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Interview...

Dr Tadjoudine Ali-Diabacté

7 juin 2024, 21:59

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Dr Tadjoudine Ali-Diabacté

Dr Tadjoudine Ali-Diabacté, expert électoral et consultant pour l’ONU

Le «Same Day Counting» fait débat à Maurice. Quels sont les avantages et les inconvénients que vous avez notés à travers le monde ?

En Afrique et dans la plupart des pays du monde, le dépouillement des bulletins et le comptage des voix se font le même jour que le scrutin, et immédiatement après la fermeture du bureau de vote.

a) Avantages :

  • Les bulletins sont sur place et n’ont pas besoin d’être déplacés (logistique) ni d’être sécurisés.

  • Les membres des bureaux de vote, les représentants des candidats et des partis politiques, ainsi que les observateurs nationaux et internationaux sont sur place et ne doivent pas être remobilisés une autre fois pour assister au comptage des voix et signer les procès-verbaux.

  • Les agents électoraux et les témoins des candidats peuvent immédiatement accompagner les résultats vers les lieux de centralisation et s’assurer qu’il n’y a pas d’altération des procès-verbaux au cours de la transmission.

  • Mais plus important, les résultats sont connus plus rapidement par les candidats et les autres acteurs électoraux, ce qui limite les suspicions et augmente la crédibilité et l’acceptation des résultats.

b) Inconvénients :

  • C’est le contraire de tous les avantages cités plus haut.

  • Il y a en outre une augmentation du coût du personnel électoral, des agents des partis politiques et des observateurs (deux ou plusieurs jours de travail au lieu d’un seul jour), du coût de la logistique et de la sécurité. Il y a plus de risques d’altération du matériel électoral, voire de fraudes.

c) Les pays dans lesquels le comptage des voix ne se fait pas le même jour et dans les bureaux de vote sont généralement les pays caractérisés par une grande insécurité et dans lesquels il est difficile de sécuriser nuitamment les centres de vote et le personnel. C’est le cas par exemple en Haïti, en Afghanistan ou en Irak, où le comptage des voix se fait dans des «centres de comptage des voix». Après la fermeture des bureaux de vote, tout le matériel est conditionné et transporté, sous «escort» de forces de sécurité nationales et internationales, dans des centres sécurisés pour le comptage des voix qui dure des jours, voire des semaines. Il m’a été rapporté que le comptage des votes s’effectue le lendemain du jour du scrutin dans des pays comme Maurice, une petite île paisible. Nous n’arrivons pas à comprendre les raisons pour lesquelles le comptage ne se fait pas le même jour.

D’une manière générale, et quand les conditions sociopolitiques le permettent, il y a plus d’avantages que d’inconvénients de procéder au comptage des votes immédiatement après la fermeture du bureau de vote, tant sur le plan technique que pour la crédibilité des résultats.

Quels sont les indicateurs clés pour évaluer l’équité et la transparence d’une élection ?

Pour assurer l’équité et la transparence des élections, plusieurs mesures adéquates sont mises en place en fonction des réalités sociologiques et politiques de chaque pays. Mais les critères et les principes à considérer sont les mêmes. On doit prendre en compte, entre autres :

  • Des lois électorales conformes aux principes démocratiques : tous les citoyens jouissent des mêmes droits de participer au processus électoral (électeurs et candidats) sans distinction de race, de religion ou de sexe.

  • La liberté d’expression, de réunion, d’expression, sans intimidation ni obstruction.

  • Un comportement éthique des acteurs électoraux, sans intentions ni actions de fraudes (manipulation des résultats, achat des consciences, etc.). Ce comportement est souvent régi par des «codes de bonne conduite» des différents acteurs électoraux (partis politiques, candidats, médias, etc.).

  • Une administration électorale (ministère ou commission électorale selon les pays) compétente, équitable et impartiale. Exemple, au Nigeria ou en Afrique du Sud, c’est la Commission électorale indépendante qui organise les élections, alors qu’au Sénégal, c’est le ministère de l’Intérieur qui le fait. Mais dans tous ces cas, l’administration électorale est compétente et impartiale.

  • Des mesures de contrôle, checks and balances, à chaque étape du processus électoral. Par exemple, la Commission électorale indépendante (CEI) de la République d’Afrique du Sud (RAS) a adopté pour le comptage des voix, la transmission, la centralisation et la publication des résultats des mesures exceptionnelles et uniques en Afrique : présence des représentants des candidats, des partis politiques et des observateurs, affichage des résultats par bureaux de vote, audit des résultats par des structures compétentes et indépendantes, transmission des résultats à la centralisation après validation, publication instantanée des résultats par circonscription électorale. Les membres de la CEI prennent connaissance des résultats à tous les niveaux au même moment que les candidats et les électeurs.

