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Agalega
«Ensam, ensam, ensam dan mem bato… dont on ne voit pas le bout»
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Agalega
«Ensam, ensam, ensam dan mem bato… dont on ne voit pas le bout»
L’association Les amis d’Agalega (AMA) a célébré ses 20 ans d’existence et d’actions le dimanche 17 septembre. Ses membres actifs et ceux qui ont cheminé à leurs côtés ont démarré cette journée d’anniversaire par une messe en l’église de Sainte-Croix, avant de se réunir autour d’un déjeuner au centre de l’AMA à Roches-Bois, avec au menu le traditionnel «seraz» poulet. Cependant, ce jour d’anniversaire n’a pas été qu’aux réjouissances et au partage. 20 ans après, le combat de l’association continue, mais prend une autre tournure. Surtout avec l’installation indienne qui a pris racine à Agalega et l’inauguration prévue en décembre de la base militaire indienne, comprenant une nouvelle piste d’atterrissage et une jetée par le Premier ministre Pravind Jugnauth. Sauf changement.
«20 ans sont passés si vite. Nous avions démarré sans un sou et nous remercions l’Église catholique qui a toujours été à nos côtés dans les hauts et les bas, et tous les amis qui nous ont soutenus et ont contribué à tenir le centre jusqu’à ce jour.»
Laval Soopramanien, président de l’association, a eu la parole lors d’une messe en l’église de Sainte-Croix, dimanche dernier, pour présenter l’association à ceux qui ne la connaissent pas. L’AMA a soutenu à ce jour une vingtaine de mineurs d’Agalega, venus poursuivre leurs études à Maurice avant de repartir majeurs. La plupart sont fonctionnaires dans l’archipel.
«Malgré kantité dimal imperialis inn fer nou, pé empes mwa ek lezot ale laba. Bann zanfan pé penalizé akoz éna sizé pa kapav fer dan form 5 laba ek en 2023 ankor éna zenn ki pé bizin vinn koléz Moris. Malgré dimal ekolozik kinn fer Agalega kot biento avek sa kantité fencing kinn mété, pa pwéna enn plas pou Agaléen kapav marsé. Bondié donn mwa kouraz persévéré», s’est exprimé à cœur ouvert Laval Soopramanien.
20 ans après, la lutte de l’AMA se poursuit mais prend une nouvelle tournure, a conclu le président de l’association. Interrogé plus tard sur ce qu’il a voulu dire, Laval Soopramanien affirme qu’avec les infrastructures indiennes quasi prêtes dans l’archipel, certains habitants parlent déjà de «pey zot pou zot kit Agalega». «Une partie parle de compensation; une autre ne veut pas quitter Agalega, et une autre partie veut venir s’installer à Maurice. Des jeunes, pour leur part, voient leur avenir en Angleterre. Sans compter qu’avec la superficie de terrain qui devient zone interdite, est-ce qu’il y aura au bout du compte un dépeuplement déguisé ?», se demande-t-il.
Pour toutes ces raisons, l’AMA a besoin du coup de main de tout un chacun, poursuitil, avant d’appeler à l’unité du peuple agaléen afin de faire entendre leurs récriminations d’une seule voix. Un même cri de ralliement qu’il a tenu plus tard au centre de l’AMA à Roches-Bois, face à un petit comité d’Agaléens et d’amis d’Agalega réunis à déjeuner autour d’un seraz poulet, lentilles, riz blanc, salade de papaye, «satini coco» et le traditionnel gâteau d’anniversaire. Il a aussi demandé au père Michel Moura, vicaire épiscopal responsable du dossier Agalega au diocèse de Port-Louis, de transmettre un message à Mgr JeanMichaël Durhônepour l’instauration d’une cellule dans chaque paroisse car, seule, l’AMA ne pourra poursuivre la lutte agaléenne.
La nouvelle jetée.
«Nou bizin mars ansam pou enn zoli lavenir pou ki Agaléen débout lor zot prop lipié», a parachevé Laval Soopramanien, avant d’être chaudement applaudi par les invités présents, qui ont aussitôt entonné en chœur : «Ensam ensam, ensam dan mem bato.»
Michel Moura, vicaire épiscopal responsable du dossier Agalega
«‘tizil boté’, mais grandes questions»
Le père Michel Moura, vicaire épiscopal responsable du dossier Agalega au diocèse de Port-Louis, a, en ce jour d’anniversaire, fait tout le trajet de Bel-Air, paroisse où il est affecté, à Sainte-Croix. Celui qui s’estime être «un ami d’Agalega», archipel qu’il a «le privilège» de connaître et de porter dans son cœur depuis au moins 31 ans – avant même qu’il ne devienne prêtre –, a, d’emblée dans son homélie, soutenu, que tous à Agalega, Maurice et Rodrigues doivent se sentir concernés par ce qui se passe à Agalega.
