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Kronik KC Ranzé
Donner au pays ses meilleures chances
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Kronik KC Ranzé
Donner au pays ses meilleures chances
Les méthodes sont peut-être moins brutales, prendrons peut-être plus de temps, mais elles ne seront probablement pas moins efficaces! Entre 1965 et 1973, les Britanniques s’organisèrent pour, graduellement et sournoisement, évacuer les Chagossiens de leur terre natale. Le moindre prétexte fut utilisé. Les «méchancetés» et subtilités logistiques furent exploitées à fond pour purger ces îles à coprah de leurs habitants. On a même gazé les chiens des habitants en dernier recours ! Il aura alors fallu quelque huit années pour évacuer tout le monde. Fernand Mandarin témoigne (*) : En 1966, parti vers Maurice pour «faire ses courses» et se ravitailler, il découvrit après des mois de démarches infructueuses, qu’il n’y avait plus de bateau souhaitant le ramener chez lui ! Il n’y avait plus de billets aller-retour de Diego. Juste des billets «aller»…
Les manœuvres de nettoyage des îles, gouvernées par la BIOT depuis 1965, après le détachement des Chagos du territoire mauricien, avec l’accord du «gouvernement» de SSR, seront systématiques. Dans un premier temps, en 1971, le BIOT déporte tous les habitants de Diego Garcia, principalement vers Peros Banhos et Salomon. Sans réapprovisionnement, les difficultés s’accumulent et on dit que la famine menace. Les derniers habitants de Diego débarquent à Maurice en octobre 1971. Salomon est vidée de tous ses habitants en décembre 1972. En avril et mai 1973, le Nordvaer évacue les 470 derniers habitants de Peros Banhos. Comme l’écrit sèchement Jean Claude de l’Estrac (**), il n’y a alors plus de Chagossiens aux Chagos…
À Agaléga, où certains des Chagossiens évacués, comme Yeline Poulay, 70 ans, tentent de refaire leur vie, ce seront leurs enfants qui verront se reproduire le même scénario, à quelques détails près. Personne n’a jamais jusqu’ici rassemblé les Agaléens pour les embarquer vers Maurice, bien sûr, mais on y a terminé des travaux bien trop importants pour 350 habitants, promettant du «développement» qui ne se matérialise qu’au compte-gouttes, annonçant des vols commerciaux qui ne se concrétisent pas et qui font toujours l’objet d’études – alors que Rs 14 milliards, qui seront sûrement revues à la hausse (***) – ont déjà été dépensées!
Arnaud Poulay, qui s’inquiète depuis des années de «la base» qui se construit sous ses fenêtres et sa sœur Cynthia témoignent : le collège Medco est souvent sans professeur, les perspectives d’emploi sont rares et ne sont pas meilleures depuis que «la base» est construite ; et les enfants doivent encore voyager aléatoirement par bateau pour aller aux examens à Maurice, alors qu’une piste d’atterrissage de… 3 km de long existe maintenant à Agaléga ! Si à Maurice, les gouvernements qui se suivent comprennent occasionnellement le désir (le besoin !) des familles de posséder un lopin de terre et d’y construire un logis, à Agaléga, ce n’est jamais envisagé. Il y a quelque temps, on s’arrangeait même apparemment pour faire accoucher les Agaléenes à Maurice, l’idée étant peut-être d’éliminer les indigènes du droit de naissance ?
Résultat ? Sans avenir évident, sans perspective pour les enfants, le pays se vide déjà, comme pour les Poulay, aujourd’hui rendu à Manchester (l’express, 03/09/24). Agaléga se videra encore si l’on n’encourage pas les habitants de l’heure à y rester et peut-être même quelques autres (y compris des touristes en quête de paix et d’horizons nouveaux) à les y rejoindre. Il reste encore l’île du Sud si l’on veut vraiment un peu de «développement» et créer les emplois qui vont avec…
Question : si l’on ne peut assurer la viabilité des autochtones à Agaléga après plus de Rs 14 milliards d’investissements, comment allons-nous persuader quiconque, sans tiquer, Anglais compris, que le retour des Chagossiens à Peros Banhos et Salomon est, quant à lui… fiable. Financièrement ou autrement.
Les individus ont une espérance de vie d’environ 70 ans. Les États vivent plus longtemps et investissent en conséquence. Agaléga va-t-elle vraiment se «développer» ou va-t-on graduellement la voir se vider de sa substance, c.-à-d., de ses habitants délibérément négligés…?
***
Je ne sais pas qui a lu le rapport de la Banque mondiale (BM) de novembre 2023, intitulé Mauritius Public Expenditure Review, mais beaucoup d’eau semble avoir coulé sous les ponts depuis, sans que l’on ait trop vu des réformes qui y sont proposées. Au contraire, pris dans une spirale de vouloir à tout prix créer un feel-good factor national, avant la joute électorale qui s’annonce, il est plus qu’évident que les finances publiques ont encore souffert de manière significative depuis. Et ce n’est peut-être pas fini, Privy Council aidant !
