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Questions à Alain Jeannot
«Éduquer, sensibiliser, punir quand il le faut et surtout prévenir»
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Questions à Alain Jeannot
«Éduquer, sensibiliser, punir quand il le faut et surtout prévenir»
Alain Jeannot, président de Prévention routière avant tout (PRAT).
À ce jour, nous avons dépassé le chiffre de 131 décès sur nos routes, une hausse considérable, surtout parmi les jeunes, par rapport à l’an dernier. L’infatigable président de l’ONG PRAT, qui milite pour la sécurité routière, commente dans cet entretien la hausse des accidents mortels cette année.
Il est important de souligner que 78 % des accidents mortels ont largement dépassé la barre des 100 victimes. Quel est votre avis sur cette situation ?
C’est d’abord une situation regrettable et alarmante car les accidents de la route n’arrivent jamais par hasard ; il y a toujours une raison ou une conjonction de causes à un imprévu. Donc, ils sont évitables si toutes les conditions de sécurité routière sont réunies. Pour ce faire, idéalement, il faudrait s’assurer que ces quatre piliers soient sûrs et sans failles: 1. usagers de la route sûrs; 2. véhicules sûrs ; 3. routes sûres ; et 4. vitesses sûres. À cette liste, pour éviter que les cas ne s’aggravent si l’imprévu se produit, il faut ajouter une prise en charge médicale sûre, rapide et efficace. Ayant pris ces critères en considération, il est important de souligner que l’erreur est humaine, et que, dans ce contexte, ces manquements peuvent compromettre la sécurité routière, mais cela ne veut pas dire que les conséquences doivent aller jusqu’à la perte de vie ! C’est pour cela que, dans l’accidentologie, la conception des routes et des infrastructures doit être indulgente, palliant les manquements humains qui échappent au contrôle.
Dans le contexte local, nous avons une appréciation soutenue d’environ 4 % de notre parc de véhicules annuellement. Aujourd’hui, notre pays affiche deux véhicules par foyer ! De plus, 36,2 % des 661 553 véhicules sur nos routes, en juin 2023, étaient des deux-roues motorisés. Or, ces deux-roues sont 25 fois, voire 30 fois, plus à risque que les quatre-roues. Ce qui met une grosse pression sur la sécurité routière.
D’autre part, l’indiscipline, l’empressement, le manque d’organisation, la consommation de produits intoxicants, la vitesse, le manque de formation des conducteurs, les infrastructures, marquages et mobiliers de route parfois négligés ou inexistants, et la mentalité égoïste, voire barbare, de certains usagers de la route, bref, le manque de culture de la sécurité routière et du respect de la vie n’arrangent vraiment pas les choses ! Ce qui pourrait expliquer ces victimes, ces familles et ces cœurs brisés à jamais en 2023…
Comment empêcher qu’il y ait davantage de morts sur nos routes ?
Pour prévenir ces morts, ces blessés graves, ces souffrances en tous genres et cette paupérisation vicieuse et insidieuse, il faudrait éveiller les consciences de manière continue, taper sur les doigts et surtout dans la poche quand le respect du code de la route est bafoué ; assurer un sérieux et un dévouement sans reproches chez ceux directement concernés par la route ; entretenir les infrastructures de manière encore plus soigneuse, et considérer, à long terme, la réduction du nombre de kilomètres parcourus par les deux-roues motorisés, entre autres. Nous avons connu un accès à la route et à la conduite incomparable. Quand j’étais enfant, dans les années 70-80, les gens de mon village saluaient respectueusement une voiture, sans même savoir qui s’y trouvait, parce que la voiture était le signe que c’était le patron.
Aujourd’hui, tout le monde ou presque possède une voiture dans sa cour. Or, la question qui se pose : cette transition matérielle a-t-elle été suivie par une mentalité de respect d’autrui et de partage, de patience et de compassion ? Je pense que nous avons échoué à ce niveau. Sinon, comment expliquer qu’environ 50 000 conducteurs aient été verbalisés pour non-respect de la limite de vitesse ces deux dernières années ? Comment expliquer qu’en cinq ans, nous ayons enregistré 863 délits de fuite ? Ne faudrait-il pas revisiter les sanctions, poursuivre avec courage, et mener de manière scientifique la conscientisation ?