«Sé vré kapav blié sa ti bout zil a plizier kilomet Moris ek pa kas tet ek séki pé deroulé laba. Mé Agalega bizin enn preokipasyon pou tou dimounn.»
D’enchaîner qu’une des questions capitales à adresser est la libre circulation pour que les habitants de la République puissent se rendre dans l’archipel, rappelant l’actualité touchant des familles agaléennes qui sont restées à quai à Maurice et qui n’ont pas pu rentrer chez elles lors du dernier voyage du Mauritius Trochetia, début septembre, faute de places et de cargo dangereux à bord, à en croire l’Outer Islands Development Corporation.
Le vicaire épiscopal a également abordé la division au sein de la communauté agaléenne. «Inn éna bann évéman kinn fer ban frér ek sér agaléen dispersé ek sakenn get so bout. Tou frér sér bizin met latet ensam. La parole dit d’aller au-delà de nos différences, de nos bisbilles. Il faut être vigilants et travailler ensemble dans le respect des uns et des autres, savoir ce qu’on souhaite ensemble pour construire un avenir meilleur pour Agalega.»
Toujours selon Michel Moura, beaucoup d’Agaléens venus vivre à Maurice ont le cœur toujours attaché à leur île. L’AMA, souligne-t-il, n’est pas nécessairement née dans l’archipel mais ce qui compte, c’est la collaboration de tout un chacun pour faire avancer la cause d’Agalega.
Parmi les autres questions à adresser : une éducation plus adaptée aux jeunes qui puisse répondre aux besoins d’Agalega maintenant et à l’avenir. Permettre aux jeunes de devenir autonomes. «Malgré tous les efforts des autorités, il y encore des ajustements à faire», déclare Michel Moura. Sur les développements infrastructurels financés par l’Inde, Michel Moura dira ceci : «Qu’on s’interroge ou pas, les développements sont faits. Sé ki konté sé séki nou lé pli divan pou bann Agaléens.» Il s’est aussi intéressé à l’environnement.«Agalega pou mwa li enn bizou. Si nou pa fer atansion so lenvironman li pou grav. Bizin men komba la ensam.»
L’autre préoccupation, le logement, plus précisément le projet public de construire 50 maisons NHDC, mais qui s’éternise. «Il ne faut pas trop tarder car ces maisons soulageraient grandement des familles qui vivent l’une sur l’autre comme ce cas de 11 personnes vivant dans un deux-pièces», plaide Michel Moura. D’où son appel aux politiciens, acteurs économiques et ceux et celles qui aiment le pays :«Nous devons être patriote, ne pas rester tranquille tout le temps et poursuivre le chemin ensemble pour faire avancer le pays dans son ensemble.»
L’histoire de…
Yohan Henri, 17 ans
«Nous devons être solidaires ‘pou nou pas fini kouma Diego’»
Il est en Grade 12 à OCEP, Curepipe. Originaire du village de La Fourche, dans l’île du Nord où ont été construites les infrastructures indiennes, Yohan Henri, qui a participé aux 20 ans de l’AMA, dimanche, a été contraint de venir poursuivre ses études secondaires à Maurice, en janvier 2020, puisqu’il n’y a pas de classe de science, son choix de matière pour le School Certificate au collège Medco Agalega. Yohan Henri, qui est hébergé par un proche à Camp-Levieux, a étudié les trois premières années après son arrivée à Maurice au collège St-Mary’s, à Rose-Hill. Depuis début 2023, il est élève à OCEP, Curepipe. Lui qui ambitionne de se perfectionner en sciences de la mer raconte comment le changement d’environnement scolaire est perturbant pour un jeune qui quitte son île et sa famille.
Chez nous à Agalega, nous sommes attachés à nos proches, amis, notre village, la mer. Ici, je n’ai pas tout ça. On nous regarde différemment avec des à priori sur les Agaléens. Ena pansé nou res dan bwa, ki Agalega pa developé. D’autres, en nous entendant parler, pensent que nous venons de Rodrigues», confie l’adolescent sans détour.
C’est pour cela que Yohan «kontan trouv mo zil pé developé». Bien conscient des efforts que la population locale doit déployer pour avoir le Dornier pour évacuer un malade à Maurice, ou comme il est impossible de circuler lors du décès d’un proche loin de leur terre, il espère vivement qu’avec l’aéroport et le port, ce sera plus facile dorénavant de se déplacer. «En même temps, je vois comment ces développements sont vraiment catastrophiques avec la perte de la moitié de l’île du Nord. Sa fer sagrin kan nou abitié trouv partou vér, samem ki fer boté Agalega, ek enn sel kout nou’nn perdi enn bon bout lanatir», regrette notre interlocuteur.
