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Critique politique de la diaspora
Des intellectuels et du pouvoir
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Critique politique de la diaspora
Des intellectuels et du pouvoir
Le pouvoir est toujours une question de légitimité. Même dans les sociétés historiquement dominées par la loi du plus fort, ceux qui prétendaient gouverner recouraient à des stratégies pour asseoir leur légitimité. Ils avaient compris que le pouvoir ne se mesurait pas en fonction du degré de violence qu’ils pouvaient exercer, mais plutôt dans leur capacité à régner sans recourir aux armes, dans un consensus politique confirmant leur position au sommet de la pyramide, incontestable et incontestée, légitime.
Si la religion et les religieux étaient les piliers de ces stratégies pendant des siècles, les sociétés contemporaines ont adopté comme figures oraculaires des hommes et des femmes en blanc, issus d’universités et de laboratoires, qui prédisent notre avenir et notre destin. Malheureusement, tout comme les prêtres de l’Égypte ancienne dont les tours de passe-passe furent bien trop mièvres pour cacher les vérités portées par ceux qui dénonçaient l’esclavage et l’oppression, le Dr. Jekyll et Mr. Hyde contemporains semblent avoir de plus en plus de mal à justifier la propagande d’État, des gouvernements affaiblis, à une population victime depuis 2014 de la médiocrité de ses dirigeants.
Ce culte de la médiocrité, nous avons été plusieurs à l’avoir maintes fois dénoncé. Toute nation qui se permet d’être dirigée par autre que ses meilleurs éléments est vouée à disparaître dans le cimetière des nations, engloutie par le chaos de la guerre ou de la peste, ou happée par quelque juggernaut, jusqu’aux derniers vestiges. Cette évidence s’exprime à Maurice sur les bancs d’un Parlement où règne l’arbitraire, sur le dos de nos compatriotes pas assez dociles aux yeux de la police, dans les hôpitaux d’un système de santé public qui s’émiette graduellement, ou dans le choix des intellectuels qui sont censés nous guider vers la lumière.
Le MSM, un parti sans idée
Le Mouvement socialiste militant (MSM) reste le seul «grand parti» fondé sur l’opportunisme politique. Si le Parti travailliste (PTr), le Mouvement militant mauricien (MMM) ou le Parti mauricien social-démocrate (PMSD) ont tous milité à leur genèse pour leur vision de la démocratie libérale, le MSM a été un parti créé de toutes pièces pour prendre le pouvoir et empêcher Paul Bérenger de devenir Premier ministre. Parmi les cadres historiques de ce parti, nombreux sont d’anciens militants. Ce sont ces éléments qui ont rendu crédible le MSM aux yeux de la population, lui conférant ainsi un semblant de tradition de la pensée malgré son absence d’idées. En 2014, le MSM a fait appel à une chercheuse pour donner l’impression aux amateurs de science et de savoir que le parti suivait la bonne voie. En 2024, le gouvernement tente de faire croire à la diaspora que c’est sous la houlette du président Roopun que Maurice pourra retisser les liens avec elle. Cependant, récemment, nous avons pris connaissance du travail d’un certain professeur, le Dr Ibrahim Alladin, qui, quel que soit son titre ou son statut, nous sert de la poudre aux yeux.
Accaparation du capital diasporique
Vaut mieux tard que jamais, le MSM semble avoir finalement compris l’apport de la diaspora. Cette lucidité nouvellement acquise, suivant l’épisode où Pravind Jugnauth avait insulté la diaspora, demeure cependant une énième stratégie pouvoiriste, dotée d’une vision tronquée de la diaspora, pour produire une feuille de route semée d’embûches, qui met en péril la crédibilité des membres de cette diaspora qui sont dans un travail sérieux et d’intérêt public, comme le Mauritius Global Diaspora.
L’escroquerie intellectuelle est apparente dans la définition même de ce qu’est la diaspora. On nous parle de 60 000 personnes qui auraient émigré pendant la période post-Indépendance. Toutefois, ce chiffre est faux. Il est erroné pour la simple et bonne raison que l’émigration post-Indépendance couvre potentiellement une période de plus d’un demi-siècle, et que ce chiffre contredit leur propre estimation de 190 000 membres de la diaspora. Il est également important de noter que le nombre de Mauriciens partis à l’étranger n’est pas répertorié dans les registres officiels, car la distinction entre ceux qui voyagent pour revenir ou non n’est pas clairement établie, étant donné que plusieurs partent pour revenir mais ne le font pas. À moins de mener des études longitudinales ou exhaustives sur Maurice et les pays de sa diaspora, il est impossible de construire des statistiques fiables à ce sujet.
