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Richesses de mon île
Complexité et diversité
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Richesses de mon île
Complexité et diversité
«Qu’est-ce que la complexité sans l’union ? Qu’est-ce que la diversité sans l’équilibre ?» Ces deux questions me réveillent de la torpeur d’entresaisons au Pays de la Loire, en France. L’auteur de ces lignes est membre de l’Académie française. Son nom est Erik Orsenna. Le titre de son livre : L’Avenir de l’eau. Lecture essentielle pour toutes les soifs. Fautil s’étonner qu’en tant que Français, il s’offre le luxe de la digression en passant de l’eau au vin ? Car les deux questions se rapportent à une appréciation du vin, qui contient à 84 % de l’eau.
Mais c’est à mon pays natal que je songe en lisant ces lignes. Car mon pays est complexe. Et petit en plus. Une île surpeuplée. Les hommes et les femmes qui y naissent savent au premier souffle qu’ils sont des êtres complexes. Déracinés ? Sons de voix et musiques plurielles pré-accouchement l’annonçaient déjà. Les odeurs provenant de la cuisine des voisins accompagneront la croissance de l’enfant. Les visages aux pigmentations si variées vont pimenter son univers scolaire. Les jeux dans la cour de récréation se doubleront d’un autre jeu de chocs culturels.
Plus tard, les courses à la boutique du boutiquier chinois, les appels à la prière du muezzin, les petites faims irrésistibles menant à la paire de dholl-puris, l’humour créole du collègue vont encore l’éduquer. L’étendue de la complexité est à la mesure de l’exiguïté. Lorsque vient le moment de jauger le charme de l’autre sexe, la complexité s’enrichit encore d’autres apports mystérieux. Quelle richesse !
Et pourtant ! Il y a tant d’efforts déployés à déconstruire la complexité. À imposer des visières. Il y a une intention de vouloir dégager une ligne droite à partir d’un cercle qui n’aspire qu’à une nouvelle perfection. Éric Orsenna le dit encore mieux à propos du vin : en matière de vin comme en matière d’existence, il s’agit d’atteindre une seule et même vertu : l’union. Sachons y goûter en appréciant le privilège de nos complexités.
Au palais du connaisseur, le bon vin dessinerait comme des étages de plaisirs. À l’île Maurice, chacun est connaisseur de la diversité. Le regard du citoyen moyen s’exerce à distinguer la subtile différence chez l’autre. Son environnement naturel l’y encourage. Le cadre insulaire l’y réduit. L’histoire et la géographie se moquent bien des préjugés pour entasser une humanité diverse dans le même autobus. Et pourtant, il roule. Et vers la même destination. La diversité des passagers exige un équilibre. Le moindre sourire du voisin anonyme fait contrepoids aux saboteurs de cet équilibre. Plus ils s’acharnent et s’agacent, plus précieux l’équilibre de notre riche diversité.
Dans cet autobus qui roule cahin-caha, secrètement, chaque passager aspire au même équilibre. Mieux, il fait confiance au voisin afin qu’à chaque virage il puisse compter avec sa solidarité. C’est le prix de la paix. Paix intérieure et paix sociale. Tout en chérissant encore plus la diversité. Ce qui distingue le Mauricien, c’est un trophée invisible forgé dans notre histoire commune, une cohabitation tissée de souffrance et de tolérance, de découverte mutuelle et de créativité constante. Souvent maladroitement exprimés dans une langue pauvre peut-être, mais convergeant toujours vers l’union. À l’île Maurice, c’est cette pulsion positive qui fait notre mérite et notre charme. Ce ne sont pas nos plages. Ni les slogans des spéculateurs. Cependant, équilibre fragile et union existentielle ont constamment besoin d’être réaffirmés. Par l’art et le théâtre, par exemple. Tout comme, selon Erik Orsenna, le bon vin vivifie en célébrant rituellement la vie.
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