Si l’électorat est achetable, comme le pensent tous les gouvernements sortants, ce seront les mêmes qui devront gérer les conséquences, chiffres manipulés ou pas, et ce ne sera que justice. Si l’électorat est plus cynique, gobe les friandises distribuées, mais sanctionne le côté nauséabond du présent régime, ce seront les petits nouveaux qui seront appelés à maîtriser les conséquences… Bonne chance !
Ce rapport, produit par pas moins de 28 experts avec de l’expérience partout sur la planète, mais connaissant, crucialement, la situation chez nos homologues, reconnaît que Maurice «is one of Africa’s most secure and prosperous countries», mais met en garde contre nos dérapages, propose des changements de cap et recommande des réformes profondes, même si dans le langage châtié de la bureaucratie internationale (****).
Ainsi : «Over the past decade, government’s expansionary spending to sustain demand-led growth has begun to undermine macro-economic stability and hinder growth», prévient-elle, ajoutant : «Revenue mobilization… remains below the average of comparator groups, with very limited social contributions», rappelant que «increasing the allocative and technical efficiency of public spending could greatly enhance the impact of a limited fiscal envelope» et que «… trends in budgetary and extra-budgetary spending present cause for concern». Au-delà de la dette nationale, la BM souligne aussi que «explicit contingent liabilities are substantial and require close monitoring»; que «implicit direct liabilities from social spending are elevated and will rise further unless the root causes of inequality are addressed», alors que «implicit indirect contingent liabilities emanating from multiple sources could compel the government to cover large losses even without a legal obligation».
Ce n’est pas peu, tout ça ! Et personne n’en parle…
Le réquisitoire sur le secteur éducatif, à partir de la page 62, mérite lecture et relecture, car absolument crucial aux aspirations du pays. On y apprend notamment que notre pays domine régulièrement les 14/15 pays africains qui participent tous les six ans, au Southern and Eastern Africa Consortium for Monitoring Education Quality (SEACMEQ), qui établit la réussite comparative de l’éducation nationale pour les 6th graders. Aux derniers tests de 2013, si nous étions légèrement moins bon que le Kenya et l’Eswatini pour la lecture, nous étions les meilleurs pour les mathématiques. Bravo ! On attend toujours les résultats de 2019 ?
Cependant, si on change d’échelle de comparaison et que l’on se réfère au test PISA de l’OCDE, la BM souligne que nous étions, lors du dernier test comparatif de… 2009, à près de 90 points à la dérive de la moyenne OCDE, ce qui équivaudrait selon eux à TROIS ANS D’ÉCOLAGE EN MOINS ! Le plus inquiétant ? Il semblerait, ayant été passablement échaudé par cette comparaison lamentable de 2009 avec «les grands» de l’OCDE, qu’on ait choisi de ne pas récidiver! Et de se choisir une échelle de comparaison qui nous soit invariablement plus favorable, même si cela ne nous permettra pas d’aspirer (et de nous stimuler) à bien mieux…
Notre pays a choisi le confort du «moins disant» pour reprendre un terme cher au ministre des Finances… Ce n’est rien de moins qu’une démission face à ses responsabilités, voire une forfaiture !
Qu’aucun cadeau de Rs 20 000 à l’âge de 18 ans, qu’aucun cadeau d’intérêts sur prêt logement et qu’aucun forfait internet gratuit jusqu’à l’âge de 25 ans ne saurait ni masquer, et encore moins compenser!
***
«Mo kontan ki se zournal l’express kinn vinn dir sa ek mo kapav konfirme laverite seki linn dir», déclarait le PM cette semaine à propos d’un terrain accordé pour un centre culturel tamoul à Réduit, mais repris en 2006 par les Travaillistes. Le PM reconnaît ainsi, indirectement il est vrai, le travail objectif des journalistes de l’express, mais seulement parce que dans ce cas-là, ça lui convient! Quand ce même travail ne lui convient pas, ce même journal est diabolique ? Et doit être puni ?
Ce petit épisode, que certains présentent, à tort, comme un événement, n’indique, en aucun cas, un changement de ligne éditoriale ou une posture de roder bout. L’express, de bonne foi, et certes pas infaillible, cite des faits, critique ce qui est critiquable, et soutient ce qu’il pense être positif pour notre bien commun et pour donner au pays ses meilleures chances. Point à la ligne !
(*) Retour aux Chagos, Fernand Mandarin raconte, Caractère Ltée, Avril 2016
(**) L’an prochain à Diego Garcia …., Jean Claude de l’Estrac, ELP Publications, Mai 2011
(***) Rs 14 milliards, c’est le chiffre de la dernière réponse parlementaire du 17 octobre 2023, qui devait encore être actualisée, selon le PM.
(****) World Bank Group
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