que de nombreuses entreprises versent des larmes de crocodile pour justifier le recrutement de travailleurs étrangers. En vertu de la Workers’ Right Act, il est interdit de recruter des personnes sur la base d’un contrat à durée déterminée. Malgré cela, plusieurs entreprises du secteur de la construction embauchent des travailleurs sur une base mensuelle et le manque d’inspections sur le terrain contribue à ce problème. Pour résoudre ces problèmes liés au recrutement, il est suggéré que cette question relève de la tutelle de l’État.
Il est anormal que certaines entreprises recrutent des travailleurs étrangers comme s’il s’agit d’une foire aux bestiaux. Une législation plus stricte, assortie à un exercice de diligence raisonnable, pourrait empêcher les entreprises qui sont en violation des droits humains ou des droits du travail de recruter des travailleurs. En l’absence de telles mesures, ces employés risquent de se retrouver dans des conditions semblables à celles des esclaves une fois dans le pays et la liste des entreprises concernées est malheureusement longue. Par ailleurs, il est intéressant de noter que même au Canada, les Mauriciens font face à de nombreux défis. Outre les différences climatiques, le coût élevé du logement contraint certains à vivre à plusieurs dans une même chambre. Il est clair que le Canada n’est pas un eldorado, du moins pour les travailleurs manuels, comme en témoignent les discussions avec les représentants syndicaux canadiens.
L’ombre du licenciement plane sur certains secteurs, surtout avec la hausse du salaire minimum et la compensation salariale attribuée. Comment éviter au maximum ce problème ?
D’emblée, il est évident que les Petites et moyennes entreprises (PME) éprouvent de l’appréhension. Pour bien saisir la situation, penchons-nous sur leur clientèle, largement constituée du marché local. Si ces consommateurs n’ont pas de pouvoir d’achat, les premières à en subir les conséquences seront les PME. Avec l’augmentation prévue d’environ 30 % du pouvoir d’achat des travailleurs, incluant le salaire minimum et la compensation salariale, cela entraînera des modifications significatives dans les revenus des PME. Cependant, pour l’instant, elles ne l’anticipent pas ; ce changement ne deviendrait palpable que vers la fin de février. C’est la raison pour laquelle la CTSP a sollicité l’intervention de l’État en faveur des PME car elles s’apprêtent à traverser une période difficile. Elles devront mobiliser les ressources nécessaires pour soutenir leur clientèle, principalement constituée de travailleurs modestes, afin de maintenir leur pouvoir d’achat.
Il est donc compréhensible qu’elles ressentent de l’appréhension. Certaines entreprises, qui ne sont déjà pas au maximum de leur capacité opérationnelle, se voient désormais contraintes d’augmenter les salaires de leurs employés. Toutefois, c’est ainsi que fonctionne l’économie : en apportant du soutien à la consommation pour stimuler la synergie ou la croissance sur le marché intérieur. Les PME sont les premières à en bénéficier. En ce qui concerne les entreprises affiliées à la CTSP, elles ont cessé de se plaindre du manque de fonds pour effectuer les ajustements salariaux. Il est essentiel de rappeler qu’il s’agit de holdings réalisant des milliards de profits, et leur exposition réside dans une répartition inéquitable des salaires, qui a été mise en lumière.
Sur un autre volet, comment l’intelligence artificielle commence-t-elle à prendre de l’ampleur à Maurice ?
Certaines entreprises choisissent d’investir dans l’intelligence artificielle pour réduire leurs effectifs, optant ainsi pour l’automatisation dans leur processus de production, en réponse aux départs de certains professionnels qualifiés. Cependant, cela ne semble pas avoir un impact immédiat sur nous car nous faisons déjà face à un déclin de la population et à une pénurie de main-d’œuvre.
Nous vivons une forme de capitalisme intense, semblable à celui inventé par l’Américain Rockefeller. Les capitalistes ont la flexibilité de recruter et de licencier à leur guise, une réalité qui se reflète également à Maurice. Nous encourageons le départ des Mauriciens, tout en investissant dans la main-d’œuvre étrangère pouvant être licenciée à tout moment. Cependant, cette situation pourrait être éphémère car des organisations internationales surveillent attentivement ce qui se passe à Maurice, particulièrement en ce qui concerne le traitement des travailleurs étrangers sur notre territoire.
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