  • Conclusion : toutes ces mesures d’équité et de transparence concourent à la crédibilité du processus électoral, à la confiance des acteurs électoraux et à l’acceptation des résultats. Les élections crédibles et transparentes sont celles dont les résultats sont l’expression fidèle de la volonté du peuple.

Quels sont les principaux défis que vous avez observés durant les dernières élections en Afrique du Sud ?

Plusieurs défis ont été observés et relevés par les acteurs nationaux et les observateurs.

Les principaux défis sont :

  • L’information des acteurs électoraux par la CEI sur les nouveaux amendements apportés à la législation électorale, notamment : l’utilisation de 3 bulletins au lieu de 2 bulletins comme par le passé ; l’utilisation d’un bulletin «national» avec 2 colonnes, au risque de créer la confusion ; les nouvelles règles liées aux «votes anticipés» par les malades, les personnes avec handicap, les prisonniers, etc., dans les bureaux de vote et dans les visites à domicile ; la nécessité pour les électeurs de voter uniquement dans le bureau de vote où ils ont été enregistrés pour le scrutin «national» et non plus dans n’importe quel bureau de vote de la circonscription électorale.

  • La modification tardive de la loi électorale qui a causé à la fois des défis d’information et de logistique à la CEI.

  • L’identification des bureaux de vote par certains électeurs. La CEI a dû faire des aménagements relatifs à la localisation des bureaux de vote. Ce qui a été un défi pour certains électeurs le jour du scrutin. La CEI aurait pu établir un «numéro vert» comme c’est le cas dans beaucoup de pays africains, pour permettre de retrouver leur bureau de vote par appel téléphonique.

  • Le nombre très élevé des électeurs dans les bureaux de vote : Généralement en Afrique, compte tenu de la pyramide des âges, le nombre moyen des électeurs se situe entre 500 et 600 électeurs. En RSA, des bureaux de vote comportaient plus de 1 000 électeurs, parfois jusqu’à 3 000 électeurs. La CEI devrait faire une distinction nette entre les centres de vote (écoles ou tous les autres lieux publics pouvant recevoir des milliers d’électeurs) et les bureaux de vote «polling units or polling stations» de 500 à 600 électeurs. La CEI de la RSA a créé des sous-bureaux de vote (plusieurs lignes) mais dans un même bureau de vote. Cela a entraîné deux conséquences : 1) il y a eu de très longues files le jour du scrutin, et le vote qui a commencé le 29 mai 2024 s’est poursuivi jusqu’au 30 mai 2024, voire à deux heures du matin dans certaines localités ; 2) le comptage des votes a été extrêmement lent. Il s’est poursuivi du 29 mai au 1er juin 2024, c’est-à-dire quatre jours au lieu de deux à six heures. Or, plus tôt les résultats des élections sont connus, moins il y a de risques de suspicions et de contestations.

  • Des cas de contentieux électoraux qui étaient toujours pendants devant les Cours et tribunaux au moment où se déroulait le scrutin. Exemple : les cas du parti Umkhonto Wesizwe (MK) et de l’ancien président Zuma. La Cour constitutionnelle a confirmé la décision de la CEI d’exclure le président Zuma de la liste des candidats à l’élection législative, en raison de la nature de sa condamnation par la justice. Mais la décision de la Cour constitutionnelle a été publiée quand la photo de Zuma était sur les bulletins de vote déjà imprimés. En outre, il y avait toujours un contentieux entre le MK et le National African Congress (ANC) sur l’utilisation de certains symboles considérés par ce dernier comme des patrimoines communs aux deux partis, etc.

  • L’utilisation des machines dans les bureaux de vote pour identifier les électeurs. Ces machines (Voter Monitoring Device - VMD) ne sont pas requises par la loi, mais ont été introduites par la CEI pour un double contrôle (manuel et électronique). Ces machines ont mal fonctionné dans la plupart des bureaux de vote. Conséquence : l’ouverture des bureaux de vote a été retardée dans un grand nombre de centres de vote.