Lorsque nous voyons que 50 % des victimes de la route sont des utilisateurs de deux-roues motorisés – des engins à haut risque –, n’est-il pas souhaitable de revoir à la baisse leur exposition sur la route en proposant des modes de transport alternatifs qui s’adaptent à leurs exigences ? Je ne parle pas d’enlever totalement les deux-roues, mais de réduire le VKT (vehicle kilometres travelled). Lorsque des lignes blanches n’indiquent plus la priorité, que les panneaux de signalisation sont pourris et les trottoirs cassés, ne viennent-ils pas compromettre la communication routière tout en faisant un pied de nez au respect que les usagers doivent aux autorités ?
Qu’est-ce qui cloche donc dans notre système ?
Comme tout système, il demande à être réévalué constamment et surtout en amont du progrès. Je vous donne un simple exemple : pendant ces dix dernières années, nous avons eu des progrès technologiques et audiovisuels sans précédent, qui sollicitent notre éveil jusqu’à fort tard dans la soirée, et compromettent la qualité et la durée de notre sommeil. Avons-nous eu une éducation au danger du manque de sommeil sur notre santé et notre concentration sur les routes ?
J’ai personnellement souligné ce problème en 2010 en faisant même une journée sans écrans. Mais quel a été le suivi ? Nous disposons de deux téléphones portables par tête d’habitant.
Quelle éducation en amont a été conçue pour éveiller les consciences aux risques du portable sur la route ? Il faut être plus prévoyant, plus vigilant, plus proactif, et quand vous voyez des personnes passionnées qui le sont, il faut les encourager au lieu de les refroidir. Car si une pincée de sel tombe dans un récipient d’encouragement, elle donnera du goût mais si elle est noyée dans une rivière qui sous-estime les bonnes volontés…
Quelle est, selon vous, la solution ?
Éduquer, sensibiliser, punir quand il le faut, et surtout prévenir ; nous n’y échappons pas! Je vous livre quelques pistes de réflexion. Pourquoi 94 % de ceux impliqués dans des accidents de la route sont des hommes ? Apprenons-nous à nos garçons le respect de la vie et de la discipline ? La vitesse et la prise de risque sont-elles valorisées dans notre société ? Comment renverser la tendance, si c’est le cas ?
Seriez-vous d’accord pour remplacer «Fast and Furious» par «Smart and Cautious» ?
Sommes-nous tous conscients qu’en tant que piétons, nous sommes repérés jusqu’à une distance de 50 mètres par les phares d’un véhicule lorsque nous portons des vêtements de couleur claire, alors que les habits en tons sombres ne sont vus qu’à 25 mètres seulement ? Si oui, pourquoi continuer à porter des habits sombres le soir ?
Plus de 45 % des accidents mortels surviennent le week-end. Pourquoi ? Que faudrait-il faire pour aborder cette dérive ?
La plupart des personnes ne se souhaitent pas «bonne route» mutuellement lorsqu’elles se quittent. Ne serait-il pas souhaitable que nous remettions cette formule de politesse, qui pourrait contribuer à conjurer le mauvais sort au goût du jour, en le saupoudrant d’une pincée de recommandation ? Pour éviter le malheur, levez le pied sur l’accélérateur. Sommes-nous au courant qu’une collision à 80 km/h équivaut à une chute d’un bâtiment de sept étages ?
Je voudrais souligner ici que les accidents de la route NAPA GET FIGIR! Ma mère a été victime d’un accident la semaine dernière et elle est toujours hospitalisée. Elle était piétonne au moment des faits. Comme elle, les personnes âgées constituent 60 % de nos victimes piétonnes. Pratiquons la conduite défensive en tenant compte du fait que les personnes âgées sont très vulnérables.
Je voudrais aussi souligner que plus de 70 % des accidents arrivent lors de dépassements mal gérés ou intempestifs. Il serait donc souhaitable que la sensibilisation et la répression soient orientées vers cette situation.
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