Comment alors expliquer ces chiffres avancés par le Dr Alladin ? Ils ne sont en fait que des estimations, choisies parmi d’autres estimations, toutes plus farfelues les unes que les autres. Dans ce projet, il n’y a aucun travail de recherche sur les chiffres réels, et la raison pour laquelle cela passe inaperçu est que personne ne vérifie. Le Dr Alladin, on lui donnerait le bon Dieu sans confession. Mais voilà, les titres ou le statut d’intellectuel ne sont malheureusement pas des boucliers contre le faux. Les faits sont les faits, et les chiffres avancés par M. Alladin sont faux.
La deuxième escroquerie de ce projet réside dans le fait qu’il prend comme modèles de réussite diasporiques ceux qui sont, somme toute, les plus inapplicables à Maurice. Le Dr Alladin vante les mérites des diasporas indiennes et chinoises dans leur contribution à l’essor de leur pays respectif. Le problème, aussi gros que l’éléphant dans la pièce, est que ces deux pays sont tout le contraire de Maurice. On parle de deux pays qui à eux seuls comptent plus de deux milliards d’habitants. La Chine n’est pas une démocratie comme Maurice ; elle a des ambitions impériales tandis que nous nous contentons de survivre et de prospérer, elle possède une culture multimillénaire tandis que la nôtre n’a que quelques siècles à peine. Quant à l’Inde, pays-continent avec 22 langues officielles et berceau d’une civilisation s’étendant du monde perse jusqu’au sud de la Chine et à l’Asie de l’Est, comment pouvonsnous comparer les politiques entre ces entités ? Pensons-nous sincèrement pouvoir faire des comparaisons justes en comparant des extrêmes? Nous partons là sur de très mauvaises bases ; le retour sur investissement de cet argent public investi dans ces stratégies diasporiques ne sera que de la propagande pour le MSM, et de la gloire pour l’intellectuel de service.
La troisième escroquerie de M. Alladin, c’est la déresponsabilisation intellectuelle. Les concepteurs d’armes de destruction massive sont-ils responsables des massacres dans le monde ? Ils ne larguent pas de bombes, ni même ne les fabriquent. Et pourtant, l’éthique de la recherche pointe clairement vers le financement. En d’autres termes, dis-moi qui te finance et je te dirai qui tu es. La situation démocratique à Maurice est catastrophique, et apporter de la crédibilité intellectuelle, de la légitimité, au MSM, c’est s’associer à eux. D’ailleurs, M. Alladin semble peu gêné par cette association. Peut-être que le fait d’avoir passé tant d’années à l’étranger lui a fait oublier l’incrédulité de certains de nos compatriotes qui nesesatis feront pa s d’inexactitudes, de stratégies mal pensées et de tentatives de propagande, même si cela émane d’un «expert étranger».
Je pense que l’heure est grave. En tant que citoyens, nous devons servir notre pays, mais recevoir des éloges ou quelque récompense de la part de ceux qui utilisent les intellectuels pour redorer leur blason est naïf, sinon malhonnête. La visite du président Roopun au Canada illustre ce caractère incestueux de la République. Lui-même affirme que sa démarche est personnelle ; ce projet est en effet une fierté personnelle pour se féliciter entre amis et se donner bonne conscience. Il avait, comme il l’explique, mobilisé des amis pour contribuer parce qu’il aurait soudainement décidé que la diaspora était importante et qu’il s’en occuperait à titre personnel. La confusion des rôles est ici des plus évidente. Un président qui se mêle les pinceaux quant à sa fonction. La question de la diaspora figure à l’agenda gouvernemental et l’erreur du président Roopun est d’essayer, pour des raisons que le bon sens ignore, de faire passer l’agenda du gouvernement pour une initiative privée. Pourtant, utiliser l’argent de l’État pour une initiative privée sonne encore pire. Rassembler des amis pour un projet qui met en lumière surtout les amis expose l’amateurisme et le copinage au plus haut sommet. Peut-être que c’est la conséquence d’agir comme un simple tampon en caoutchouc pour un exécutif qui continue de glisser vers l’autocratie, défendu par de nobles intellectuels et journalistes.
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