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Traduction
Edouard Maunick : Fais comme l’oiseau
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Traduction
Edouard Maunick : Fais comme l’oiseau
1954-2024 : 70 ans après la parution du tout premier recueil d’Edouard Maunick, Rama Poonoosamy et l’agence Immedia donnent un nouvel envol à «Ces oiseaux du sang». Ces ailes toutes neuves portent également une traduction en kreol de Kavinien Karupudayyan.
«Pou koumanse, pitie!»
Ainsi s’écriait le poète, il y a de cela sept décennies. Edouard Maunick, qui le crachait en français, poétisait l’arbre qui cache la forêt impitoyablement malmenée. Dans Fragile, il se désolait :
«Il reste encore beaucoup à dire de cette terre qui n’a pas encore commencé à pleurer ses arbres incendiés (…)
Je ne veux nullement mêler la hache aux coups déjà mortels du vent. Pitié pour les fruits à venir (…)
Il reste encore beaucoup d’arbres sur la terre.
Leur mort est pour demain.»
Demain devenu aujourd’hui. L’heure pour le poète qui a nargué la mort de revenir du diable Vauvert. Le ver plus luisant que jamais. 30 septembre 1954–30 septembre 2024 : 70 ans après la parution du premier recueil d’Edouard Maunick, Rama Poonoosamy et l’agence Immedia rééditent Ces oiseaux du sang.
En avant-propos, Ananda Devi, s’adressant directement à Edouard Maunick, souligne que ce recueil est «le premier certes, mais sans doute pas les premiers poèmes, non tu as dû en écrire tant d’autres, bien avant qu’on aimerait lire». Cette réédition est enrichie d’une traduction en Kreol de Kavinien Karupudayyan.
«Poem tousel liber mwa»
Traduit-il – trahissant un peu, oh si peu – la voix originale d’Edouard Maunick, dans Avegle, poème dédié à Jean Fanchette. La traduction de classiques en Kreol est une activité régulière de Kavinien Karupudayyan, enseignant. «Je le fais pour voir comment ça se lit.» Il se penche actuellement sur la nouvelle Kabuliwala de Rabindranath Tagore. «On dit que corpus en Kreol est pauvre en textes, c’est important de traduire des classiques», affirme celui qui confie n’avoir jamais rencontré Edouard Maunick. Ce qui ne l’empêche pas de l’admirer.
Ancien élève du Mootoocoomaren Sangeelee SSS, Kavinien Karupudayyan entretient une filiation avec Sangeelee qui traduisait des classiques du tamoul au français. La famille de Sangeelee lui a confié – ainsi qu’à Marek Ahnee – la bibliothèque de l’auteur. Parmi ces livres figure un exemplaire de Ces oiseaux du sang dédicacé par Edouard Maunick à Mootoocoomaren Sangeelee, explique Kavinien Karupudayyan. L’exercice de traduction démarre en 2022, avec le soutien de l’équipe d’Immedia. «La première fois que j’ai été publié, c’était en 2014, dans la Collection Maurice, avec Ate anvil. Dix ans plus tard sort cette traduction.» C’est aussi à travers le prix de poésie annuel Edouard Maunick qu’Immedia garde vivante la flamme du poète.
Extrait
Ananda Devi signe l’avant-propos de la réédition de Ces oiseaux du sang. Nous reproduisons ici un extrait de ce texte où elle analyse le difficile exercice de traduire Edouard Maunick en Kreol. «Traduire ce texte était une belle épopée. Épopée impossible ? Sans doute. Toute traduction est une entrée dans un labyrinthe dont on ne connaît pas l’issue. Et traduire la poésie exige de soi quelque chose de sacrificiel. Le sacrifice de sa propre voix et le sacrifice des non-dits cachés dans le poème. Mais une traduction réussie parvient malgré tout à faire entendre son chant immanent, sa musique intime, ses riches cadences (…) Ah, on pourrait encore beaucoup écrire sur le mystère des partis pris des traducteurs. On peut être d’accord avec certains choix ou pas. C’est le propre des traductions de pouvoir toujours être revisitées. Mais ce sont surtout leurs propres obsessions qu’ils nous révèlent ainsi. Relire Ces oiseaux du sang à travers le regard et la plume de Kavinien Karupudayyan, c’est faire le voyage à rebours d’Edouard Maunick vers sa propre langue maternelle dans tous les sens, c’est le ramener dans ce godi qu’il n’a jamais quitté, à travers le prisme intime du traducteur.»
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