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Élections générales

Dix ans plus tard: Ramgoolam et Bérenger peuvent-ils faire chuter Jugnauth?

5 septembre 2024, 19:00

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Dix ans plus tard: Ramgoolam et Bérenger peuvent-ils faire chuter Jugnauth?

14 avril 2024, Xavier-Luc Duval quitte l’alliance avec Bérenger et Ramgoolam.

On notait, en mars 2024, que c’était la première fois de sa longue histoire que le Parti travailliste (PTr) tentait de contracter une alliance, simultanément, avec le Mouvement militant mauricien (MMM) et le Parti mauricien socialdémocrate (PMSD). Le ménage à trois entre Ramgoolam, Bérenger et Duval n’a pas duré. Insatisfait du partage, Xavier-Luc Duval a choisi de briser l’union à trois pour reprendre son indépendance, en espérant trouver mieux ailleurs. Il n’a pas encore confirmé s’il a eu un meilleur deal ou s’il va rester seul, sans partenaire.

Se retrouvant à nouveau en tête à tête, les voisins de Riverwalk n’ont pas tardé, après la rupture avec le parti coq, à trouver de nouveaux partenaires en retenant d’abord une faction du PMSD, devenue Nouveaux Démocrates – (parti qui vient de naître et qui semble content d’avoir arraché, dans la conjoncture, trois tickets et de sortir du joug de XLD) – et en négociant avec le parti écosocialiste, Rezistans ek Alternativ, qui est, lui aussi, à la recherche de trois tickets. Sauf que le placement des candidats dans les circonscriptions ne dépend pas d’eux. Aux dernières nouvelles, on ne leur a pas donné un ticket au no 18, mais aux 4, 13 et 19. Mais cela peut changer encore.

Depuis 1976 !

Avant la rupture consentie avec le PMSD, les Travaillistes avaient déjà contracté des alliances avec les Bleus et les Mauves séparément, en plusieurs occasions, depuis 1976, soit pour les premières élections générales organisées à Maurice depuis l’Indépendance du pays, les précédentes datant du 7 août 1967.

anerood.jpg Anerood Jugnauth et Paul Bérenger au lendemain du premier 60-0.

L’année 1976 est particulièrement instructive. Les partis politiques se présentent aux élections du 20 décembre chacun de son côté. Le PTr et le Comité d’action musulman (CAM) sont alliés sous la bannière de l’Independence Party ; l’Independent Forward Block (IFB) de Sookdeo Bissoondoyal se présente seul ; le PMSD de Gaëtan Duval en fait autant. Le MMM, fondé en 1969, n’en est qu’à sa deuxième élection après la partielle de 1970 à Pamplemousses–Triolet, mais c’est sa toute première participation à des élections générales.

saj.jpg SAJ au Réduit avec Dayendranath Burrenchobay, le 14 juin 1982.

Les résultats de 1976 surprennent les observateurs et font, à bien des égards, figure de référence depuis. Le MMM décroche 30 sièges, le PTr compte 25 députés et le PMSD fait élire sept candidats, dont deux à Rodrigues. Par la suite, la nomination des Best Losers accorde quatre députés supplémentaires au MMM, trois au PTr et un au PMSD. La configuration de l’Assemblée législative avec les meilleurs perdants est comme suit : MMM – 34 députés, PTr – 28 et PMSD – 8.

Le PTr et le PMSD, oubliant leurs divergences fondamentales et leurs tirs croisés, s’allieront, sans vergogne, dans une coalition postélectorale. Seul objectif : barrer la route menant à l’Hôtel du gouvernement au MMM. Anerood Jugnauth ne sera donc pas Premier ministre en 1976, mais deviendra le leader de l’opposition, face à sir Seewoosagur Ramgoolam, qui sera laminé, en 1982, par une déferlante, qui marque le premier 60-0 de l’histoire.