De toutes les polémiques comme celle «ki’nn vann Agalega avek lind», une chose est sûre pour lui: «Nou pa koné ki nou destin. Nous n’avons aucune garantie sur la souveraineté d’Agalega car, à bien réfléchir, l’Inde ne peut avoir fait toutes ces installations gratuitement sans rien en contrepartie.»
Tous les jeunes rêvent de voyages à l’étranger, de faire le tour du monde, puis, comme lui, certains souhaitent aussi, avec les nouveaux développements, travailler pour leur île. «Le Premier ministre qu’on a ne dit pas toute la vérité. Je souhaite que l’ensemble de la République s’intéresse davantage à Agalega car nous en faisons partie. Comme nos aînés l’ont dit. Nous devons être un peuple solidaire pou nou pas fini kouma Diego.»
Brenand Henri veut travailler à l’aéroport d’Agalega
Brenand Henri, 17 ans, originaire de VingtCinq, village ainsi tristement nommé pour se rappeler des vingt-cinq coups de fouet infligés aux esclaves rebelles, expose lui les difficultés qu’il rencontre en continuant sa scolarité ici. Il déplore le manque d’encadrement face à la considération et à l’attention auxquelles le petit groupe d’élèves qu’ils sont est habitué à Agalega. Il est tellement perdu que même avec toute la bonne volonté d’apprendre et de persévérer dans ses études, il est déjà découragé. Au point d’avoir déjà en tête d’abandonner le collège pour suivre des cours techniques ou de rentrer carrément chez lui, et de changer du tout au tout de matières et de reprendre à zéro son School Certificate. Pourtant il vise à devenir ingénieur mécanique et à obtenir un poste à l’aéroport ou au port dans son archipel. Comme son cousin Yohan, il a dû traverser l’océan Indien comme il ne peut faire science dans son île. Lui, qui au départ a eu son admission à Forest-Side SSS, une académie, a dû changer d’établissement pour le sir Abdool Razack Mohamed SSS, à Port-Louis, en raison du long trajet de Bambous où il habite à Maurice jusqu’à Forest-Side. «Ça aurait été tellement mieux d’avoir, comme pour le reste de la République, les mêmes facilités pour notre éducation, notre santé et notre logement à Agalega.»
Pas de place sur le «Trochetia» depuis 2015 pour Yéline Poulay
Mère et fils étaient présents pour les 20 ans de l’AMA. Yéline Poulay, visage emblématique de la communauté, est née à Agalega en 1954, mais habite à Maurice pour des raisons familiales, avec le déplacement forcé pour études secondaires à Maurice de ses petits-enfants.
Celle qui a travaillé très dur, que ce soit à Agalega où elle décoquait le coco ou dans les usines à Maurice, n’a plus reposé les pieds sur sa terre natale depuis 2015. La révoltante raison: elle se retrouve à chaque fois, après s’être enregistrée à l’Outer Islands Development Corporation, face à un «péna plas lor bato». Comme elle, bon nombre de familles agaléennes se retrouvent bien malgré elles dispersées, certaines à Agalega, d’autres à Maurice.
Yéline et Arnaud Poulay
Mère de six enfants, dont Patrick, Désiré, Franco, Joël, Arnaud et Cynthiaa, ce n’est que lorsque ceux vivant à Agalega viennent à Maurice qu’elle peut les serrer dans ses bras. Comme c’est le cas pour Arnaud, à Maurice depuis avril. L’artiste engagé qu’il est, en a profité pour enregistrer un nouvel album de 11 titres intitulé Free Agalega Islands. «C’était important pour moi d’être présent pour les 20 ans de l’AMA car en dépit de nos divergences, il n’y a qu’une seule lutte pour Agalega et ce n’est que dans l’unité qu’on y parviendra.»
Avant de remettre le cap sur son archipel en décembre (s’il ne reste pas à quai à son tour lui aussi), Arnaud Poulay, nom d’artiste Ti Ras, représentera Agalega lors du festival Reggae Donn Sa au stade Germain Comarmond, le 11 novembre. Soit la même scène qui verra la prestation d’Alborosie, un des rares chanteurs de reggae originaires d’Italie. «J’ai toujours rêvé de représenter mo ti zil Agalega dans un grand festival de l’océan Indien pareil. Je ne peux décrire l’émotion, la joie de pouvoir rencontrer tous les artistes régionaux et internationaux du festival car ce n’est pas tous les jours qu’on a une telle opportunité.»
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