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Questions à...Natacha Emilien

«Des femmes leaders mauriciennes: une opportunité pour enrichir le niveau des discussions»

23 octobre 2023, 22:06

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«Des femmes leaders mauriciennes: une opportunité pour enrichir le niveau des discussions»

Natacha Emilien,initiatrice de la plate-forme Board of Good

Après seulement deux ans d’existence, Board of Good est parvenu à réunir en son sein plus de 400 femmes. Une armée qui veut que la règle du jeu change au niveau des conseils d’administration, lieu où de grandes décisions sont prises. La touche de la femme doit y être présente. Une étude du niveau de la diversité du genre au niveau du conseil d’administration des sociétés dont les valeurs sont cotées à la Bourse de Maurice leur a donné des ailes. D’ici 2030, Board of Good voudrait voir au moins 500 femmes nommées au sein des conseils d’administration des sociétés du pays. Visite guidée dans l’univers de ces femmes qui disent d’une voix commune une expression que l’on entend souvent sur la place publique «enough is enough».

Vous êtes en présence des données d’une étude entreprise au sein des sociétés dont les valeurs sont cotées sur le marché principal de la Bourse de Maurice et dont l’objectif vise à prendre connaissance du niveau de représentativité de la gent féminine au sein de leur conseil d’administration. Quel en est votre constat ?

Au niveau de la diversité en genre, nous sommes aujourd’hui à 18,5 % de représentativité des femmes au sein des conseils d’administration des entreprises dont les valeurs sont cotées à la Bourse de Maurice. Nous n’avons pas eu les derniers chiffres au niveau des entreprises non listées. Il serait intéressant d’évaluer la diversité au sein des conseils d’administration par rapport aux compétences qui y sont présentes, par exemple le pourcentage d’expertise financière ou légale au niveau de chaque conseil d’administration par rapport aux autres types d’expertises indispensables dans le monde des affaires dans les domaines du marketing, du management des hommes, des compétences techniques, d’innovation, de technologie, de développement durable d’expérience client pour ne citer que ceux-là. La démarche visant à accueillir plus de femmes au sein des conseils d’administration doit absolument se manifester comme une opportunité pour enrichir le niveau des discussions avec de nouvelles compétences et expériences. Un facteur qui pourra potentiellement contribuer à mieux comprendre les nouveaux défis auxquels les organisations doivent faire face.

Quel est l’objectif envisagé par la direction de Board of Good et la période fixée pour l’atteindre pour afficher sa satisfaction que la représentativité de la femme au sein des conseils d’administration est en fin une réalité pour le pays ?

Ce sera aux alentours de 500 femmes leaders mauriciennes affectées à des postes décisionnels «à impact» d’ici à 2030, c’est-à-dire à des postes où elles seront en mesure d’influencer des décisions qui ont des répercussions d’une certaine importance pour le pays.

Sur quoi repose la raison d’être d’une telle revendication ?

Le but de Board of Good consiste fondamentalement à améliorer le niveau de prise de décision des organisations qui existent dans le pays. Pour nous, de meilleures décisions pour le bien de tous ne seront prises que lorsque chaque conseil d’administration pourra afficher plus de diversité en termes de genre en faisant de la place à des compétences, des expériences et des perspectives nouvelles, qui sont d’autant plus importantes pour relever les nouveaux défis auxquels font face les organisations du pays et qui ont pour noms, la fuite de talents, le changement climatique, la transformation digitale, l’inflation galopante, les risques qui viennent de faire leur entrée en scène, l’effritement du niveau de compétitivité tant sur les marchés des services que ceux des produits commerciaux.

Nous avons voulu créer, à travers le Board of Good, un vivier de femmes représentant ces compétences, ces expériences et ces perspectives qui n’ont pas existé jusqu’ici. Chacune de nos 400 membres a signé un «pledge for good», où elle s’est engagée, si elle est recrutée au niveau d’un conseil d’administration, d’œuvrer pour le bien de l’organisation concernée, mais aussi pour que celle-ci montre sa prédisposition à améliorer le niveau de sa politique d’inclusion et de diversité dans le but d’assurer l’épanouissement de la société et de l’environnement dans lequel l’organisation évolue au sens large.

Il serait hasardeux de prétendre que la tâche sera facile et sans obstacles pour Board of Good de réaliser ses ambitieux projets. Qu’avez-vous préconisé pour que ces situations ne viennent pas retarder la réalisation de vos objectifs ?

Je préfère de loin m’attarder sur les mesures à prendre pour que nos objectifs puissent être atteints. Ces mesures sont au nombre de trois. D’abord, il va falloir que chaque organisation accepte de procéder à une évaluation honnête des compétences et capacités existantes au sein de leur conseil d’administration pour pouvoir déterminer la nature des compétences, des expériences et des perspectives nouvelles dont elle a besoin pour affronter les nouveaux défis qui se profilent à l’horizon en mettant toutes les chances de réussite de leur côté avec l’arrivée de sang neuf capable d’enrichir le niveau des discussions et les prises de décision au sein de son conseil d’administration. Il n’est pas déraisonnable de s’attendre à ce que cet exercice d’évaluation des compétences du conseil d’administration puisse être perçu comme une contrainte par un certain nombre d’organisations qui préfèreront se «contenter» de la composition existante de leur conseil d’administration, même si les compétences requises pour faire face aux nouveaux défis du business ne sont clairement pas présentes.