Après le scrutin de 1976, les principaux partis politiques se sont toujours présentés en alliance aux élections générales.

Retrouvailles intimes

En novembre 2019, le PTr retrouve son allié intime, le PMSD, mais en face, l’Alliance Morisien, constituée du MSM et du Muvman Liberater, et de la plateforme militante de Steven Obeegadoo, remporte la majorité des sièges avec 37 % des votes (ce qui représente 27 % des électeurs inscrits). Le pays se retrouve déchiré en deux, voire en trois : un peu plus d’un tiers pour le MSM, et le reste pour le PTr-PMSD et le MMM, entre autres. Il y a aussi une claire dichotomie entre le vote rural et le vote urbain.

L’exploit du leader du MSM réside dans l’impressionnant fait qu’il a pu, malgré tous les scandales qui ont émaillé son régime depuis 2014, légitimer, par la grande porte, le pouvoir que lui avait légué son père, sous les critiques. D’autant qu’il a su, cette fois-ci sans son père sur la liste, damer le pion, d’une part, au tandem Ramgoolam-Duval et, de l’autre, à Paul Bérenger, pour faire émerger le MSM comme le plus grand parti du pays. Ce qui est en soi la success story la plus fulgurante dans les annales politiques de Maurice.

Alors que la découpe des 60 tickets agite l’opposition parlementaire – avec le PTr se taillant la part du lion avec 35 tickets, alors que le MMM, les ND et ReA se battent pour les 25 tickets qui restent, ne laissant même pas des miettes aux autres petits partis, comme Linion Moris ou Reform Party… pour d’autres raisons. On y reviendra.


Le cas de 2014

Navin Ramgoolam et Paul Bérenger, qui pensaient être à la tête d’une alliance invincible («40 % plus 40 %») avaient les chiffres sur papier mais pas les êtres qui votent. Inamovibles leaders des deux plus grands partis du pays, Paul Bérenger et Navin Ramgoolam avaient tout prévu : une conférence de presse de la victoire à l’Hôtel du gouvernement ; un 60-0 ou, à la rigueur, une majorité de trois quarts des sièges, pour initier des réformes électorales et constitutionnelles afin de se tailler des costumes neufs (celui de Premier ministre pour le leader du MMM et celui de super président pour le second), une îIe République, le ministère des Finances à Rama Sithanen, un «super» ministère à Reza Uteem, le lancement du méga projet de métro léger dont le financement de l’Inde avait déjà été trouvé. Ils croyaient avoir tout anticipé... sauf cette lame de fond, baptisée «Vire Mam», qui avait traversé le pays et qui avait pris plus d’un de court.
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Dès la conclusion de l’accord électoral rouge-mauve de 2014, l’express avait maintenu que le calcul mathématique simplet – qui consiste à combiner le corps électoral traditionnel du PTr à celui du MMM – ne tenait pas la route par rapport à l’usure du pouvoir du Premier ministre et du gouvernement sortants. Cette analyse se fondait surtout sur le reflet du terrain : nos journalistes, qui avaient inlassablement sillonné les 20 circonscriptions, nous rapportaient quotidiennement des informations émanant des différents coins de l’île. Et nous avions noté que si l’alchimie semblait plus ou moins fonctionner au niveau des deux leaders, la synergie entre les activistes des deux partis ne s’était, elle, jamais faite. Séparément, les deux partis auraient sans doute mieux fait. En s’associant, le PTr et le MMM se sont mutuellement causé du tort. Comme c’est le cas dans un couple toxique.

Pour affronter Ramgoolam et Bérenger, il y avait un assemblage hétéroclite de petits partis, menés par le MSM de Sir Anerood Jugnauth. À l’image du combat de David contre Goliath, la preuve a été faite qu’un minus comme le MSM pouvait effectivement gagner en montrant suffisamment de créativité, d’innovation et de connexion avec les «bread and butter issues» du peuple. Qu’en sera-t-il dix ans plus tard?