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Questions à...
Didier Wong: «En HSC l’an dernier, trois élèves sur 400 ont eu un A en Art and Design. C’est hallucinant.»
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Questions à...
Didier Wong: «En HSC l’an dernier, trois élèves sur 400 ont eu un A en Art and Design. C’est hallucinant.»
Didier Wong, Artiste, enseignant d’arts appliqués et formateur académique en France.
De passage à Maurice pour sa seconde exposition solo, («Alalila» est visible à la galerie Imaaya jusqu’au 11 juillet), Didier Wong jette un regard critique sur les pièges du système d’enseignement d’art et design au «Higher School Certificate» (HSC), une filière en souffrance.
Pour vous la filière «Art and Design» est «en grand danger». Pourquoi ?
Je ne suis pas là pour faire une critique du travail des enseignants, loin de là. Mais il faut souligner des incohérences dans les changements apportés au système. Art and Design est effectivement en grand danger. Dans des collèges d’État, il y a des profs avec un seul élève ayant choisi cette matière au niveau principal en HSC.
Combien de cas connaissez-vous personnellement ?
Quatre-cinq dans les collèges d’État. Le prof fait du one-to-one. Dans les collèges confessionnels, je connais des cas avec des classes de huit, dix jusqu’à 15 élèves. Ce qui n’est pas beaucoup par rapport à l’époque où j’étais collégien.
Est-ce un désamour pour la filière, l’intérêt pour les nouvelles matières proposées ou la diminution de la population estudiantine ?
Il y a un peu de tout cela. Mais le syllabus a changé avant la pandémie. Il est devenu plus exigeant, demandant un investissement plus important. Il y a deux projets et des recherches à faire. Pour les projets, l’élève choisit le thème qu’il veut, mais il faut avoir les moyens de financer l’acrylique, la peinture à huile de bonne qualité qui sont importées. Pour le travail sur toile, le premier essai n’est pas le bon, il y a des expérimentations à faire. Cela coûte cher. Les parents se demandent quels sont débouchés à part le graphic design, l’interior design, l’architecture. Et après il y a la possibilité de devenir prof d’Art and Design. Ki pou fer avek profeser ki ena enn sel zelev? Le problème financier peut être résolu…
...Qui va financer le matériel ? L’État ?
Le Budget 2024-25 vient d’annoncer l’internet gratuit pour les 18-25 ans. C’est positif. Si l’État va débloquer autant d’argent pour les jeunes, pourquoi ne pourrait-il pas débloquer des budgets supplémentaires pour les établissements scolaires, permettant l’achat de fournitures qui serait mises à disposition des élèves ?
Cela existe en France. L’État et la Région financent. Chaque établissement a une enveloppe répartie entre les matières. Je me suis toujours battu pour que les parents d’élèves achètent les fournitures de base mais que les autres soient fournies par l’établissement. Dans la filière métiers d’art, en communication visuelle, par exemple, les élèves ont un code leur donnant accès gratuitement à des logiciels qui coûtent cher comme Adobe In Design, Illustrator, etc.
Toujours dans les cadeaux du gouvernement : à 18 ans, le jeune a une allocation de Rs 20 000. Ils font ce qu’ils veulent avec. Pourquoi ne pas décider qu’il faut consacrer Rs 5 000 de ces Rs 20 000 aux fournitures, livres, etc. en HSC ? Cela pourrait rendre la filière Art and Design financièrement plus accessible.
Vous êtes aussi très préoccupé par les résultats dans cette matière ?
Ils sont catastrophiques. En 2023, sur 400 élèves qui ont pris Art and Design comme main, seuls trois ont eu un A. C’est hallucinant. (NdlR : Les statistiques du Mauritius Examinations Syndicate indiquent qu’en 2023, sur 400 élèves, aucun n’a eu le A+ en Art and Design. Alors que 134 élèves ont eu un D et 121 élèves ont eu un E). Des profs à qui j’ai parlé disent que ceux qui ont obtenu un B ou un C sont des bons élèves.
Comment expliquez-vous cette situation ?
Sans doute par la façon dont les épreuves sont corrigées par Cambridge. Comment peut-on ne pas réagir face aux résultats de l’année dernière ? Il semble que le MES aurait demandé aux profs qui se plaignent de rédiger un courrier pour Cambridge. Mais qui est le responsable ? C’est le MES. C’est insensé.