Ensuite, il faudra que ces organisations puissent nous contacter ouvertement pour que nous puissions leur proposer des candidates susceptibles de satisfaire leurs nouveaux besoins. Nous avons un processus très simple qui permet à toute organisation qui le souhaite, d’obtenir rapidement – et gratuitement – de très bonnes candidates avec de riches parcours et une réelle volonté de contribuer au succès des organisations. La plus grosse difficulté pour le Board of Good, à cette étape, est de nous faire connaître auprès des organisations qui sont à la recherche de nouveaux membres de conseil d’administration. Nous sommes une petite équipe de volontaires et ne disposons pas des moyens marketing au même titre que les grosses sociétés de recrutement. Cependant, nous faisons notre petit bout de chemin, et avons réussi, avec nos petits moyens, à placer environ 35 femmes au sein du conseil d’administration de certaines organisations d’origine mauricienne. Nous le faisons en prenant garde d’intervenir le moins possible dans le processus de recrutement et en toute transparence vis-à-vis de nos membres. Finalement, nous devons continuer à recruter de nouvelles candidates à notre niveau, et à nous assurer que celles-ci puissent recevoir des formations adéquates pour se préparer au rôle de directrice.

Notre équipe de volontaires est en train de se pencher sur cette question de formation en ce moment. Avec le peu de moyens dont nous disposons, nous nous sommes pour le moment concentrées sur le placement de nos membres au sein des conseils d’administration. Nous recevons régulièrement des demandes de formation. Nous sommes en train d’étudier nos options.

La cohabitation entre hommes et femmes en situation de responsabilité au sein des conseils d’administration n’a jamais été un jeu d’enfants. Quelles sont les surprises qui pourraient surgir sur la voie d’une femme directrice ?

En dehors du manque de formation sur le rôle et les responsabilités d’une directrice ou de la difficulté de jongler entre vie familiale et vie professionnelle, à mon avis, un des défis majeurs auxquels une femme qui ambitionne d’assumer un poste de pouvoir doit affronter, c’est de pouvoir s’affirmer, faire entendre sa voix et être en mesure de dévoiler ses perspectives, et d’arriver à influencer les décisions, tout en gardant son authenticité en tant que femme. Il est bon de souligner que, de plus en plus, des femmes parviennent à faire la balance, très souvent avec le soutien du conjoint qui joue un rôle primordial dans ce domaine et le succès qu’elles souhaitent réaliser sur le plan professionnel. Je crois fermement que fondamentalement, les femmes, par nature, sont des personnes aimantes, et qui prennent soin de leur vis-à-vis et qui ont de l’empathie pour les autres.

Cependant, parfois, immergées dans un monde du travail conçu pour les hommes, il arrive que pour pouvoir grimper les échelons, elles doivent s’endurcir, étouffer leurs sentiments et se bâtir une carapace. Nous connaissons tous des anecdotes malheureuses sur des femmes leaders qui, une fois le haut de la «pyramide» atteint, se révèlent plus féroces et centrées sur elles-mêmes que leurs collègues masculins du même rang. C’est une posture qui n’est ni bonne pour l’organisation en question, ni inspirante pour les plus jeunes femmes à la recherche de role models féminins.

Le gros défi pour la femme est donc de faire la démonstration qu’elle est non seulement en mesure de déployer un nouveau style de leadership mais qu’elle a la capacité de gérer les situations que ce nouveau style peut potentiellement susciter. C’est la raison pour laquelle, elle est tenue à s’affirmer et se faire respecter. Il s’agit d’une attitude qui est ancrée dans l’action, se manifeste au niveau des résultats mais qui s’inscrit aussi dans le cadre d’une approche qui met en valeur l’empathie, la vulnérabilité, la bonté et le désir d’aider et de prendre soin des autres. C’est un défi qui est valable pour certains hommes qui eux aussi veulent pratiquer ce nouveau style de leadership, mais qui doivent arriver à se faire entendre face à des collègues parfois imposants et même dominateurs.

Comment votre démarche est-elle perçue par la gent féminine ?

Après deux ans d’existence et sans gros moyens marketing, le Board of Good compte 400 membres dans sa communauté. Chaque semaine nous recevons de nouvelles demandes de candidatures. Il s’agit d’un signe que la gent féminine est de plus en plus prête, et volontaire, à prendre des postes qui leur permettent de participer aux prises de décision à Maurice. Le mouvement Board of Good est en marche, et il ne s’arrêtera pas en si bon chemin !

Cette question risque de vous surprendre devant tant d’intérêt que vous affichez pour favoriser l’installation de plus de femmes au sein des conseils d’administration. Des observations faites çà et là au niveau du comportement de certaines femmes en situation de pouvoir indiquent qu’il y a une tendance que ces femmes se transforment en véritables bourreaux pour des femmes comme elles. Quelle est votre explication de cette image pas très reluisante de la gent féminine ?

Le problème quand on est une femme et qu’on a dû se battre très dur pour gravir les échelons, il arrive qu’on se mette à opérer avec un état d’esprit de «rareté» parce qu’on perçoit le succès des femmes comme quelque chose de rare et les places en haut de la pyramide comme compétitives. C’est ce qui explique cette tendance chez certaines femmes à ne pas vouloir afficher quelque prédisposition à aider leurs semblables considérant à tort sans doute que la réussite d’autres femmes mettrait la leur en péril. Il est donc important de toujours garder un état d’esprit d’abondance en se disant qu’il y a de la place au soleil pour tout le monde, que la réussite des autres femmes veut aussi dire sa réussite, et que sa responsabilité en grimpant les échelons est d’amener d’autres femmes et d’autres minorités non représentées avec soi. Un modèle de leadership conscient et éclairé opère non pas pour le seul bénéfice d’un individu mais celui des autres. C’est pour cette raison que la femme leader doit vraiment travailler sur ellemême, se faire entourer de bonnes personnes, méditer, s’ouvrir aux autres – sinon le risque est, qu’effectivement, elle se transforme en quelqu’un de dur et de toxique pour les autres femmes.