  • Le déploiement du matériel électoral dans les bureaux de vote le jour du scrutin. Beaucoup de bureaux de vote ont ouvert tardivement (avec parfois 2 heures de retard ou plus) parce que le matériel électoral n’est pas arrivé à temps ou était incomplet. Ce genre de problème devait pouvoir être évité par une administration électorale aussi compétente que celle de la RSA.

Qu’en est-il de l’utilisation de la technologie lors des récentes élections en Afrique, y compris en Afrique du Sud ?

a) L’utilisation des nouvelles technologies de l’information a été positive dans le processus électoral de la RSA.

  • Elle a permis à la population, surtout aux jeunes, de s’enregistrer sur les listes électorales en ligne, au lieu d’avoir à se déplacer dans les centres d’enrôlement et de vote.

  • Elle a beaucoup servi dans l’éducation civique et électorale par les messages en ligne.

  • Elle a permis la publication des résultats spontanément, circonscription par circonscription électorale, créant une plus grande transparence dans le processus électoral.

b) Mais en même temps, l’utilisation de ces nouvelles technologies a engendré quelques problèmes dans le processus électoral.

  • La plupart des machines d’identification (VMD) sont tombées en panne.

  • Les nouvelles technologies ont été également utilisées pour la diffusion des «fake news» et pour la désinformation à travers les réseaux sociaux : Facebook, X, WhatsApp, etc. La législation de la RAS ne permet pas encore de bien encadrer adéquatement l’utilisation de ces réseaux sociaux, et d’en limiter les effets négatifs sur le processus électoral.

c) Concernant l’utilisation des nouvelles technologies en général :

  • Il faut noter qu’aucun pays africain ne pratique exclusivement le vote électronique. Pour cause : les infrastructures ne sont pas adaptées, surtout l’internet et l’électricité.

  • En outre, il y a un important débat sur la nécessité et la pertinence d’utiliser ces outils technologiques qui sont parfois coûteux et superflus. En France et au Japon, pays très avancés en technologie, le vote se fait le plus souvent manuellement. Aux États-Unis, selon les États, le vote est électronique combiné au manuel.

  • Au Sénégal, au Botswana comme au Cap Vert, pays exemplaires en processus électoraux, le vote est manuel. En République démocratique du Congo (RDC), «la machine à voter» ne sert pas à un vote électronique. Cette machine est seulement : 1) une imprimante thermique pour éviter le transport des bulletins de vote très larges comme ceux du Nigeria ou de la RSA ; 2) un outil qui permet de faire le comptage électronique des voix qui sera comparé au comptage manuel ; 3) et une clé USB pour stocker les résultats validés des bureaux de vote, afin de les envoyer électroniquement aux bureaux de centralisation. En RDC, il n’y a donc pas de vote électronique malgré l’usage de machines électroniques dans les bureaux de vote.

  • Au Kenya, au Nigeria et ailleurs en Afrique, les Commissions électorales ont connu de sérieux problèmes, notamment dans la centralisation et la publication des résultats de façon immédiate sur leurs sites internet.

  • Les pays au monde qui utilisent systématiquement et efficacement le vote électronique sont le Brésil et l’Inde. Ces pays ont une très large population éparpillée dans des zones très difficiles comme la forêt de l’Amazonie (Brésil) ou les montagnes hautes de plus de 8 500 m (Inde). Enfin, ces pays ont développé des technologies qui s’adaptent à leur contexte sociopolitique.

  • Conclusion : l’introduction des nouvelles technologies dans les processus électoraux en Afrique doit se faire avec beaucoup de parcimonie, en prenant en compte la pertinence, l’efficacité, le coût et la durabilité.


Biographie Sommaire

Le Dr Ali-Diabacté est l’ancien directeur-adjoint de la Division de l’assistance électorale de l’Organisation des Nations unies (ONU), à New York, de 2007 à 2016. Actuellement membre du Conseil d’administration de l’EISA, il a été chef de la mission du panel des experts de l’ONU pour le référendum d’auto-détermination de la Nouvelle-Calédonie de 2018 à 2021 ; conseiller politique et électoral de l’Union européenne au Niger de 2019 à 2021 ; chef de missions pour les élections en Algérie, aux élections générales des USA (2008, 2012 et 2016) et du Burundi (2015). Le Dr Ali-Diabacté a été également chef de missions d’évaluation des besoins électoraux dans plusieurs pays du monde et a représenté l’ONU dans plusieurs rencontres électorales avec CARICOM, CEDEAO, Union Africaine, Ligue Arabe, SADC, Union européenne, etc.