Cela fait des années que les résultats sont en baisse. Pour moi qui corrige des épreuves du baccalauréat en France, j’ai le sentiment que les profs n’ont pas été assez formés sur les critères de notation de Cambridge. Il faudrait réexpliquer ce qui est attendu des professeurs, des élèves. Si les résultats sont si mauvais, soit il y a quelque chose que les profs n’ont pas compris dans les barèmes de notation, soit les élèves n’ont pas compris les consignes. Il faudrait plus d’échanges entre les locaux et les examinateurs internationaux.
Au School Certificate (SC), les résultats sont corrects. Les épreuves sont corrigées à Maurice. (NdlR : Le MES indique qu’en 2023, sur 2 398 candidats en Art and Design, 99,17 % ont obtenu le pass rate). N’oublions pas ce que cette situation dit culturellement sur Maurice. On s’appauvrit.
Prenez l’Extended Programme. La première année, en Grade 7, ces élèves ne font pas Art and Design. La matière n’apparaît qu’en Grade 8. La difficulté des professeurs au collège, c’est qu’ils se retrouvent avec des élèves qui n’ont pas le niveau requis pour réussir l’examen final au primaire. Des élèves qui en Grade 7 ne savent pas forcément lire et écrire. Or les profs qui sont au collège ne sont pas formés pour enseigner au primaire. Ni n’ont-ils envie de le faire.
Il fait reconnaître qu’il y a aussi des élèves qui n’ont pas les capacités intellectuelles pour aller jusqu’au SC. En les gardant dans un système où ils doivent réintégrer le mainstream, on accentue le décrochage scolaire. Je ne dirais pas que c’est une perte de temps pour les élèves qui sont des late learners. Mais les autres perdent quatre ans. (NdlR : En 2023, le taux de réussite au National Certificate of Education, pour les élèves de l’Extended Programme était de 8,9 %).
Nous venons d’apprendre que le système d’évaluation va changer. Il y a deux-trois ans, j’ai rencontré la ministre de l’Éducation. C’était une démarche personnelle pour parler du bac pro français, un modèle qui aurait pu bénéficier à Maurice. Elle a été à l’écoute et m’a parlé du MITD.
À Maurice, il y a tellement de débouchés dans le secteur touristique, l’artisanat, mais cela nécessite des savoir-faire. On met trop l’accent sur la réussite intellectuelle, avec pour modèle le système compétitif de Singapour. Que fait-on des élèves avec des problèmes familiaux graves ? On sait que ce qui se passe à la maison a un impact direct sur la scolarité et le comportement des élèves. Je ne comprends pas pourquoi on appelle HSC Pro un programme où l’on n’apprend pas un métier.
Il y a le stage en entreprise dans le HSC Pro.
Les élèves suivent le même programme que le HSC mainstream. Les stages choisis par le MES sont dans le secteur IT. L’élève a cinq sujets, plus le Cambridge Advanced Professional in IT (Capit), plus le stage. Cela semble plus lourd que le mainstream. On se focalise sur l’IT. Pourquoi ? Le Capit aurait pu être une option en HSC mainstream.
L’an dernier, le HSC Pro a vu émerger des collèges et des profils d’élèves différents comme lauréats.
Est-ce qu’on crée un système pour produire des lauréats ? Je trouve cela discriminatoire. Les bourses sont pour les meilleurs, et les autres ? Maurice est trop axé sur cette dimension compétitive. On manque de bienveillance, de l’humain. L’éducation n’est pas que pour une minorité privilégiée.
Parcours
Didier Wong est Mauricien, naturalisé Français. Il est docteur en Arts et Sciences de l’art. Il enseigne les arts appliqués en lycée professionnel dans l’académie de Créteil, depuis 17 ans. Depuis trois ans, il est également formateur académique, c’est-à-dire qu’il contribue à la formation des enseignants. Didier Wong est également missionné pour des visites-conseil auprès des enseignants. Ancien élève du Collège du Saint-Esprit, après le HSC, il y a enseigné pendant six mois aux élèves de Forms I à IV.
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